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Loos pendant la Seconde Guerre mondiale

Christian Carlier

 

La maison centrale bombardée

En mai 1940, les détenus de Loos (répartis dans trois prisons : la maison centrale, la maison d’arrêt cellulaire et l’annexe pour les femmes de la colonie Saint-Bernard) ont vent de l’avancée irrésistible des Allemands quand un camion belge fait halte à la prison cellulaire pour y déverser sa cargaison de malades psychiatriques. Ils entendent bientôt des fenêtres de leurs cellules gronder la bataille de Haubourdin, toute proche. Le pire devait advenir avec les bombardements du 26 mai au 1er juin 1940.

1. Les bombardements

Le 13 août 1940, l’architecte départemental en chef établissait un rapport d’ensemble « sur l’état actuel de la maison centrale de Loos »1  : « Celle-ci se compose : d’un bloc de bâtiments formant un quadrilatère, avec pavillons transversaux intérieurs et galerie centrale. Cet ensemble constitue la prison proprement dite avec, en façade principale, les Services Généraux.à l’Ouest, un bâtiment séparé, dit “cellulaire”.
D’un pavillon isolé affecté à l’infirmerie.
D’un groupe de maisons pour le logement des employés.
D’un deuxième groupe de maisons pour les surveillants.
Au Sud-Ouest un autre ensemble de constructions comprenant d’une part, la colonie Saint-Bernard, et d’autre part, les habitations du personnel de surveillance (chefs et sous-chefs).
Au Sud-Est, l’habitation de Monsieur le directeur. »

L’architecte poursuivait : « Par suite des bombardements qui eurent lieu fin mai, le bloc principal fut atteint par une cinquantaine de projectiles de différents calibres, endommageant particulièrement les couvertures et les murs des façades des deux ailes du bâtiment orientées Nord-Sud, ainsi que l’aile transversale Est-Ouest. Des solivages intérieurs se sont effondrés. Les combles aménagés en dortoirs avec cellules individuelles grillagées ont leur plafonnage sérieusement détérioré et sont inutilisables. Il en est de même pour les services annexes comprenant les ateliers et dortoirs des détenus, dont les menuiseries des portes et des fenêtres sont enfoncées en différents endroits. La plupart des vitres sont brisées.
Bâtiment cellulaire : Ce pavillon a moins souffert du bombardement. Il existe toutefois une large brèche en façade et une autre dans la couverture.
L’infirmerie a été atteinte par deux obus, l’un a perforé la façade Est au-dessus des arcades du rez-de-chaussée, et l’autre sur la façade Ouest a démoli une partie des combles. La toiture est relativement peu touchée.
Le groupe de maisons pour les employés faisant suite à l’infirmerie, a subi des dégradations plus importantes dans la couverture.
Le deuxième groupe de maisons (logements des surveillants) a été atteint aussi par des obus. La réparation des couvertures a été faite provisoirement.
D’autres petites maisons isolées plus à l’Ouest, destinées au personnel, ont été détruites par l’incendie.
[…] 
Le bâtiment de la colonie Saint-Bernard, parallèle à la route, a sa couverture endommagée par un obus sur 30 m2 environ.
Le groupe de logements à l’Est a été détruit complètement par l’incendie, sauf un logement.
L’habitation de Monsieur le Directeur fut touchée par un obus, rendant plusieurs pièces inutilisables.
Pour ces constructions, de la menuiserie et une grande partie des vitres sont brisées. »

La conséquence fut que « la maison centrale de Loos, rendue inhabitable par suite des bombardements de mai 1940, a dû être évacuée et n’est plus utilisée dans sa majeure partie »2 . Les détenus, croyait bon de préciser le directeur de l’administration pénitentiaire le dernier jour de l’année 1941, « n’étaient pas du tout préparés aux bombardements ».
La prison cellulaire n’avait pas non plus été épargnée, comme le révèle un rapport de la Commission départementale des édifices départementaux du 16 septembre 19403  :« Cet édifice a été durement touché par plus de 30 obus qui ont endommagé sérieusement les couvertures, les charpentes en bois et la charpente métallique de la rotonde centrale. Il existe des brèches dans les murs de façade et des voûtes de cellules ont été défoncées. Après avis de Monsieur l’architecte départemental et sur les instances des Autorités occupantes qui ont demandé le réaménagement rapide des locaux, une dépense s’élevant à 445 321,68 F a été engagée pour effectuer les travaux absolument indispensables à la bonne conservation des bâtiments. Les travaux sont en cours d’exécution et seront achevés pour le 30 octobre 1940. »

Un nouveau bombardement devait intervenir le 8 juillet 1941 à 15 heures. Le lendemain, l’architecte en chef adressait un nouveau rapport au préfet4  dans lequel il évoquait les « dommages importants [survenus] à la maison cellulaire de Loos suite au bombardement du 8 juillet. Des torpilles sont tombées aux environs de la prison, l’une d’elle s’est abattue sur le bâtiment principal d’entrée et après avoir traversé la couverture et tous les planchers, s’est enfoncée dans le sol du parloir du quartier des femmes, sans éclater ».

