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Plume de greffier. La Lettre et l'Image dans les archives du Parlement de Paris

Des initiales ouvragées à l'encre et à la plume

Monique Morgat-Bonnet

Des initiales ouvragées à l'encre et à la plume

À partir du XIVe siècle, le greffier de la Cour (ou l’un de ses clercs) commence à agrémenter l’initiale débutant l’arrêt qu’il recense de petits dessins, souvent des visages ou des profils, ou bien il se contente d’accentuer à l’encre les majuscules débutant l’acte.

Au fil du temps, les dessins deviennent plus ouvragés et plus esthétiques, soulignent par exemple avec faste l’ouverture de la session du Parlement à la Saint-Martin d’hiver (12 nov.) et ornent avec élégance et virtuosité la première lettre de certains arrêts. Ces décors sont parsemés de manière aléatoire dans les registres, ils sont liés au goût du greffier pour l’ornementation et aussi surtout à son habileté et à la formation qu’il a pu acquérir, au sujet de laquelle on ne peut avancer que des hypothèses.

Appropriation d’une iconographie existante, celle de la mémoire du roi

L’examen des images rencontrées au fil des registres de la Cour de Parlement nous oriente vers une similitude avec le décor qui fut celui des chartes royales ornées contenues au Trésor des chartes des rois de France, fonds conservé aux Archives nationales (série J). Cette mémoire du roi, ornée de splendides décors, a été mise en valeur par le conservateur en chef responsable de ce fonds, M. Ghislain Brunel, qui a publié un remarquable ouvrage illustré des plus belles chartes médiévales (Images du pouvoir royal. Les chartes décorées des Archives nationales XIIIe-XVe siècle, Somogy éditions d’art, 2005). Laissons lui donc la parole :

« Le fonds du Trésor des chartes recèle de très beaux exemplaires de chartes royales ornées : en effet, en quelques circonstances exceptionnelles, les actes du gouvernement royal recevaient une décoration qui marquait l’intérêt du souverain pour le bénéficiaire de sa faveur ou qui signalait à la postérité l’importance d’une décision. Il arrivait également au roi de parer ses textes d’images pour célébrer un événement politique ou personnel qui n’avait pas de lien direct avec sa décision mais dont il voulait garder trace à cette occasion. Selon les cas, la chancellerie élaborait des images qui glorifiaient les emblèmes et les insignes de la dynastie, qui portraituraient le roi ou le mettaient en scène avec les destinataires du texte, qui rappelaient les moments forts de la vie princière (la chasse, par exemple) ; il arrivait aussi qu’on laissât les artistes donner libre cours à leur imagination, dans des limites raisonnables ou dans les espaces marginaux de l’illustration. Les chartes décorées ajoutent la valeur de l’imaginaire à la force du sens et de la raison. Le règne de Philippe VI de Valois (1328-1350) fut une étape décisive du processus de diffusion de l’illustration dans les actes royaux. Son petit-fils Charles V (1364-1380), poursuivit l’œuvre fondatrice du premier Valois. Son règne constitua une sorte d’apogée du phénomène, par la quantité et par l’esthétique des chartes ornées élaborées par sa chancellerie. Cette mode fut suivie par les diverses instances de l’administration royale, notamment par la Cour de justice souveraine, le Parlement. Elles s’approprièrent l’iconographie existante et l’adaptèrent à leurs besoins ».

Les deux chancelleries, celle du roi et celle du Parlement, entretenaient d’étroites relations ; les premiers greffiers du Parlement travaillaient aussi parfois pour la chancellerie royale. Il est probable que leur formation artistique ait été commune, dispensée dans les ateliers d’enlumineurs si nombreux à Paris au Moyen Âge. M. Brunel a démontré que certains enlumineurs ont illustré aussi des chartes royales ; leur savoir et leurs techniques ont pu se diffuser jusqu’à la chancellerie du Parlement car on ne peut que remarquer une similitude frappante de style et de thèmes entre le décor des chartes et celui des registres de la Cour, même si le décor des chartes est beaucoup plus somptueux et témoigne d’une virtuosité sans égale.

