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Les artistes du bagne. Chefs-d'oeuvre de la débrouille (1748-1953)

Cette exposition virtuelle reprend en partie celle qui a été présentée au Musée Balaguier de La Seyne-sur-Mer du 27 mars 2010 au 18 septembre 2011. 

Les images présentées sont issues des collections du Musée Balaguier, du Musée des beaux-arts de Chartres, du Musée Ernest Cognacq de Saint-Martin-de-Ré et de collections privées. 

L’exposition Les artistes du bagne. Chefs-d’œuvre de la débrouille 1748-1953 présente une vue d’ensemble particulièrement riche et variée de la production artistique issue des bagnes français (Toulon, Nouvelle-Calédonie et Guyane française). 

Les commentaires ont été rédigés par Michel Pierre, Éléonore Bozzi, Julien Gomez-Estienne, Claire Jacquelin, Hélène Bourilhon, Franck Sénateur, Philippe Bihouée, Lison de Caunes, Jean-Lucien Sanchez, François Macé de Lépinay et Isabelle Stetten.

Commissariat de l’exposition : Hélène Bourilhon, Julien Gomez-Estienne.

Comité scientifique : Eléonore Bozzi, Claire Jacquelin, Jean-Lucien Sanchez, Franck Sénateur, François Macé de Lépinay, Michel Pierre.

Conseiller scientifique et montage technique : Jean-Lucien Sanchez. 
Mise en ligne : La réalisation a bénéficié d’une aide financière de l’Agence nationale de la recherche (Projet sciencepeine n° ANR-09-SSOC-029).

Sur le bagne, voir aussi sur Criminocorpus : 
L’exposition n° 2 : Le camp de la relégation à Saint-Jean-du-Maroni
L’exposition n° 6 : Le bagne en relief
Le dossier thématique "Les bagnes coloniaux"

Musée Balaguier

Cette exposition virtuelle reprend en partie celle qui a été présentée au Musée Balaguier de La Seyne-sur-Mer du 27 mars 2010 au 18 septembre 2011.
Les images présentées sont issues des collections du Musée Balaguier, du Musée des beaux-arts de Chartres, du Musée Ernest Cognacq de Saint-Martin-de-Ré et de collections privées.

L’exposition Les artistes du bagne. Chefs-d’œuvre de la débrouille 1748-1953 présente une vue d’ensemble particulièrement riche et variée de la production artistique issue des bagnes français (Toulon, Nouvelle-Calédonie et Guyane française). Les commentaires ont été rédigés par Michel Pierre, Éléonore Bozzi, Julien Gomez-Estienne, Claire Jacquelin, Hélène Bourilhon, Franck Sénateur, Philippe Bihouée, Lison de Caunes, Jean-Lucien Sanchez, François Macé de Lépinay et Isabelle Stetten.

Commissariat de l’exposition : Hélène Bourilhon, Julien Gomez-Estienne.

Comité scientifique : Eléonore Bozzi, Claire Jacquelin, Jean-Lucien Sanchez, Franck Sénateur, François Macé de Lépinay, Michel Pierre.

Conseiller scientifique et édition en ligne : Jean-Lucien Sanchez. 
Mise en ligne : La réalisation a bénéficié d’une aide financière de l’Agence nationale de la recherche (Projet sciencepeine n° ANR-09-SSOC-029).

Sur le bagne, voir aussi sur Criminocorpus : 
L’exposition n° 2 : Le camp de la relégation à Saint-Jean-du-Maroni
L’exposition n° 6 : Le bagne en relief
Le dossier thématique "Les bagnes coloniaux"