2. Le personnel

Rappelons brièvement que dès la déclaration d’armistice, les Allemands installèrent à Lille l’Oberfeldkommandantur 670 (0FK 670) sous le commandement du général Nichoff, qui couvrait le Nord et le Pas-de-Calais, l’OFK 670 étant intégrée au Militärbefehlshaber in Belgien und Nordfrankreich (Haut Commandement Militaire), dirigé par le général von Falkenhausen, dont le siège était à Bruxelles. Le 7 juillet 1940, le Nord était déclaré « Zone interdite ».
Les Allemands placèrent à la tête de toutes les prisons de la région le major Kuhn, qui avait été instituteur dans les prisons de Breslau. Pour diriger la section allemande de la prison de Loos, il fut fait appel à un Autrichien, le capitaine Otto Siebler, que secondèrent l’adjudant Muller et le sergent Albrecht. Les surveillants étaient tous des soldats de la Wehrmacht.

La maison centrale étant fermée, la prison cellulaire se vit doter d’un directeur, assisté d’un greffier-comptable et d’un économe. Quatre directeurs se succédèrent à Loos entre 1940 et 1944. à l’arrivée des Allemands, le directeur était « B », qui était en poste depuis 1938. Le 4 juillet 1942, les Allemands informaient le préfet : « Le directeur actuel de la circonscription pénitentiaire de Loos « B », ne semble pas être à la hauteur de sa tâche. Malgré son bon vouloir apparent, il n’est pas à même de mener à bien sa tâche. Je [vous] laisse le soin de juger s’il ne pourrait être remplacé par une autre personne plus énergique et plus entreprenante. La façon [suivant] laquelle il laisse courir les affaires dans la section française à Loos devient insupportable à la longue. Sans aucun doute un directeur plus entreprenant aurait pu créer depuis longtemps une autre situation, ceci ressort de l’exemple de la section allemande à Loos. »5  Le préfet obtempéra et nomma un directeur « plus énergique ».

En novembre 1943, le personnel de surveillance de la prison cellulaire, section française, de Loos comptait 113 agents titulaires6 . D’un âge moyen de 38 ans, 80,5 % étaient originaires du Nord - Pas-de-Calais, 2,7 % étaient Alsaciens et 2,7 % Corses. 11,5 % étaient célibataires. L’ancienneté moyenne était de 9 ans et demi. Parmi les 66 agents pour lesquels on dispose de données fiables, 16 étaient dans l’administration pénitentiaire depuis moins de 3 ans, et 38 y étaient entrés depuis plus de 6 ans, le plus ancien était en poste depuis 24 ans. 13,3 % des agents étaient logés sur le domaine de Loos. Parmi les nouveaux, on dénombrait d’anciens ouvriers au chômage, un certain nombre étaient devenus surveillants pour échapper au STO.
8 surveillants seulement avaient été recrutés comme auxiliaires : des hommes mariés pour 7 d’entre eux, âgés de 38 ans en moyenne et originaires pour les trois quarts du Nord - Pas-de-Calais. 92 % des agents étaient jugés comme « loyaux à Vichy », 2 étaient soupçonnés d’avoir été communistes et on déplorait la conduite privée de 9 d’entre eux. Un long rapport de l’inspection générale en date du 16 octobre 1943 s’attarde sur les auxiliaires : « Les jeunes gardiens auxiliaires qui n’ont pas encore touché d’effets de surveillants, gagneraient aux yeux des détenus à être revêtus de l’uniforme pénitentiaire. Certains se sont présentés à moi complètement en civil, d’autres n’ont qu’un képi (ou plus exactement une casquette puisque c’est une casquette que comporte le nouvel uniforme) ou une veste ou simplement un brassard […] J’ai pu observer, en jetant un coup d’œil dans quelques cellules, que des détenus, probablement du marché noir, sont mieux habillés que des surveillants auxiliaires dépourvus d’uniforme, dont un assez grand nombre d’ailleurs ont été complètement sinistrés et manquent de ce fait d’effets civils convenables. »7
Parmi les 15 surveillantes, 9 étaient nordistes. âge moyen : 40 ans. 8 étaient des veuves. 8 surveillantes logeaient sur le domaine.