Initiale I fleurdelisée en forme de poisson

Source : Archives nationales, X2A 10, fol. 208, 1380.

Initiale I fleurdelisée en forme de poisson et comportant un masque grotesque tirant trois langues. Terminaison en fouet. (In nomine...).

Les lettres ornées des registres d’arrêts de la cour de Parlement, mémoire du droit

Dans les archives du Parlement, les lettres décorées se rencontrent dès le début du XIVe siècle, parsemant les folios des registres civils et criminels de manière aléatoire selon l’imagination et le talent des scribes. Les initiales décorées qui débutent les arrêts sont répétitives : ce sont par exemple les A de Arresta, les C de Cum, les L de Lis.

Les motifs décoratifs d’inspiration très variée sont la fleur de lys, les feuillages, feuilles de chêne notamment, les perles, les torsades et cadelures, les animaux familiers ou légendaires, les visages barbus, hirsutes et grotesques. Il ne paraît pas possible d’établir de relation entre ce décor et le contenu de l’acte judiciaire qui révèle un contentieux courant et banal comme, par exemple, un litige entre deux candidats à la collation d’un bénéfice ecclésiastique, un paiement de rente, ou encore un litige successoral. Le greffier donne libre cours à sa fantaisie, voire à ses facéties.

Lys capétien et poisson valois.

A l'époque de Charles V, le début des arrêts est agrémenté d'initiales et de lettrines ornées de fleurs de lys - symbole royal introduit dans le décor des chartes en 1304 par Philippe IV le Bel - et de poissons, avec ou sans nageoire, introduits dans le décor des chartes sous Jean II le Bon.

Initiale I au poisson fleurdelisé et avec trois nageoires

Source : Arch. nat., X2A 10, fol. 187 v°, 1380.

Cliché n°2 : Initiale I au poisson fleurdelisé et avec trois nageoires. Demi-fleur de lys latérale. Terminaison en fouet. Ligature avec le S de la seconde ligne. (In nomine…).

Sous Charles V et Charles VI, les registres du Parlement contribuent à la banalisation d’une iconographie testée à la chancellerie royale. Le plus bel exemple en est sans doute l'initiale fleurdelisée en forme de poisson, symbole chrétien, avec ou sans nageoire (clichés n°1 et 2-1380). Elle est la descendante de l’initiale J (= I) du nom du roi Jean II le Bon (1350-1364), qui crée ce type au poisson avant même d’accéder au trône, lorsqu’il n’était que duc de Normandie. À noter aussi le masque hirsute tirant trois langues, qui forme le bas de cette initiale au poisson (cliché n°1), ces visages hirsutes étant un classique des chartes des rois de France dès 1300.

L’usage de la demi-fleur de lys lui était couramment associé, usage adopté aussi par le greffier du Parlement (cliché n°2).

Initiale A au poisson avec nageoires dorsales

Source : Archives nationales, X1A 9193, fol. 58, 1435.

Cliché n° 3 : Initiale A au poisson avec nageoires dorsales, décorée de feuilles de chêne et d’un décor perlé. (Arresta pictavis…).

La banalisation du poisson comme corps de lettre ou comme jambage d’attaque d’une initiale est acquise dès le XIVe siècle à la chancellerie royale ; le Parlement ne pouvait pas y échapper (cliché n°3-1435). Les feuilles de chêne sont un classique des Valois.

Initiale C cadelée

Source : Arch. nat., X1A 9193, fol. 100 v°, 1435.

Cliché n°4 : Initiale C cadelée, motifs géométriques dans la haste, décor perlé se terminant en vrilles. Ligature de la boucle du C avec le L de lis. (Cum lis mota…).

Cadelures et entrelacs.