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Cette exposition virtuelle reprend en partie celle qui a été présentée au Musée Balaguier de La Seyne-sur-Mer du 27 mars 2010 au 18 septembre 2011. Les images présentées sont issues des collections du Musée Balaguier, du Musée des beaux-arts de Chartres, du Musée Ernest Cognacq de Saint-Martin-de-Ré et de collections privées. L'exposition Les artistes du bagne. Chefs-d'oeuvre de la débrouille 1748-1953 présente une vue d'ensemble particulièrement riche et variée de la production artistique issue des bagnes français (Toulon, Nouvelle-Calédonie et Guyane française). Reproduction interdite sans autorisation. Les commentaires ont été rédigés par Michel Pierre, Eléonore Bozzi, Julien Gomez-Estienne, Claire Jacquelin, Hélène Bourilhon, Franck Sénateur, Philippe Bihouée, Lison de Caunes, Jean-Lucien Sanchez, François Macé de Lépinay et Isabelle Stetten. Commissariat de l'exposition : Hélène Bourilhon, Julien Gomez-Estienne. Comité scientifique : Eléonore Bozzi, Claire Jacquelin, Jean-Lucien Sanchez, Franck Sénateur, François Macé de Lépinay, Michel Pierre. Conseiller scientifique et montage technique : Jean-Lucien Sanchez. Mise en ligne : La réalisation a bénéficié d'une aide financière de l'Agence nationale de la recherche (Projet n° ANR-09-SSOC-029).

La camelote au bagne : gravures, scuptures et tressages de paille.

La production artistique au bagne est essentiellement issue d'un système d'économie parallèle que les forçats et le personnel de l'administration pénitentiaire surnomment communément "camelote". Cette production dont il reste de nombreux témoignages aujourd'hui constitue pour les forçats qui s'y livrent une manne financière destinée à améliorer leurs conditions de vie sur place et leur permet d'obtenir ce qu'ils ne peuvent acquérir même en travaillant régulièrement pour l'administration pénitentiaire, c'est-à-dire de l'argent. Cette "camelote" s'effectue les jours de repos ou lors des moments de libre, une fois la corvée de travail obligatoire achevée. Les objets produits sont le fruit le plus souvent de divers matériaux recyclés ou subtilisés au sein des ateliers du bagne par les forçats qui élaborent tout un artisanat local : coupe-papiers, cornes, coquillages ou noix de coco sculptés, cannes, cravaches, pantins, pirogues en balata modelé, guillotines coupe-cigare, objets de marqueterie en bois précieux, papillons sous cadre, etc.

La nacre

Nautile gravé, Nouvelle-Calédonie, collection particulière, dernier quart du XIXe siècle.

Les coquillages, abondants dans les eaux tropicales de la Nouvelle-Calédonie, sont polis pour laisser apparaître la couche translucide et irisée, puis sculptés ou gravés, jusqu'à devenir de véritables oeuvres d'art. Le plus commun de tous est le "troque nacrier" appelé aussi "troca". Ce délicat coquillage en forme de cône se trouve dans les lagons à la fin de l'hiver austral et sa chair est particulièrement appréciée. La forme elliptique de sa coquille permet la réalisation de pyramides finement décorées ou de bracelets gracieux.

Turbo marmorantus gravé, Nouvelle-Calédonie, collection particulière, dernier quart du XIXe siècle.

Plus imposant est le "Burgau" (turbo marmoratus) ou "turbo vert", dont les larges flancs arrondis sont poncés puis fractionnés en divers médaillons, portant pour motif des portraits d'insulaires ou des paysages représentant des villages kanaks. C'est le support idéal, vue la place dont dispose l'artiste, pour décrire des scénettes complètes.

Coquillage sculpté et gravé, Nouvelle-Calédonie, collection particulière, dernier quart du XIXe siècle.

Mais le plus rare, et le plus prisé de ces supports naturels, le roi de l'artisanat du bagne est à chercher ailleurs, au plus profond des fosses abyssales, il s'agit en effet du nautile : "Nautilus Macromphalus" On retrouve dans le travail de la fragile spirale logarithmique l'inspiration des maîtres artisans du XVIIe siècle, qui montaient sur des pieds d'argent ou de vermeil les magnifiques coquillages. Depuis, entre des mains expertes, le mystérieux céphalopode se transforme en une véritable dentelle de calcaire. Rivalisant d'ingéniosité, des forçats-artistes, anciens graveurs de plaques monétaires ou ébénistes du faubourg Saint-Antoine, en tirent de véritables chefs-d'oeuvre à l'inspiration locale.

Valve d'huître gravée, Nouvelle-Calédonie, collection particulière, dernier quart du XIXe siècle.