Le personnel technique comprenait 8 agents, tous du Nord, âgés en moyenne de 41 ans et comptant 12 ans d’ancienneté. Un seul était célibataire, un seul était soupçonné de sympathies communistes.

3. La réorganisation des prisons, la surpopulation

La prison cellulaire, que les Allemands avaient déjà investie pendant la première guerre mondiale pour y enfermer des otages, fut découpée, quoiqu’elle aussi très touchée par les bombardements, en un quartier allemand (inaccessible au personnel français) et un quartier français. Si l’aile A demeura française, les ailes C et D devinrent administrées par les Allemands. La cuisine seule était commune aux deux sections. Dans la section allemande, les femmes trouvèrent à se loger dans 50 cellules de l’aile C, cependant que les « terroristes » occupèrent une partie des 129 cellules de l’aile D. Dans la section française, les femmes furent logées dans le quartier F, l’aile ouest du bâtiment administratif. à partir de la fin mai 1941, l’étanchéité devint absolue entre les quartiers allemand et français : les Français conservèrent la porte principale cependant que les Allemands percèrent un accès muni d’une lourde porte de bois dans la face nord du mur d’enceinte8 .
Un « état nominatif des détenus incarcérés sur ordre des Autorités françaises (16 mars au 15 avril 44) »9  renseigne sur la nature des infractions commises par la population pénale : 73, 2 % d’infractions contre les biens (dont 40 % de vols et 11 % de délits de contrebande), 16,4 % d’infractions contre les personnes (dont 5,5 % d’infractions de caractère sexuel), 10 % de vagabondage, 10 % d’infractions politiques, dont la moitié pour terrorisme.
On est moins bien renseigné sur les détenus de la Section allemande, arrêtés par la GFP (Geheime Feld Polizei) ou la Feldgendarmerie. Les motifs d’incarcération les plus fréquents étaient concerts, bals sans autorisation, écoute de la radio anglaise, hébergement de soldats anglais ou français, mais aussi outrages à l’armée allemande ou propagande, mais encore possession d’armes et sabotages.
La prison cellulaire (370 cellules) avait une contenance estimée avant-guerre de 400 hommes et 100 femmes. En juin 1941, la section française accueillait 451 hommes (dans seulement 122 cellules) et 61 femmes, la section allemande 312 hommes et 127 femmes, et encore 139 hommes avaient-ils été transférés à Saint-Bernard. L’ancienne colonie devenait ainsi maison de correction pour les prisonniers condamnés par les tribunaux militaires allemands à des peines inférieures à 6 mois, mais un personnel français continuait de s’y activer.

En août 1942, la commission de surveillance recevait une plainte de l’avocat Auguste Parmentier : « Suite à l’occupation allemande qui s’étend sur la prison, on arrive à mettre jusqu’à 9 personnes dans une cellule d’une personne. Un client s’est plaint d’être ainsi en contact permanent avec un homme ayant la gale. » Les membres de la commission visitèrent la prison en octobre : « La commission, après avoir constaté que l’état sanitaire des détenus, en dépit des circonstances, est satisfaisant, a fait confirmer au directeur de la circonscription pénitentiaire de Loos et au surveillant chef que les mesures prises jusqu’à présent (visites médicales lors de l’incarcération, visites périodiques, désinfection, blanchiment, soins de propreté…) seraient maintenues, et [a] relevé d’autre part que la situation alimentaire des prisonniers n’appelle aucune intervention. »10  On ne peut pas être plus aux ordres.