Les clichés n° 4 à 11 sont typiques de l’évolution des styles décoratifs des chartes royales à partir de 1400 : les scribes utilisent les cadelures, traits à l’encre noire découpant les lettres en petits ornements, ce qui leur permet de laisser libre cours à leur fantaisie. Ces motifs ornementaux sont utilisés par les scribes du Parlement dès le début du XVe siècle. Elizabeth Danbury nous apprend qu’en Angleterre à partir de 1430 certaines lettres de la titulature royale sont « enrichies d’entrelacs, de traits entrecroisés à la plume connus sous le nom de « cadeaux » ou « cadelures » et qu’elles sont l’œuvre des clercs de chancellerie eux-mêmes. Elle ajoute que ce motif est originaire d’Europe du Nord, probablement de France, et que son usage s’est répandu dans toute l’Europe à la fin du XVe siècle. Les cadelures décoraient aussi les archives des cours de justice centrales en Angleterre. Ce motif a donc connu un succès certain en France et en Angleterre pour l’ornementation des archives, tant royales que judiciaires.

Initiale C constituée de deux torsades et d’un décor perlé

Source : Arch. nat., X1A 9191, fol. 53 v°, 1427.

Cliché n° 5 : Initiale C constituée de deux torsades et d’un décor perlé ; boucle du C se terminant par des cadelures. (Cum lis mota fuisset…).

Initiale C et lettrines L, F, S, S, L

Source : Arch. nat., X1A 75, fol. 164, 1445.

Cliché n°6 : Initiale C et lettrines L, F, S, S, L. Lettres cadelées et décor de fouets du plus bel effet sur toute la première ligne d’un arrêt pour un effet visuel saisissant. (Cum lis mota fuisset in nostra parlamenti curia).

Initiale A cadelée avec torsades dans les jambages

Source : Arch. nat., X1A 75, fol. 93, 1445.

Cliché n° 7 : Initiale A cadelée avec torsades dans les jambages. La haste du S de Arresta est entourée d’un phylactère ou d’un ruban.

Initiale C cadelée et ornée de motifs végétaux, floraux, de vrilles et de perles

Source : Arch. nat., X1A 9193, fol. 103 v°, 1435.

Cliché n° 8 : Initiale C cadelée et ornée de motifs végétaux, floraux, de vrilles et de perles. Dans la marge de l’arrêt figure une caricature qui pourrait être celle de Jean Bouhale, maître-écolâtre du chapitre cathédral d’Angers et partie principale au procès. La tête d’un animal est aussi dessinée, sans doute un petit chien. (Cum dilectus nobis…).

Initiale C avec cadelures fermant la boucle du C et motifs végétaux

Source : Arch. nat. X1A 9190, fol. 319 v°, 1424.

Cliché n° 9 : Initiale C avec cadelures fermant la boucle du C et motifs végétaux. (Constitutis…).

Initiale C avec cadelures, perles et motifs végétaux

Source : Arch. nat., X1A 9190, fol. 319 v°, 1424.

Cliché n° 10 : Initiale C avec cadelures, perles et motifs végétaux. (CumGuillermus…).

Initiale C fermée de cadelures, la panse étant remplie de pétales et de l’esquisse d’un visage

Source : Arch. nat., X1A 9190, fol. 281 v°, 1424.

Cliché n° 11 : Initiale C fermée de cadelures, la panse étant remplie de pétales et de l’esquisse d’un visage. (Cum…).

Initiale K ornée d’un profil grotesque au chapeau à plume

Source : Arch. nat., X2A 9, fol. 167, 1379.

Cliché n° 12 : Initiale K ornée d’un profil grotesque au chapeau à plume. (Karolus…).

La veine grotesque

L’initiale qui débute un arrêt est parfois ornée d’un visage, réaliste ou caricatural et grotesque. Trois exemples sont présentés ici, (clichés n° 12 à 14) trois K de Karolus ; on notera les deux longs visages barbus accrochés le long du jambage initial du K d’un registre du temps de Charles VI (cliché n°13-1391) et qui apparaissent sur les actes royaux de la fin du règne de Charles V (1378-1380). Ornée de feuilles de chêne tracées à gros traits, et qui constituent un végétal classique des actes des Valois après 1360, cette initiale se situe donc bien dans la tradition de la chancellerie royale. Le dernier K est typiquement un visage grotesque jouant de la flûte (cliché n°14).