De nombreux portraits sont réalisés sur ces coquillages, dont certains avec une expression très réaliste. Ici, le portrait en pied de l'empereur Napoléon Bonaparte.

Valves d'huitre gravée, Nouvelle-Calédonie, collection particulière, dernier quart du XIXe siècle. Ces "souvenirs" étaient vendus le plus souvent au personnel administratif des pénitenciers ou bien aux touristes de passage. Ici, un "souvenir" de Nouméa... Certains peuvent également être le fruit d'une commande passée directement par des femmes de surveillants militaires ou de commis de l'administration pénitentiaire. Le but de ces commandes est essentiellement pratique puisqu'il vise à décorer l'habitation mise à la disposition du couple ou de la famille. Les logements du personnel administratif des bagnes coloniaux sont en effet uniformes et bâtis sur le même modèle, à savoir une maisonnette individuelle, prolongée d'une pièce garde-manger et d'un jardinet. Si le mobilier réglementaire était bien fourni par les ateliers de menuiserie des bagnes, la décoration revenait quant à elle intégralement à la charge de l'occupant.

Valves d'huitre gravée, Nouvelle-Calédonie, collection particulière, dernier quart du XIXe siècle. Sur ces valves figurent les portraits d'un couple. Il doit très certainement s'agir d'une commande dudit couple à l'artiste-forçat. À Bourail, en Nouvelle-Calédonie, vers 1925, près de 342 concessionnaires profitent ainsi de leur temp de libre pour s'adonner à la production de camelote. La pratique est si répandue que les forçats se sont organisés en syndicat et vendent au tout venant leurs objets dans des boutiques et des échoppes qui s'alignent tout au long de la Grand-Rue de Bourail.

Coquillages scupltés, Nouvelle-Calédonie, Musée Balaguier, dernier quart du XIXe siècle. La camelote est encouragée par l'administration pénitentiaire et cette dernière va même l'utiliser pour organiser une véritable propagande officielle à son profit. Particulièrement soucieuse de revaloriser son image en matière de développement économique, après toutes les critiques émises au sujet de l'expérience guyanaise, elle va ainsi opter pour une communication intensive via son troisième bureau lors des grandes expositions universelles, notamment celles de 1878 et de 1889. Il est effectivement nécessaire de montrer à un public toujours plus nombreux (16 millions de visiteurs en 1878, 32 millions en 1889) les preuves tangibles de l'efficacité des politiques de colonisation pénale conduites en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, en présentant le plus grand nombre de réalisations dans tous les domaines : mobilier, gravures, ébénisterie, parfumerie, mines... Tout est bon pour vanter les mérites du bagne et les multiples objets présentés au sein du village colonial sont là pour en témoigner.

Corne

Corne sculptée, Guyane, collection particulière, première moitié du XXe siècle. La proximité d'un abattoir permet d'obtenir deux matériaux aux vertus décoratives très largement déclinables : l'os et la corne. Transformées en rondelles, en plaquettes ou en cylindres, voilà réalisées les poignées de futurs coupe-papiers, auxquels il ne reste plus qu'à adjoindre une lame de laiton ou de cuivre, récupérée à l'atelier de réparation navale par exemple. Elles ne sont pas sans rappeler par beaucoup d'aspects l'artisanat de tranchée des poilus de 14-18. En 1935, le gouverneur de la Guyane propose au ministre des colonies d'autoriser officiellement les bagnards à fabriquer de menus objets en bois, corne, écaille etc. sous la réserve que les matières premières utilisées soient des produits naturels ou bien soient directement achetées par les forçats à l'administration pénitentiaire. Le gouverneur propose ensuite de faire commercialiser ces objets directement par l'administration pénitentiaire ou par l'intermédiaire du magasin de l'office de tourisme de Cayenne. Mais ce plan est repoussé par le directeur de l'administration pénitentiaire. La camelote, bien qu'elle soit largement tolérée par les agents pénitentiaires, reste une affaire interne aux condamnés et ces derniers ont déjà suffisamment d'occasions de l'écouler sans que l'administration pénitentiaire n'ait à les y aider.