Un détenu du quartier allemand multiplia les plaintes auprès de la Croix-Rouge. Le surveillant-chef « ST » dut rendre compte à l’automne de 1942 : « Le change de linge a lieu tous les 15 jours pour les détenus qui ne travaillent pas et tous les 8 jours pour les détenus qui sont occupés à des travaux plus ou moins sales. Les draps sont changés toutes les six semaines. Il est à constater que la propreté règne dans tout l’établissement attendu que la population détenue n’est atteinte d’aucune vermine. Douches tous les 8 jours. En ce qui concerne la nourriture, celle-ci est satisfaisante, la cuisine est tenue convenablement. »11  Tout allait décidément pour le mieux au sein de cette prison pourtant pleine comme un œuf.
Le 30 juin 1943, la commission de surveillance entendait un autre son de cloche : « La Commission entend avec un vif intérêt les explications fournies par M. le Docteur Hieulle nommé officiellement médecin de la prison, visant le fonctionnement du service sanitaire. Le médecin est seul, sans aide ni infirmier. Les fonctions d’infirmier sont remplies par des détenus lorsqu’ils présentent quelques aptitudes pour ce faire… D’autre part aucun local n’est affecté à l’usage d’infirmerie et aucun ne peut l’être jusqu’à nouvel ordre. Un interne devrait être attaché à la prison, secondé par un infirmier de profession. Monsieur le Directeur de l’Administration pénitentiaire [en réalité le directeur de la prison en même temps que de la circonscription pénitentiaire] appuie 
l’exposé de Monsieur Hieulle, soulignant que celui-ci est également chargé de la surveillance sanitaire du quartier allemand de Saint-Bernard. La nomination de Monsieur Hieulle au poste de médecin de la prison facilitera la désignation d’un interne… La Commission émet le vœu que le service médical de la prison de Loos soit notablement amélioré, notamment par la création d’un poste d’interne et par l’emploi d’infirmiers spécialisés n’appartenant pas à la population détenue. La Commission constate en plus qu’il est surprenant qu’étant donné l’importance de la population détenue (1 400 en moyenne) et l’insuffisance d’organisation du service médical, d’autre part l’absence d’infirmerie et même de cellules d’attente destinées à faciliter un tri sérieux parmi les arrivants dont certains sont couverts de vermine ou galeux ou atteints de maladies contagieuses, des épidémies graves ne se soient point produites. »12
Effectivement, un interne fut recruté en octobre, logé et nourri par l’administration, mais qui était plus souvent à suivre des cours à la faculté de médecine qu’à s’occuper des détenus. La Croix-Rouge et le Secours national recueillirent des fonds grâce auxquels une infirmerie put être aménagée. Fin novembre 1943, ce que redoutait la commission de surveillance finit par se produire (du moins par être détecté), la tuberculose provoquait une hécatombe13 . Grâce à la Croix-Rouge, le dépistage fut assuré par un camion stationné dans la cour d’honneur, qui fut remplacé par un appareil installé dans l’infirmerie fin juillet 1944.

A partir de fin janvier 1944, Henri Duprez, un industriel lillois, forma un « Secrétariat d’assistance judiciaire devant les tribunaux allemands » qui prêta aide aux détenus du quartier allemand, par l’intermédiaire en particulier du pasteur Marcel Pasche14 . En février 1944, deux membres de la Société Saint-Vincent-de-Paul vinrent distribuer une assistance aux détenus, ils furent rejoints le mois suivant par une assistante sociale à titre bénévole déléguée du Secours national, Mlle Dewinter, puis en mai par une assistante sociale de la Croix-Rouge, Mme Caby15 .

4. Les détenus au travail

Les autorités allemandes étaient habitées par deux préoccupations, outre il va de soi celle de la sécurité : l’éducation des jeunes détenus et la mise au travail du maximum de prisonniers adultes.
Le responsable allemand des prisons de Loos, ancien instituteur pénitentiaire, batailla ferme et finit par obtenir la nomination, fin 1942, d’un instituteur à temps complet. Dès juillet 1942, il réussit à obtenir aussi la nomination 
« d’un moniteur chargé de la culture physique […] Pour ce qui concerne l’installation technique appropriée, les soins intellectuels et corporels peuvent être donnés également dans les locaux restreints et existants. On doit pouvoir se procurer sans de grosses difficultés du matériel d’étude et d’instruction. à la rigueur on pourrait également se passer de celui-ci. Vu les conditions existantes, il faut improviser dans ces circonstances »16 .

Mais le souci primordial des Allemands était celui du travail. Comme le rappelaient les responsables allemands de l’OFK 670 au préfet le 19 novembre 1941, « d’après les dispositions en vigueur, les prisonniers incarcérés pour le compte des tribunaux de guerre allemands sont à occuper par des ouvrages au moment de l’accomplissement de leur peine. D’après les constatations qui sont faites, cette disposition n’est appliquée que très insuffisamment ; dans les prisons de Loos-lez-Lille par exemple, sur 476 détenus, seuls 200 ont de l’ouvrage. Malgré différents avertissements, la direction de la prison n’a pas encore été en mesure de remédier à cette situation »17 .
Pourtant, une loi de Vichy du 4 juin 1941, complétée par une circulaire du 30 juin, organisa les travaux d’intérêt général hors des établissements pénitentiaires. Une mesure qui n’était d’ailleurs pas originale, puisque les « chantiers extérieurs » avaient été officialisés dans les maisons centrales dans les toutes premières années du Second Empire : quelques maisons centrales étaient installées au milieu de vastes domaines agricoles (en particulier les deux plus importantes d’entre elles, Clairvaux et Fontevrault) et avaient besoin de la main d’œuvre captive pour les exploiter. Cependant, le but de la loi de 1941 est tout différent, comme le précise une circulaire du 15 juillet 194118  : « Je vous informe que les Autorités d’occupation m’ont fait connaître que l’emploi de cette main d’œuvre leur paraissait répondre à un véritable besoin sinon pour la moisson, la saison paraissant trop avancée maintenant, du moins pour les battages, pour la récolte des pommes de terre et pour l’arrachage des betteraves […] La mesure envisagée paraît susceptible d’apporter un appoint appréciable aux efforts qui sont faits actuellement pour fournir aux travaux agricoles la main d’œuvre qui leur manque, mais, d’autre part, du point de vue pénitentiaire, son intérêt est également très grand : elle constituera, en effet, un remède efficace au surpeuplement des prisons en plaçant les détenus qui pourront être utilisés dans des conditions d’hygiène incomparablement meilleures […] Les équipes devraient de préférence être employées dans les grandes exploitations, comporter au minimum 10 à 15 détenus de manière à simplifier la surveillance dans la mesure du possible, elles devront être employées dans un rayon suffisamment proche de la maison d’arrêt ou de la maison centrale pour pouvoir y coucher. »