Initiale K ornée de deux longs visages barbus et de feuilles de chêne dessinées à gros traits

Source : Arch. nat., X2A 11, fol. 120, 1391.

Cliché n° 13 : Initiale K ornée de deux longs visages barbus et de feuilles de chêne dessinées à gros traits. (Karolus…).

Initiale K ornée d’un visage grotesque jouant de la flûte à bec

Source : Arch. nat., X1A 9195, fol. 15, 1419.

Cliché n°14 : Initiale K ornée d’un visage grotesque jouant de la flûte à bec. (Karolus…).

(Litige entre le chapitre de l’église Saint-Genès à Thiers dans le Puy-de-Dôme et le curé d’Aigueperse concernant les droits curiaux de ce dernier).

Initiale K comportant une accumulation de motifs

Source : Arch. nat., X2A 23, fol. 51, 1441.

Cliché n° 15 : Initiale K comportant une accumulation de motifs : torsades et cadelures terminées d’un visage ; dans le jambage du K, un poisson et deux visages barbus ; la boucle du K est figurée par deux poissons aux larges nageoires tandis qu’un profil grotesque en remplit la panse.

Cette veine grotesque qui avait débuté à la chancellerie royale dans les années 1300 avant de s’épanouir sous le règne de Charles V est reprise à plaisir par les scribes dessinateurs du Parlement comme en témoignent encore les quatre images suivantes (n°16 à 19), du milieu du XVe siècle au début du XVIe.

Initiale C cadelée et ornée d’un profil grotesque

Source : Arch. nat., X1A 75, fol. 240 v°, 1446.

Cliché n° 16 : Initiale C cadelée et ornée d’un profil grotesque. (Cum in certa…).

Initiale C cadelée et ornée d’un profil grotesque

Source : Arch. nat., X1A 75, fol. 244, 1446.

Cliché n° 17 : Initiale C cadelée et ornée d’un profil grotesque. (Cum in certa causa…).

Initiale C affublée de trois têtes superposées

Source : Arch. nat., X1A 160, fol. 87, 1517.

Cliché n° 18 : Initiale C affublée de trois têtes superposées, les yeux ouverts ou fermés, et de quelques cadelures, motif toujours en vogue au Parlement au XVIe s. (Cum in certa causa…).

Initiale C décorée latéralement de deux têtes superposées

Source : Arch. nat., X1A 160, fol. 79, 1517.

Cliché n° 19 : Initiale C décorée latéralement de deux têtes superposées, les yeux ouverts pour la 1ère, les yeux fermés ou masqués pour la 2ème qui tire la langue ; à l’intérieur de la boucle du C figure un profil grotesque au chapeau à grelot ; l’initiale est fermée de l’esquisse d’un profil. (Cum in certa…).

Initiale C aux deux portraits caricaturaux

Source : Arch. nat., X1A 8, fol. 59, 1339.

Cliché n° 20 : Initiale C aux deux portraits caricaturaux. (Cum…).

Portraits et bestiaire.

Certaines initiales comportent à la fois le dessin d’un visage inclus dans la panse de la lettre et celui d’animaux familiers ou appartenant à un bestiaire légendaire. Le greffier de 1339 (clichés n° 20 à 24) reprend à plaisir l’insertion du visage humain (de profil, de face ou de trois-quarts) dans les lettres et dessine aussi des animaux hybrides et légendaires tels les dragons ailés, reconnaissables à leurs longues oreilles, à leur museau et leurs pattes, seuls ou en couple. Apparaissant sur une charte de Philippe VI en 1337, le décor des dragons trouve ici son prolongement immédiat dans l’écrit de la plus haute Cour de justice du royaume. Il prendra une ampleur considérable dans le décor des chartes de Charles V (1364-1380).

