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04. Le pouvoir du juge : jurisprudence et procédure

Jean-Claude Farcy


La Révolution française avait voulu limiter le pouvoir des juges à la seule application des lois, du droit émanant de la souveraineté nationale. Craignant l’opposition politique de la magistrature (sur le modèle des Parlements de l’Ancien régime), les révolutionnaires avaient tout fait pour réduire l’influence du pouvoir judiciaire. La réorganisation consulaire et impériale des tribunaux allait dans le même sens, mais en plaçant la justice sous le contrôle du pouvoir exécutif. Deux siècles plus tard, dans la dernière décennie du 20e siècle, on s’accorde sur la montée en puissance du pouvoir des juges. Dans une démocratie en crise, un “tiers pouvoir” serait né, celui des juges, entre le peuple souverain et ses représentants (Denis Salas). Des affaires politico-financières mettent en lumière l’indépendance des magistrats par rapport au pouvoir politique alors que l’histoire témoignait plutôt de la timidité de la justice en la matière dans les périodes antérieures comme de la participation, sans grand état d'âme, à la répression des oppositions politiques au cours des deux derniers siècles.

Une telle présentation est certainement trop réductrice. D’abord, sur le plan du droit, les juges ne se sont jamais cantonnés à la seule application de la loi. Si Robespierre rêvait d’une justice sans jurisprudence, Portalis montrait que cette dernière était indispensable à l’exercice quotidien de la justice, le législateur étant dans l’incapacité de prévoir l’infinité des cas à résoudre dans l’application de ses textes. Certes, jusqu’en 1837, quand les tribunaux refusaient de s’incliner devant une décision de la Cour de cassation, il appartenait au pouvoir législatif de modifier en conséquence la loi qui posait un tel problème d’interprétation. Mais depuis cette date, la Cour suprême est souveraine pour maintenir une application uniforme des lois. La jurisprudence, en permettant l’adaptation de textes souvent anciens - comme les Codes napoléoniens - à l'évolution de la vie économique et sociale, témoigne bien d’un pouvoir réel des juges qui contribue à l'évolution du droit. (document commenté)

Ensuite, quant au rapport des juges avec le pouvoir politique, il faut prendre en compte l’indépendance statutaire dont bénéficient les magistrats du siège, l’origine sociale de ceux-ci comme leur habitus professionnel qui les met en position de défenseurs naturels de l’ordre social et politique. Les périodes de crise politique servent de révélateur. Au-delà d’une majorité soumise au pouvoir politique - d’autant plus que ce dernier procède à des épurations du corps dans le sens qui lui convient -, on trouve à la fois des magistrats zélés et d’autres plus réticents, usant des ressources du droit et de la procédure pour atténuer la sévérité de la répression qui leur est demandée. La période de la dernière guerre mondiale et l’attitude du régime de Vichy est exemplaire à cet égard. Dans son ensemble la magistrature obéit au pouvoir du maréchal Pétain et rares sont les magistrats résistants. L’engagement de ces derniers est particulièrement intéressant car il montre comment des hommes chargés d’appliquer la loi peuvent, en partie, la contourner, notamment en jouant sur le temps dont la procédure leur donne la maîtrise (document complémentaire).