Les détenus n’étaient pas seulement employés à l’agriculture, mais aussi, vieille tradition pénitentiaire qui remonte cette fois à l’ouverture des centrales dans les premières années du XIXe siècle, aux travaux de construction et d’aménagement, ainsi que le révèle une circulaire du 13 octobre 194119  : « Deux détenus se sont évadés pendant le voyage jusqu’à la colonie Saint-Bernard pour effectuer des travaux forcés de reconstruction. […] Ils faisaient partie d’un groupe de 43 condamnés, dont 25 à l’intérieur, y compris les 2 évadés, soumis à des tâches de nettoyage et de blanchiment et 17 à l’extérieur pour des travaux de reconstruction d’un mur d’enceinte. Actuellement, 12 équipes représentant en moyenne 425 personnes, sont obligatoires pour l’exécution des différents travaux qui sont répartis en de nombreux endroits à l’extérieur des établissements. » On a bien lu : pas moins de 425 détenus étaient occupés de la sorte.

Cependant, les Allemands ne cessaient de morigéner le directeur pour que tous les détenus, à l’exception près des « terroristes », fussent mis à l’ouvrage. Le 29 novembre 1941, le directeur se justifiait auprès du préfet : « La question des prestations de travail des détenus incarcérés dans les prisons de Loos a retenu toute mon attention. Indépendamment de ceux classés dans les services généraux (cantine, buanderie, réfectoire, balayeurs, ateliers de la régie), j’ai constitué plusieurs corvées extérieures chargées de la démolition des ruines des bâtiments de la colonie Saint-Bernard qui peuvent causer des accidents. Il est procédé également à la réfection des chemins entourant les locaux pénitentiaires et à l’entretien du jardin potager de la maison centrale […] Malgré mes nombreuses démarches, j’éprouve les plus grandes difficultés à me procurer les outils et le matériel de transport, de sorte que je suis obligé à restreindre le nombre de travailleurs. »20

à la même époque, la commission de surveillance manifestait sa satisfaction de voir s’installer un atelier de travaux de dentellerie pour les femmes. De 18 en novembre 1942, l’effectif s’était « envolé » à 30 fin avril 194321 . Sur, il est vrai, 222 prisonnières à cette date.

Cette volonté farouche de la part des Allemands à mettre les détenus au travail n’allait pas sans poser des problèmes de sécurité, ce que rappelait le surveillant-chef au directeur le 27 mai 1944 : « Plus de cent détenus quittent chaque jour l’établissement [la section française] pour aller dans plus de dix endroits différents faire des corvées extérieures dont certaines à plusieurs kilomètres de la prison, avec une garde restreinte et souvent sans arme, composée de surveillants auxiliaires voire de débutants. »22

4. La sécurité

En juin 1940, lors de la bataille de Haubourdin et des bombardements, pas moins de 448 hommes et de 28 femmes s’étaient perdus dans la nature. La plupart furent reconduits à la prison quelques jours plus tard.