Initiale C avec un portrait de trois quarts dans la panse de la lettre

Source : Arch. nat., X1A 8, fol. 56, 1339.

Cliché n° 21 : Initiale C avec un portrait de trois quarts dans la panse de la lettre, un poisson dans le jambage. Latéralement, un chien de chasse est affronté à un dragon à ailes d’oiseau et longues oreilles. (Cum nuper…)

(Le Parlement en appel confirme la sentence de l’évêque de Paris condamnant Michel le Saunier à faire tracer à ses frais un sillon entre sa vigne et celle de son voisin).

Initiale C avec dans la panse de la lettre un visage de face tirant la langue

Source : Arch. nat., X1A 8, fol. 59 v°, 1339.

Cliché n° 22 : Initiale C avec dans la panse de la lettre un visage de face tirant la langue, un serpent dans le jambage et, latéralement, deux dragons aquilins à longues oreilles se faisant face. (Cum nuper…).

Initiale C avec un quadrillage de remplissage

Source : Arch. nat., X1A 8, fol. 60, 1339.

Cliché n° 23 : Initiale C avec un quadrillage de remplissage, un joueur de tambourin et en bas un animal hybride à ailes et serres d’oiseau se terminant par une tête de lapin. À gauche du jambage, dessin d’un profil. (Cum nuper Guillermus…)

(Le Parlement confirme la sentence du bailli de Vermandois déboutant Guillaume de sa demande de remboursement de dépens).

Initiale C dont la boucle est formée d’un tronc d’arbre autour duquel s’enroule un dragon

Source : Arch. nat., X1A 160, fol. 162 v°, 1518.

Cliché n° 24 : Initiale C dont la boucle est formée d’un tronc d’arbre autour duquel s’enroule un dragon ; des entrelacs sont aussi présents. (Cum in …).

Le thème du dragon

Le dragon peuple les bestiaires de toutes les civilisations ; connu dès l’Antiquité, Pline l’Ancien fait une description très précise de sa morphologie et de son mode de vie ; l’Egypte aussi a ses dragons et les dragons célestes d’Extrême Orient sont connus en Occident dès l’époque mérovingienne. En Occident, l’origine du dragon est probablement celtique. Ce mythe païen est récupéré par la culture chrétienne à l’époque mérovingienne qui en fait une bête diabolique crachant le feu de l’enfer et combattue par des saints. C’est une allégorie du mal, du diable, du paganisme. Au XIIIème siècle, saint Marcel est représenté au portail de Notre-Dame de Paris maîtrisant le dragon, c’est-à-dire le paganisme. Les chapiteaux des églises après les croisades offrent à voir des dragons d’inspiration orientale. L’oriflamme de l’empereur Otton de Brunswick arborait un aigle surmontant un dragon.

Dans les clichés précédents nous avons vu des dragons aquilins représentés au XIVe siècle. Au XVIe siècle on trouve encore l’écho, lointain et abâtardi, du motif du dragon dans un registre de 1518 (clichés n° 24 à 28) où le greffier, outre les dragons aquilins, y ajoute le motif des dragons à ailes de chauve-souris, qui décalque de surcroît un motif bien attesté en 1367 dans les chartes royales, celui des dragons enchevêtrés se mordant. De maléfique, le dragon est devenu ornemental.

Initiale C dont la boucle est constituée d’un dragon griffu à bec d’oiseau

Source : Arch. nat., X1A 160, fol. 138, 1518.

Cliché n°25 : Initiale C dont la boucle est constituée d’un dragon griffu à bec d’oiseau, avec barbiche et des moustaches partant du bec. Ressemblance avec le dragon-oiseau japonais. Croisillons à gauche. (Cum a quadam…).

Initiale C formée de deux dragons barbus à ailes de chauve-souris

Source : Arch. nat., X1A 160, fol. 125 v°, 1518.

