6. Dreyfus et la presse, captivité rapportée et captivité fantasmée

Plan du chapitre

Dreyfus, l’île du Diable et la seconde cellule

Malgré toutes les précautions de l’administration pénitentiaire et du ministère des Colonies, la captivité de Dreyfus ne sera jamais entourée d’un secret absolu. Il est d’ailleurs frappant que, alors que la carte postale photographique se démocratise à partir des années 1890, en Guyane, elle apparaît avec le cas Dreyfus : l’île du Diable est en effet le premier lieu guyanais à être mis en carte postale.

« Alfred Dreyfus dans sa prison »

Les images de la captivité de Dreyfus commencent bien avant son départ pour la Guyane. Les journalistes ont constamment recherché des informations nouvelles à publier et les scandales déclenchés par cette « bataille de l’imprimé » furent assez nombreux. Par exemple, le 1er juin 1895, Le Journal publie quatre photographies de l'île du Diable, identiques à celles d’un rapport que le gouverneur Charvein vient d’envoyer en métropole. Les soupçons se tournent vers les navires manœuvrant au large et les surveillants. Le gouverneur rédige une longue lettre pour se blanchir de cette « fuite » et accuser Paris.

« Dreyfus à l’Ile du Diable »

Dreyfus est représenté abattu et inactif, pensif, sous la surveillance très rapprochée d’un garde armé. Le 18 février 1897, un article du Petit Var décrit parfaitement la vie à l'île du Diable et, en août 1897, Vérignon, directeur de l'administration pénitentiaire est accusé d'avoir fourni des informations au journal Le Combat. Ce journal guyanais publie régulièrement des articles sur l’île du Diable et dénonce le sort de Dreyfus. Le 25 novembre 1897 il évoque des conditions « misérables », une mise aux fers « par les quatre membres » (l’exagération était donc largement utilisée dans les deux camps) ; « La France doit savoir ».

« lettre de France ! »

Cette carte représente l’intérieur de la case de Dreyfus et son prisonnier en plein lecture d’un courrier. Le mobilier, ainsi que les vêtements sont largement extrapolés et l’illustrateur semble avoir gardé des repères métropolitains pour l’ensemble de cette image. Le 7 octobre 1897, un article décrit le climat de suspicion général qui règne au sein du personnel de l’administration pénitentiaire : « Quand Dreyfus fut envoyé aux îles, personne ne pouvait mieux le garder que les surveillants chefs Lebar et Kerbrat, envoyés à cet effet du ministère même. Le vent a maintenant tourné. Lebar a été brutalement rappelé en France. Kerbrat est dans les bureaux du chef-lieu, attendant qu'on prenne une décision à son égard. ... il suffit aujourd’hui de prononcer le nom de Dreyfus pour être mis hors la loi si l'on dépend à un titre quelconque de l'administration. ».

William Harding, Dreyfus : The Prisoner of Devil’s Island, p. 113

Dans l’ouvrage qu’il consacre à Dreyfus, W. Harding se propose lui aussi d’illustrer la captivité sur l’île du Diable, de manière plus sobre. Le mobilier, les barreaux aux fenêtres et l’habillement sont plus proches de la réalité que sur les cartes postales. Un autre courant a aussi été présent dans la presse, celui qui consistait à dénigrer le prisonnier et à fantasmer ses conditions d’incarcération, en les travestissant en un séjour tranquille et luxueux. Ces publications se basent sur de prétendues confidences de fonctionnaires, d’officiers etc., sur des affabulations pures. Mais aussi sur des avis très sérieux.