Les Allemands commencèrent à sombrer dans la psychose sécuritaire après la rupture du pacte germano-soviétique et l’incarcération de nombreux militants communistes. Le 10 octobre 1941, le directeur de Loos informait le préfet : « Les officiers [allemands] m’ont fait savoir qu’ils venaient perquisitionner dans l’établissement, ayant appris que des armes y étaient cachées et y ont installé un cordon de sentinelles autour des deux prisons, occupant également la cabine téléphonique. Ils se sont opposés à tout mouvement de l’intérieur vers l’extérieur. J’ai été placé sous surveillance, ainsi que le greffier-comptable […] Des sondages ont été effectués dans de nombreux endroits, dans des dortoirs et des ateliers, dans les égouts, les puits, les caves et certaines cellules […] à 12 h 40, après avoir subi, ainsi que mes subordonnés, un interrogatoire suivi de déclaration d’identité, nous avons été autorisés à rejoindre notre domicile pour le repas de midi […] Vers 16 heures tout était fini et les officiers ont quitté l’établissement les derniers, en me disant que je pouvais continuer mon service et vaquer comme à l’habitude à mes occupations. Comme j’y comptais d’ailleurs, aucune découverte les intéressant n’a été faite, car la question des armes avait été traitée dès l’occupation avec le plus grand soin et sauf sept revolvers autorisés, tous les fusils baïonnettes ainsi que les munitions avaient été remis le 4 juin 1940 à la Kommandantur de Lomme […] D’autre part il a été question d’un souterrain qui existerait sous les fondations d’une ou des prisons de Loos et qui se dirigerait d’un côté vers Armentières et de l’autre vers Lille. [L’autorité allemande] n’a pu obtenir aucun renseignement et m’a demandé de me procurer les plans des fondations des établissements pénitentiaires de Loos. »23
La rumeur avait couru que le personnel français cachait des armes dans sa section pour attaquer la section allemande, délivrer les prisonniers et prendre la fuite.
Une autre peur était plus réaliste, celle d’une attaque extérieure par des résistants venus délivrer leurs camarades : Charles Debarge avait tenté par deux fois d’attaquer la prison pour libérer ses camarades communistes, dont sa femme, le 12 janvier 1942 et le 5 février 1944. En vain. Les Allemands manifestaient plus de confiance envers les bergers allemands qui tournaient inlassablement dans les murs de ronde que dans le personnel français.

Les Allemands furent à l’origine d’un texte de Vichy, encore au vigueur aujourd’hui, autorisant les agents pénitentiaires à user de leurs armes quand même ils ne seraient pas en situation de légitime défense. Les responsables de l’OFK 670 en avertissaient le préfet le 17 novembre 1942 : 
« Monsieur le Commandant Militaire en France vient d’inviter Monsieur le Ministre de la Justice de faire appliquer par le personnel de surveillance français, en ce qui concerne les citoyens français condamnés par des tribunaux de guerre allemands, les dispositions relatives à l’usage des armes en vigueur en Allemagne. Le fonctionnaire de l’administration pénitentiaire doit employer la force à l’égard d’un condamné […] quand un condamné ou quand des condamnés en groupe essayent de sortir de l’établissement par la force ou de s’évader. »24

Fin 1942 et début 1943, cependant que les communistes étaient de plus en plus nombreux à être incarcérés (75 détenus pour « activités communistes » le 28 janvier 1943), les responsables français se défendaient comme ils pouvaient du manque de sécurité : « L’état actuel dans lequel se trouve placé l’établissement en raison du nombre élevé des détenus et de l’espace restreint dans lequel ils sont logés rend la surveillance difficile. Le manque d’éclairage et l’impossibilité de circuler à l’extérieur la nuit par suite de l’Occupation augmentent encore ces difficultés. »25  Les postes occupés par des gardiens français furent alors doublés par des postes et des gardiens militaires26 .
Mesure jugée insuffisante par les Allemands, le secrétaire général de la préfecture du Nord implorait le préfet, le 15 novembre 1943 : « Six gendarmes doivent être affectés de toute urgence à Loos, notamment pour effectuer des rondes autour des bâtiments et prévenir ainsi les tentatives d’évasion, rendues aisées du fait des circonstances (par exemple, les prescriptions de la défense passive empêchent actuellement d’éclairer le mur de ronde), les détenus hésiteraient à tenter de s’évader, s’ils pouvaient craindre la présence d’un gendarme armé le long du chemin de ronde. »27  Le directeur n’était pas en reste, qui demandait, le même jour, un poste de gardien extérieur en plus malgré « la présence dans la prison d’un poste allemand qui assure actuellement la sécurité »28 .

À partir du 1er janvier 1944, l’administration pénitentiaire est rattachée au secrétariat général au Maintien de l’Ordre, confié à Joseph Darnand. Les gendarmes (français) furent alors appelés à la rescousse, sur instruction d’un ministère colonisé par la Milice. Les gendarmes supportaient mal cette tâche supplémentaire. Cri de détresse du directeur le 24 février 1944 : « Les gendarmes actuellement présents à Loos sont dans l’impossibilité, par suite de leurs fatigues, d’assurer leur service, il convient de les relever immédiatement par des militaires susceptibles de faire effectivement un service de surveillance. »29  Les militaires se récusèrent, le préfet dut à son tour alerter le ministère le 7 mars 1944 : « En ce qui concerne la prison de Loos, j’ai estimé que sa proximité avec Lille réservait la possibilité de transporter, sur place, dans un délai suffisamment court, les réserves de police urbaine de cette ville ; et en raison des nombreuses missions dont sont actuellement surchargés les services de gendarmerie, j’ai affecté à la surveillance de la prison de Loos un poste de neuf gendarmes seulement. Ces gendarmes ont pour mission d’effectuer des patrouilles autour des établissements pénitentiaires et de parer, non seulement aux évasions éventuelles, mais surtout de surveiller les abords immédiats des bâtiments et de s’opposer à l’approche des individus dont les buts leur paraîtraient suspects. »30