Cliché n°26 : Initiale C formée de deux dragons barbus à ailes de chauve-souris, l’un venant mordre l’autre ; flèche sortant de la gueule. (Cum a quadam…).

Initiale C formée de deux dragons enchevêtrés se mordant

Source : Arch. nat., X1A 160, fol. 130, 1518.

Cliché n°27 : Initiale C formée de deux dragons enchevêtrés se mordant, à ailes de chauve-souris, avec une flèche sortant de la gueule. (Cum a quadam…).

appellantem

Source : Arch. nat., X1A 75, fol. 126 v°, 1445.

Cliché n° 28 : appellantem

Les phylactères

Parfois, en bas de page d’un registre, le greffier dessine un phylactère (clichés n° 28 à 30), sorte de ruban enroulé à la façon d’un parchemin et comportant une inscription : il s’agit des premiers mots de la page suivante, ce qui lui permet de ne pas perdre le fil de la recension et de faciliter l’archivage ultérieur.

De succedendo per dictas

Source : Arch. nat., X1A 75, fol. 149 v°, 1445.

Cliché n°29 : De succedendo per dictas

Seu sentenciam precedentibus

Source : Arch. Nat., X1A 75, fol. 138 v°, 1445.

Cliché n°30 : Seu sentenciam precedentibus

Conséquence de son origine féodale de Curia regis, de Cour du roi, cour des vassaux et des prélats qui, en plus de juger souverainement, conseillait le souverain, le Parlement au Moyen Âge a gardé vocation à intervenir aussi dans les affaires générales du royaume à la demande du roi. Cette activité extrajudiciaire a été, elle aussi, consignée par les greffiers dans les registres du Conseil. Ils recensent les décisions prises par la Cour à l’issue des délibérations, mais aussi la relation par le greffier des événements politiques et guerriers qui jalonnent la vie du royaume ainsi que tout ce qui affecte la vie de la compagnie. Les marges des registres médiévaux sont parfois illustrées de croquis d’une facture simple et parfois un peu maladroite, en relation étroite avec l’acte ainsi mis en valeur.

Sous le dessin de la main, le greffier indique la teneur de cette décision prise au conseil du Parlement

Source : Arch. nat., X1A 1480, fol. 275, 1423.

Cliché n° 26 : Sous le dessin de la main, le greffier indique la teneur de cette décision prise au conseil du Parlement : de prerogativa presidente camere inquestarum (au sujet des prérogatives du président de la Chambre des enquêtes). Il s’agit en effet pour la Cour de régler une querelle de préséance entre le président de la Chambre des enquêtes et un conseiller de la Grand Chambre qui prétend siéger et s’asseoir au-dessus du président des enquêtes. Sur requête de ce dernier, la Cour décide en faveur du président de la Chambre des enquêtes.

L’alliance du texte et de l’image : les croquis marginaux des registres du Conseil

Après 1400, les greffiers du Parlement débordent le cadre strict du texte pour orner d’illustrations les marges des registres du Conseil (clichés n° 26 à 35). L’image prend dans ce cas une autre valeur. Elle sert de commentaire, elle signale et visualise l’information pour attirer l’attention du futur lecteur ou des collègues de travail qui sont appelés à manier le registre. Les scribes-dessinateurs sortent de la norme iconographique fondée sur la tradition séculaire des cours royales et n’hésitent plus à livrer leur opinion et leur interprétation des événements au sein de leur travail administratif, fait caractéristique du XVe siècle.

Les marges de ces registres comportent souvent des mains dessinées avec un index démesurément allongé qui pointe vers l’acte que veut isoler et désigner le scribe, soulignant ainsi son importance et nous incitant à le lire (cliché n° 26).

L'unique « portrait » de Jeanne d'Arc réalisé de son vivant

Source : Arch. nat., X1A 1481, fol. 12, 1429.

