Les Archives en bref

Marc Renneville

« Ce sont des archives dans lesquelles sont longuement enregistrées les observations scientifiques, les affaires judiciaires, les modifications de la législation criminelle dans tous les pays. On peut dire, sans crainte d’exagération, que l’on trouvera dans les Archives un écho de toutes les affaires retentissantes qui se sont déroulées pendant ce quart de siècle. C’est là une mine de documents considérable pour les chercheurs de l’avenir ».
Etienne Martin, Préface à la 25e année. Archives d’anthropologie criminelle, 1910, p. 6.

  • Première revue scientifique francophone dédiée à la « criminologie », entendue ici au sens large de « science du crime et du criminel », institution pivot de la première école française de criminologie, les Archives de l’anthropologie criminelle constituent une ressource incontournable sur l'état des sciences relatives à la connaissance du crime et des criminels durant toute leur période de publication. Cette revue était jusqu'à sa mise en ligne d’un accès difficile, réservée aux chercheurs. Elle est proposée ici en consultation libre dans son intégralité (23 323 pages), avec des notices historiques permettant d'éclairer son contexte de production.

Les Archives de l’anthropologie criminelle : pour quoi faire ?

  • Prenant acte du mouvement de rationalisation du droit pénal par l’apport des nouvelles sciences que sont la statistique - science du nombre - et l’anthropologie criminelle - science du délinquant, les Archives de l’anthropologie criminelle veulent être l’organe francophone de discussion de cette évolution en exposant les résultats théoriques et pratiques de l’anthropologie criminelle et de la médecine légale. Créée en 1886 à l’initiative du docteur Alexandre Lacassagne (1843-1924), dans le cadre d’une association d’une durée de sept ans, la revue comprend trois directeurs : A. Lacassagne, Robert Garraud (professeur de droit criminel à la faculté de droit de Lyon) et Henry Coutagne (chef des travaux de médecine légale à la faculté de médecine de Lyon). L’initiative est donc lyonnaise, et vise à lier des champs de disciplines distincts, comme l’indique son titre développé : Archives de l’anthropologie criminelle et des sciences pénales. Médecine légale, judiciaire. - Statistique criminelle. Législation et Droit.
  • En 1893, le titre et la direction éditoriale de la revue sont modifiés. La revue devient Archives d’anthropologie criminelle, de criminologie et de psychologie normale et pathologique. Arrivée à son terme, l’association des trois directeurs n’est pas reconduite. Garraud et Coutagne prennent le statut de collaborateurs, aux côtés d’Alphonse Bertillon, de Paul Dubuisson, de Paul-Louis Ladame et de Léonce Manouvrier. La direction de la revue est désormais partagée entre Lacassagne et son ami magistrat Gabriel Tarde. Cette direction en partie double, « scientifique » d’une part, « juridique » de l’autre, prolonge l’intention initiale des Archives d'être le trait d’union et le lieu de discussion pour les sciences de l’homme et le droit pénal. Le décès en 1904 de Gabriel Tarde provoque une nouvelle modification de cette double direction. Les termes en sont modifiés : Lacassagne se charge désormais de la partie « biologique » tandis que son confrère le docteur Paul Dubuisson dirige la partie « sociologique ». Bertillon, Garraud, Ladame et Manouvrier restent collaborateurs. Le positivisme est donc plus que jamais de mise, puisque la sociologie est ici dirigée par un médecin. La sociologie promue par les Archives n’est pas la sociologie de Durkheim ; elle est conçue comme une science de la société, suivant ici les préceptes d’Auguste Comte, dans la continuité des sciences naturelles et de la biologie. En 1908, c’est le titre qui change de nouveau. La criminologie y disparaît au profit de l’apparition de la « médecine légale », ce qui correspond effectivement au contenu de la revue, riche en rapports d’expertises et en questions pratiques liées à la médecine légale et ce, depuis le début de sa parution. Les archives deviennent alors Archives d’anthropologie criminelle, de médecine légale et de psychologie normale et pathologique. Alexis Bertrand fait son entrée dans le cercle des collaborateurs, suivi en 1911 par le docteur Albert Florence, puis par les docteurs Emmanuel Régis et Etienne Martin, en 1914. Cette année marque la fin de la parution de la revue.

Lire les Archives de l’anthropologie criminelle aujourd’hui

  • Chaque volume de la revue regroupe les livraisons publiées dans l’année. Un volume annuel se divise généralement en deux grandes parties : « mémoires originaux » et « revue critique ». Les « mémoires originaux » concernent principalement des questions relatives à la médecine légale, à son exercice et à des problèmes d’expertises. Cette catégorie est d’ailleurs si importante qu’elle devient, à partir de 1898, une division équivalente aux « mémoires originaux ». Ces derniers regroupent également des études théoriques sur le droit pénal, des commentaires de statistiques criminelles, des réflexions sur la responsabilité, des enquêtes sur les prisons, la législation pénale comparée, les peines, la police scientifique (balistique, anthropométrie judiciaire...), des exposés d’affaires criminelles et des études historiques du point de vue criminologique. De nombreux articles concernent évidemment « l’anthropologie criminelle », sous tous les aspects de cette science dont le programme de recherche est de mettre au jour les lois de production du délit et du criminel : facteurs physiques, sociaux, moraux et biologiques...
  • L' « anthropologie criminelle » fixe un cadre n’excluant ni discussions ni controverses. Si les options des auteurs et la distinction des écoles sont souvent perceptibles à la lecture des mémoires originaux, le débat scientifique s’exprime pleinement dans la seconde partie de la revue. Par sa richesse et son relatif éclectisme, la « revue critique » est une fenêtre précieuse sur la vie de la recherche. On y trouve les comptes rendus de congrès scientifiques, des analyses d’ouvrages, des analyses de journaux français et étrangers, des chroniques judiciaires et scientifiques, des discours de rentrée des cours d’appel et des recensions de thèses.
  • La revue peut être consultée en ligne selon trois modalités : par volume annuel, par la table des matières, par recherche détaillée. Cette édition est complétée par des publications rédigées par des historiens. Synthèses, biographies ou articles d’analyse sur des points précis, l’ensemble des textes de ce dossier thématique forme une introduction à la lecture des Archives de l’anthropologie criminelle à des fins de recherche ou de simple curiosité. Il a également vocation à faciliter l’appropriation de cette source historique à des fins pédagogiques.