La Milice recourut, à Loos comme à Eysses ou à Laon ou plus tard à la Santé, à la manière forte. Le 22 mars 1944, une cour martiale milicienne se réunit qui eut à juger trois « terroristes »31 . Le Grand écho du Nord rendait compte de la macabre cérémonie le 24 mars 1944 : « La Cour Martiale a fonctionné pour la première fois dans notre région. [Elle] s’est réunie à Lille le 22 mars. Trois terroristes, arrêtés récemment, ont comparu devant elle et ont avoué avoir participé à plusieurs assassinats et vols à main armée dans la région. Deux d’entre eux, ayant été pris en flagrant délit, ont été condamnés à la peine de mort par la Cour, dont la sentence a été exécutée quelques instants après. Le troisième a été remis à la disposition du Parquet pour être déféré devant la Section Spéciale de la Cour d’appel de Douai. »

Le lundi de Pâques 10 avril 1944, à 0 h 40, pendant 35 minutes, trois vagues d’avions déversèrent 2 200 tonnes de bombes sur les 140 hectares des voies de triage de la gare de Lille-Délivrance. 48 bombes explosèrent à proximité de Loos, dont 28 sur la prison même : « La grille de fermeture a été entièrement arrachée et brisée […] Les portes des cellules ont été certes endommagées par le souffle des projectiles mais brisées dans leurs panneaux supérieurs par les détenus dans la proportion de 904 […] Ces destructions, tant des portes des cellules que de la grille de fermeture à l’extrémité de la galerie, ont permis l’évasion de nombreux détenus qui, s’étant répandus, d’abord dans les couloirs, se sont dispersés ensuite, en franchissant les brèches ouvertes du mur d’enceinte […] Les évadés sont au nombre de 225 dont 27 terroristes. » Sur les 225, 196 avaient réintégré la prison dans le cours de la semaine qui suivit32 . L’architecte en chef, qui écrit au préfet le 12 avril, estime le montant des travaux à 50 000 F33 .

En mars 1945, rien ou à peu près n’avait été fait, ainsi que s’en plaint le directeur régional au préfet : « Je constate toujours la carence du service d’architecture pour la réparation des dégâts du bombardement du 10 avril 1944, et la question de sécurité de la maison d’arrêt de Loos est toujours précaire de ce côté. »34

5. Les prisons de la Libération

Selon Fernand Beurtheret, « au début de la deuxième quinzaine d’août 1944, la section D de la prison de Loos, comprenant trois niveaux de 43 cellules chacun, regorge de détenus. Chaque cellule en contient 6 ou 7. Certains n’ont même pas de paillasse pour la nuit. Parmi eux se trouve parfois un condamné à mort ». Dans la seule section D (allemande), 129 cellules accueillaient 840 détenus35 .

Les Allemands évacuent la prison cellulaire le 1er septembre 1944. Le chef d’établissement informe le directeur régional de la suite des événements le lendemain : « Hier, vendredi 1er septembre 1944, à 21 heures, une révolte a eu lieu à la prison, section française, après le départ des Allemands, par les détenus de droit commun. Les portes ont été démolies, les tuyaux de plomb des conduites d’eau arrachées… Malgré les avertissements donnés aux détenus par Monsieur le surveillant chef de service, et les surveillants de garde de nuit de rester calme et de ne pas créer de désordre, toute la population pénale a été déchaînée… Différents objets tombaient sur et autour du personnel et on entendait des cris : “à mort les gaffes”. En voyant qu’il n’y avait rien à faire contre cette mutinerie, j’ai retiré tout le personnel, y compris les gendarmes, devant la grille d’entrée, pour garder la sortie de la prison. Les détenus, une fois dans le couloir, ont fait un grand trou dans le mur qu’on a construit provisoirement au fond de la section vers les préaux et un grand nombre a pris la fuite. La grande partie s’évadait par la porte en bois que les Allemands avaient fait dans un mur anciennement allemand et seulement quelques-uns sont partis par la petite brèche qu’on avait laissée dans le mur reconstruit pour permettre de sortir les débris. »36
Suit la liste des 249 évadés : 199 sont originaires du Nord - Pas-de-Calais, 18 de Belgique et 9 d’Ile-de-France ; 228 résidaient dans le Nord - Pas-de-Calais et 10 en Belgique avant d’être incarcérés ; âge moyen : 30 ans ; 178 sont des prévenus et 71 condamnés à une courte peine étaient à Saint-Bernard quand ils ont pris la poudre d’escampette.