Cliché n°27 : Le croquis marginal le plus célèbre est attribué au greffier civil Clément de Fauquembergue qui a brossé un « portrait » de Jeanne d'Arc en face de son récit très précis et vivant de la levée du siège d’Orléans le 10 mai 1429 (cliché n° 27). Cette représentation de Jeanne d’Arc est précieuse car c’est la seule réalisée de son vivant et elle est révélatrice par les choix que fait le greffier : elle est revêtue d’habits féminins élégants et coiffée de cheveux longs noués en tresse, mais c’est avant tout une combattante qui porte l’épée et brandit un étendard sur lequel flotte le nom de « Jhesus ». Par ce modeste croquis d’une dizaine de centimètres, le greffier du Parlement sait nous transmettre l’essentiel : Jeanne est une guerrière qui se bat au nom de Dieu.

Le dessin d’un moulin signale une poursuite intentée en 1420 par le procureur du roi à l’encontre des meuniers de Paris pour leurs exactions et abus commis au préjudice de la chose publique et en enfreignant les ordonnances royales et celles de la Cour

Source : Arch. nat., X1A 1480, fol. 219, 1420.

Cliché n° 28 : Le dessin d’un moulin signale une poursuite intentée en 1420 par le procureur du roi à l’encontre des meuniers de Paris pour leurs exactions et abus commis au préjudice de la chose publique et en enfreignant les ordonnances royales et celles de la Cour. Ils sont condamnés à demander pardon en la Cour au procureur du roi et à aller, tenant des cierges allumés d’une livre de cire, par le Grand pont et le pont Notre-Dame à l’église de Paris où ils déposeront leurs cierges devant l’image de Notre-Dame.

L’abbaye royale de Saint-Denis illustre un acte de 1418 la concernant

Source : Arch. nat., X1A 1480, fol. 135, 1418.

Cliché n° 29 : L’abbaye royale de Saint-Denis illustre un acte de 1418 la concernant : il s’agit de lettres royaux patentes scellées mentionnant les droits, profits, rentes et revenus amortis cédés par le roi à l’abbaye de Saint-Denis. La lecture et l’enregistrement de ces lettres patentes sont demandés à la Cour mais l’avocat du roi Guillaume Le Tur les estime déraisonnables et préjudiciables au roi. Après avoir entendu le chancelier, la Cour décide néanmoins de les enregistrer, mais en enregistrant aussi l’opinion contraire de Le Tur.

Ce cliché représente un chanoine du chapitre cathédral de Reims

Source : Arch. nat., X1A 1478, fol. 94, 1403.

Cliché n° 30 : Ce cliché représente un chanoine du chapitre cathédral de Reims. Un procès oppose les prévôt, doyen, chantre et chapitre à l’archevêque de Reims. Les chanoines prébendés, admonestés et excommuniés par l’archevêque, sont toutefois maintenus en saisine de leur prébende par la Cour. Sur le phylactère, notons l’inscription : revertimini ad judicium et quod justum est judicare (souviens toi du jugement et qu’il est juste de juger). « Souviens toi du jugement » est une citation biblique : Daniel, XIII, 49.

L’écu brisé de Louis, duc d'Orléans

Source : Arch. nat., X1A 4788, fol. 7 v°, 1407.

Cliché n° 31 : L’écu brisé de Louis, duc d'Orléans illustre de manière explicite la relation faite par le greffier Nicolas de Baye de l’assassinat de ce prince, frère du roi Charles VI, par les spadassins du duc de Bourgogne Jean sans Peur le 23 novembre 1407. La facture simple de ce dessin symbolise parfaitement l’extrême violence du crime.

La couronne

Source : Arch. nat., X1A 1480, fol. 257 v°, 1422.

Cliché n° 32 : La couronne, emblème royal, indique ici le décès, le 31 août 1422, d’Henri V, roi d’Angleterre devenu régent de France en vertu du traité de Troyes signé en 1420 entre le roi anglais Henri V, d’une part et Charles VI, Isabeau de Bavière et le duc de Bourgogne d’autre part.