Noix de coco

Noix de coco gravée, Guyane, collection particulière, première moitié du XXe siècle. S'il est un objet qui témoigne le plus de l'artisanat des bagnards, c'est bien la noix de coco gravée. Rare objet de curiosité produit pendant toute la période des bagnes portuaires puis coloniaux, elle illustre à elle seule deux siècles d'expression dont les bagnards n'ont pas l'exclusivité. Aussi, déjà aux XVIIe et XVIIIe siècles en Europe du Nord, les noix de coco se transforment en mobilier de table ou liturgique et sont enrichies de métaux précieux. Au début du XXe siècle, les créations de Paul Gauguin leur permettront d'acquérir le statut d'oeuvre d'art, soulignant ainsi les limites perméables entre "art noble" et "art populaire". Comme l'essentiel de l'artisant du bagne, la scuplture sur noix concilie de longues heures de travail et une matière première bon marché, disponible dans les grands ports qui accueillent ces denrées encore exotiques. Les noix de coco, travaillées vertes, lorsque le coeur en est encore tendre, ne nécessitent que peu de matériel pour être embellies et transformées. Elles sont facilement transportables et leur promotion n'est plus à faire : c'est la valeur sûre de l'artisanat de la Guyane pénitentiaire !

Noix de coco gravée, Guyane, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle. En mentionnant les noms des bagnards, le type d'objets vendus et leur prix, le Registre des objets fabriqués au bagne de Toulon entre 1865 et 1866 donne un aperçu de l'ensemble de la production. Les objets confectionnés à base de noix de coco sont les plus répandus et les moins chers, ils sont à la base de l'économie du "bazar" du bagne, parfois dénommé "cocoterie". Le douzaine de "christ" en coco y est vendu deux francs et la noix entière entre dix et quatre-vingts francs.

Noix de coco gravée, Guyane, Muséée Balaguier, première moitié du XXe siècle. La noix de coco peut prendre des formes diverses. Evidée, elle se transforme en abat-jour pour bougie, coupée en deux en coupe de chasse et entière en poire à poudre, gourde ou pot à tabac. Parfois datées, très rarement signées, leur identification comme travail de bagnard et leur provenance sont souvent difficiles à établir. Quelquefois l'acheteur y a inscrit une étiquette "J'ai acheté ceci au bagne de Toulon en 1857", mais le plus souvent seul le décor permet la datation.

Noix de coco gravée, Guyane, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle. Ainsi, la figure de Napoléon et les trophées militaires indiquent clairement une période ; mais s'agit-il de bagnards ou de prisonniers de la Grande Armée en captivité en Grande-Bretagne ? L'Équerre, le Compas, le Maillet et l'Épée apparaissent quelquefois comme témoignages de déportés franc-maçons en Nouvelle-Calédonie. Les décors les plus communs à la production des différents bagnes demeurent les rinceaux de feuillage, les armes de famille, les ancres et gréments, les attributs de la musique ou des sciences et les scènes courtoises médiévales. La production guyanaise montre quelques exemples de nus "art déco". Lesueur, dans son ouvrage Toulon, nouveau guide des voyageurs de l'ancienne et la nouvelle ville, l'Arsenal de la Marine et ses annexes, décrit le "bazar" de l'industrie des condamnés et observe des "objets de coco, sculptés patiemment et avec tendresse, à l'aide d'outils improvisés, soit avec un clou, soit avec un mauvais couteau". La noix de coco devient un must que tout touriste doit rapporter de sa visite du bagne ou de son passage dans la ville qui l'accueille. C'est ce commerce qui alimentera les collections "encyclopédiques" du XIXe siècle (celle de Pierre Loti par exemple), à l'origine des fonds de nos musées publics (Musée national de la Marine, Musées de Saintes, Volvic, Rochefort, La Seyne-sur-Mer...).

