Bibliothèque / Collection Philippe Zoummeroff / Lettre de Couturier, « capitaine des chaînes » (1784)

Lettre de Couturier, « capitaine des chaînes »

Année de publication
1784
Lieu de publication
s.l.
Éditeur
s.e.
Nombre de pages
7
Source
collection Philippe Zoummeroff
Observations

Cahier de 6 pages et demie in-fol. lié d’un ruban bleu

Rapport détaillé du transport de prisonniers de Bicêtre à Dunkerque, pour être déportés à l’île de Ceylan.

Il s’est rendu le 3 août “à Bicestre où j’ai fait enchaîner par un poignet et par une jambe les 116 prisonniers destinés pour la légion de Luxembourg, à l’effet de les conduire à Dunkerque. Ces prisonniers ont beaucoup murmuré de cette opération (…) alors je les fis joindre 22 et 24 ensemble pour former cinq bandes, c’est-àdire une pour chaque voiture avec un cordon de chaîne où répondroient celles qu’ils avoient à la jambe et au poignet, après ce travail, à 4 heures du matin, ils descendirent de la salle où ils avoient couché, dans la cour, là ils dirent qu’ils ne monteroient point en charrette si on ne leur donnoit un coup d’eau de vie que je crus devoir leur accorder”… Malgré cela, il a fallu pérorer encore deux heures et demie pour les décider à monter dans les voitures… À la Villette, où ils s’arrêtèrent pour faire rafraîchir les chevaux, les enchaînés firent “beaucoup de tapage, invectivèrent les gardes en leur jettant le pain qu’on leur avoit donné à Bicestre ainsi que le fromage et le vin que je venois de leur faire distribuer, et annoncèrent le projet d’une révolte”…

Il raconte les troubles lors du ravitaillement à Louvres, son recours réitéré à la maréchaussée, les menaces de part et d’autre, le projet assassin qu’il apprit en soudoyant plusieurs d’entre eux… Leur route les mena de Senlis à Pont-Sainte-Maxence, Estrées-Saint-Denis, Cuvillers, Roye, Marchélepot, Péronne, Fins, Cambrai, Lille, Armentières, Bailleul, Cassel. À l’approche de Dunkerque, il reçut du commandant de la ville un double détachement de troupes commandées par un officier : “je plaçai le tout autour des voitures ; mes prisonniers virent avec peine que tous leurs projets devenoient sans effet, ils m’appellerent et me dirent : que toute la bande qui les composoit etoient les plus fins des hommes, mais que je l’avois été plus qu’eux (…), qu’ils s’etoient juré entr’eux qu’aucun n’iroit à Dunkerque, ou qu’ils se feroient plutôt tuer l’un après l’autre, que sy j’eusse pris ce parti de rigueur qu’ils nous auroient tous massacrés à commencer par moy”… Le 13, il déposa tous les 116 à la prison de la Conciergerie : “ils vomirent mille horreurs et autant d’injures. Je partis de Dunkerque (…) avec la satisfaction de savoir qu’une garde plus que suffisante les conduiroient vers les 5 heures après midy dans un vaisseau qui les attendoit au port pour passer tout de suite à Flesseing et de là qu’ils s’embarqueroient pour aller à l’isle de Ceylan”…

Notice extraite du catalogue Philippe Zoummeroff. Crimes et châtiments (livres - manuscrits - photographies - dessins), Pierre Bergé & Associés, 2014