Le lion anglais et l’hermine bretonne

Source : Arch. Nat., X1A 1480, fol. 273, 1423.

Cliché n° 33 : Le lion anglais et l’hermine bretonne illustrent le vidimus d’un traité signé à Amiens le 17 avril 1423 entre Jean, duc de Bedford, régent du royaume de France après la mort de son frère Henri V de Lancastre, Philippe, duc de Bourgogne, et Jean, duc de Bretagne, par lequel ils s’engagent à « bouter la guerre » hors du royaume de France.

de grapheris et hostiariis curie

Source : Arch. Nat., X1A 1478, fol. 239 v°, 1405.

Cliché n° 34 : Marge de gauche du registre. Dans la marge, le greffier a écrit : de grapheris et hostiariis curie (au sujet des greffiers et des huissiers de la cour).

Le greffier Nicolas de Baye (ou l’un de ses clercs) s’est amusé à se représenter lui-même avec précision et élégance, dans l’exercice de son office, la plume à la main, dans la marge de gauche de son registre. Dans celle de droite, il dessine son collègue, l’huissier du Parlement. Ces deux dessins (clichés n° 34-35) illustrent parfaitement l’acte qu’ils encadrent qui concerne le statut, plus précisément la titulature, du greffier et de l’huissier du Parlement, cour souveraine du royaume, qui ont seuls le droit de porter ces titres, à l’exclusion des autres cours de justice. Ainsi en décide le premier président du Parlement, Henri de Marle.

Rare représentation d’un huissier au Parlement

Source : Arch. Nat., X1A 1478, fol. 239 v°, 1405.

Cliché n° 35 : Marge de droite du registre. Rare représentation d’un huissier au Parlement.

Initiale F (François par la grâce de Dieu…)

Source : Arch. nat., X1A 8611, fol. 354 v°, 1521.

Cliché n° 36 : Initiale F (François par la grâce de Dieu…). L’ensemble pourrait évoquer la calligraphie orientale.

Les registres d’ordonnances

Quant aux registres d'ordonnances qui consignent les actes royaux enregistrées par le Parlement, ils comportent aussi des initiales royales richement décorées comme le F cadelé présenté ici (cliché n° 36) agrémenté de torsades et prolongé d’un portrait qui, bien que dépourvu de couronne, pourrait être celui de François Ier.

L’iconographie des registres du Parlement, si on la met en regard de celles des chartes royales ornées, révèle que ses modèles sont issus de la chancellerie royale qui les lance et les teste, alors que la chancellerie du Parlement les imite, parfois immédiatement, ou avec un léger décalage dans le temps ; on assiste aussi à des reprises tardives comme le motif du dragon. En effet, les greffiers du Parlement, une fois un motif adopté, l’utilisent encore bien après que la chancellerie royale l’a abandonné : ainsi, le poisson, lié au seul règne de Jean II le Bon, est utilisé au Parlement du XIVe au XVIe siècle. Quant au dragon, emblématique du règne de Charles V, on le rencontre encore au Parlement au XVIe siècle, tout comme les cadelures qui connaissent une remarquable longévité.

Révélatrice d’une possible formation commune des scribes des deux chancelleries, en tout cas d’un partage de leurs idées et de leurs croquis, l’iconographie cachée et largement inconnue des registres de la Cour souveraine du royaume s’inscrit dans la plus pure tradition royale. La mémoire du roi conservée au Trésor des chartes et dotée de somptueux décors inspire la mémoire du droit et de la justice, mais plus sobrement. L’image au Moyen Âge, qu’elle soit inscrite dans la pierre ou sur le parchemin, est omniprésente ; elle a valeur de témoignage. À l’instar de l’écrit, elle est le vecteur d’une transmission de l’information par delà les siècles, et donc d’une communication entre passé et présent.

Monique Morgat-Bonnet, Ingénieur au CNRS (Institut d’Histoire du Droit/CEHJ).