Bois

Pipe en bois sculptée Musée Balaguier, premier quart du XIXe siècle. L'artiste-bagnard est avant tout un opportuniste. Son travail est destiné à être vendu pour améliorer son ordinaire et ce rapport à l'argent, qui d'ailleurs "stérilisera" quelque part son inspiration, conditionnera et orientera sa démarche. Il a beau être au bagne, il n'en ignore pas pour autant les principes de gestion de tout bon auto-entrepreneur : faible coût des matières premières, rapidité d'exécution, pas de stocks... Car contrairement à une idée reçue, il ne dispose pas dans la grande majorité des cas de beaucoup de temps pour réaliser ses oeuvres ! Quel que soit son statut, militaire, transporté, relégué ou déporté, le forçat est tenu ("forcé") de fournir une certaine quantité de travail à l'administration pénitentiaire, ce qui limite d'autant son temps de "loisir"... D'où l'intérêt d'obtenir un emploi privilégié qui permette le travail en "perruque", c'est-à-dire pour son propre compte. Le risque de vol permanent dans les cases collectives justifie à lui seul de ne pas perdre de temps et de ne rien conserver. La nécessité de la rentabilité de l'opération explique les phénomènes de répétitivité et de séries, que l'on ne manque pas de constater aujourd'hui. Mais l'élément prépondérant demeure le choix des matériaux, étroitement lié à la condition de l'artiste et à son liieu d'enfermement. Pour se fournir en matériaux, celui-ci se trouve alors confronté à trois possibilités : trouver le support, le voler ou l'acheter...

Tabatière en bois de corozo, Musée Balaguier, premier quart du XIXe siècle. La Guyane est réputée pour la diversité de ses bois. Pour bon nombre de condamnés, qui ont fait des séjours plus ou moins longs dans les camps forestiers, les différentes essences et leurs qualités artistiques n'ont plus de secret. Voilà donc la matière idéale pour ceux qui se trouvent sur la grande terre des communes pénitentiaires de Saint-Laurent du Maroni et de Saint-Jean du Maroni. Y fleurissent quantité de plateaux de service plus ou moins marquetés, coffres ciselés, jeux de dames ou encore cadres divers. De même que des statuettes aux inspirations locales, voire plus simplement païennes, principalement en palissandre ou en bois d'amourette.

Tabatière en bois de corozo, détail, Musée Balaguier, premier quart du XIXe siècle. La gamme des petits métiers du bagne qui alimentent cette production de camelote est très variée. Les relégués du bagne de Saint-Jean du Maroni en Guyane sculptent des noix de coco, confectionnent des objets en marqueterie, des chaises longues, des articles de vannerie, ou bien chassent des papillons et les revendent. Les relégués attrapent ces papillons avec des filets confectionnés à l'aide de moustiquaires subtilisées à l'administration pénitentiaire et les revendent tels quels ou exposés sous cadres. Ces papillons représentent ainsi une véritable manne de revenus pour le personnel de l'administration pénitentiaire. Les relégués les remettent contre quelques gratifications à des surveillants ou à des fonctionnaires civils qui les revendent ensuite à la maison Le Moult, située à Paris. Durant l'année 1917, pas moins de 217 colis de cette sorte sont expédiés à cette maison par des surveillants et des fonctionnaires civils de l'administration pénitentiaire. D'autres confectionnent des coffrets ou des plateaux à base d'essences de bois locaux qu'ils récoltent en journée, il s'agit des « coupeurs de bois de couleurs ».

Os

Bateau en os sur socle en marqueterie de paille, collection particulière, fin XVIIe siècle. L'ouverture des bagnes en France, à partir de 1748, permit à des artisans d'occuper les heures, les mois et les années de leur enfermement à toutes sortes de travaux manuels, dont la marqueterie de paille, qui nécessite peu d'outils, une matière première facile à se procurer, mais révèle leur habileté, leur imagination et surtout leur infinie patience.

Boîte à dominos en os, collection particulière.

Canne en vertèbres de requin, collection particulière. Moins connue est l'utilisation des vertèbres de requin. Un artisanat importé par quelques marins, au fait des scrimshaws et autres travaux de pont. Ces petits disques cartalagineux après avoir été soigneusement nettoyés, puis blanchis, vont être enfilés sur une simple tige metallique et constituer ainsi à moindre frais cannes et badines.