Passée la Libération, un état nominatif des détenus incarcérés sur ordre des Autorités françaises (1er au 15 septembre 1944)37  révèle que 65 % des femmes ont été incarcérées pour des délits politiques (10 % d’infractions économiques, 10 % pour intelligence avec l’ennemi). Elles ont 33 ans d’âge moyen, 40 % sont originaires du Nord, 10 % sont parisiennes, 5 % sont d’origine polonaise. 58,1 % des hommes ont commis une infraction politique, consistant pour 
36,5 % d’entre elles dans une infraction économique. Les hommes ont 32 ans d’âge moyen, 61 % sont des nordistes.
La prison est à nouveau surpeuplée, jusqu’à atteindre certains jours plus de 2 000 prisonniers. Tous ou presque oisifs, ainsi que le constate un rapport alarmant du 14 avril 1945 de Paul Amor, le nouveau directeur de l’administration pénitentiaire, au garde des Sceaux : « Il n’a pas été possible jusqu’à maintenant de donner du travail aux détenus. D’abord par manque de matière première, ensuite à cause de l’encombrement des locaux qui ne permet pas d’organiser des ateliers. Quelques travaux de tricotage et de filets de pêche sont assurés. Mais la reprise économique qui donnera son essor au travail dans les prisons n’a pas encore fait sentir ses effets et l’immense majorité des détenus sont au chômage. »38
Dans l’intervalle, le 1er septembre 1944, était parti de la gare de Tourcoing, pour une destination inconnue, le dernier train de Loos.

 

Notes bibliographiques

J’ai puisé l’essentiel de ma documentation dans le mémoire de maîtrise de Carine Froigné, La maison centrale. Le domaine pénitentiaire de Loos de 1940 à 1945 (maîtrise d’histoire contemporaine, université Charles De Gaulle, Lille III, juin 2000, 219 p.), l’étude sur la prison de Loos sous l’Occupation, 1940-1944 de Paul Ducroquet (adressée au Comité d’histoire, Commission de la déportation, Lille, le 14 juillet 1955, 75 p.), l’ouvrage d’Yves Le Maner, Le « Train de Loos ». Le grand drame de la déportation dans le Nord-Pas-de-Calais (préface d’Annette Wieviorka, Yves Le Maner, 2003, 263 p.) et dans le mémoire de sous-directeur de Sergio Salvadori, Guerre et prison : la maison d’arrêt de Loos sous l’Occupation, 1940-1944 (ENAP, Fleury-Mérogis, 1981, 132 p.).

Notes

1.

Archives départementales du Nord (ADN), 93 W 52125-14.

2.

ADN, 93 W 52153-11.

3.

ADN, 93 W 52152-14.

4.

ADN, 93 W 52152-15.

5.

ADN 1 W 335

6.

ADN, 1 W 969.

7.

Ibid.

8.

Y. Le Maner, Le “train de Loos”. Le grand drame de la déportation dans le Nord - Pas-de-Calais, 2003, p. 22.

9.

ADN, 1 W 974.

10.

ADN, 131 W 61829.

11.

ADN, 1 W 2476.

12.

ADN, 131 W 61829.

13.

Ibid.

14.

Y. Le Maner, op. cit., p. 24.

15.

ADN, 1 W 973.

16.

ADN, 1 W 332.

17.

ADN, 1 W 457

18.

ADN, 1 W 457.

19.

ADN, 1 W 968.

20.

ADN, 1 W 457.

21.

ADN, 131 W 61829.

22.

ADN, 1 W 968.

23.

ADN, 1 W 457.

24.

ADN, 1 W 993.

25.

ADN, 1 W 968.

26.

ADN, 1 W 967.

27.

ADN, 1 W 974.

28.

Ibid.

29.

ADN 1 W 155.

30.

ADN, 1 W 969.

31.

ADN, 505 U 512/8.

32.

Le 7 avril, les effectifs de la section française étaient de 739 hommes et 172 femmes. Voir P. Ducroquet, op. cit. ci-dessous, p. 46.

33.

ADN, 93W52152-16.

34.

ADN, 131 W 61832.

35.

F. Beurtheret, « Le train de Loos », Historia, 322, septembre 1973, p. 140-150, p. 141.

36.

ADN, 42 W 39351-8.

37.

ADN, 42 W 39351-8

38.

ADN, 30 W 38566-1.