Marqueterie de paille

Coffret, Musée Balaguier, fin XVIIe siècle. Lison de Caunes, restauratrice d'objets confectionnés en marqueterie de paille, indique qu'à l'émotion suscitée par les décors des objets qui lui sont confiés pour restauration s'ajoute la curiosité des découvertes fortuites car les bagnards, malgré l'anonymat, cherchent souvent à laisser une trace de leur travail. La découverte des lettres du forçat Léonard Fauconnet, cachées sous le doublage d'un coffret assez ordinaire, fut ainsi un "grand moment" de sa vie de restauratrice.

Coffret, détail, Musée Balaguier, fin XVIIe siècle.

Coffret à écriture, Musée Balaguier, fin XVIIe siècle.

Panier, Musée Balaguier, fin XVIIe siècle.

Coffre sculpté, Guyane, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Coffre sculpté, détail, Guyane, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Carapace

Carapace de tortue marine peinte, Guyane, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle. Les tortues marines, qu'elles soient les variétés "imbriquées" (c'est-à-dire à écailles), ou "olivâtres", font elles aussi partie des supports recherchés par les artistes-forçats. Tout d'abord parce que leur chair, fort appréciée en ragoût ou en brochettes, vient compléter avantageusement la ration quotidienne, mais également par ce que leur carapace se révèle un véritable don de la mer entre des doigts experts. Un lunetier avait dû être condamné dans des temps lointains et la technique de ramollissement et de polissage de l'écaille s'est transmise de forçats en forçats... Bracelets, broches à cheveux, coupe-papier, coffrets faisaient donc l'objet d'une véritable industrie au pénitencier des îles du Salut en Guyane.

La camelote au bagne : peintures et dessins.

La camelote permet la réalisation d'œuvres particulièrement élaborées. Certains condamnés disposent effectivement de talents artistiques dans les domaines du dessin et de la peinture et produisent une œuvre dont certains exemplaires sont encore visibles aujourd'hui. « LK », caricaturiste du bagne, a produit ainsi de nombreux dessins mettant en scène des personnages célèbres du bagne. Ce dernier les vendait et les reproduisait en grand nombre. Certains d'entre eux illustrent par exemple des articles de l'enquête menée par Albert Londres au bagne de Guyane pour le compte du Petit Parisien à partir du mois d'août 1923. D'autres peignaient directement sur des toiles (originales ou issues d'uniformes règlementaires), comme Louis Grilly ou Casimir Prénéfato, des scènes naïves de paysages guyanais ou des scènes de vie au bagne. Car ces œuvres pouvaient être vendues directement par le condamné à des particuliers ou bien être l'objet de commandes passées auprès d'anciens condamnés libérés du bagne. Parmi ces artistes, un en particulier se distingue par son style et par l'abondance de sa production, il s'agit du relégué Francis Lagrange (14 912). Parmi ses œuvres les plus célèbres figurent notamment les fresques qu'il exécute dans l'église de la transportation de l'île Royale qui, avec celles du peintre forçat Pierre Huguet à l'église Saint-Joseph d'Iracoubo, demeurent sans conteste les expressions les plus abouties des œuvres de forçats-artistes en Guyane.

L'île du Diable, Louis Grilly, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle. Né le 13 février 1899 à Frenneville (Somme), Louis Grilly est condamné le 15 octobre 1917 à cinq ans de travaux forcés par la cour d'assises de Caen pour un vol commis à l'âge de dix-huit ans. "La conduite du transporté Grilly a été médiocre dès son arrivée dans la colonie (1922) jusqu'en 1926. Transporté de 1ère classe depuis le 1er avril 1928." Le transporté s'est ensuite amendé et n'a plus jamais encouru aucune peine ni punition disciplinaire jusqu'à sa libération. Le 17 décembre 1929, Louis Grilly demande à être porte-clef (c'est-à-dire à devenir un forçat auxiliaire de l'administration pénitentiaire) ; sa demande est rejetée au motif que "ce transporté actuellement à l'hôpital est peintre aux travaux" Il s'évade du bagne en tout à quatre reprises. Sa dernière évasion a lieu au terrible camp disciplinaire de Charvein, il na alors de que vingt-cinq ans... Libéré en 1936, il reste deux ans à Saint-Laurent du Maroni pour épuiser le reliquat d'une peine antérieure avant de partir s'installer à Saint-Jean du Maroni.

Le pénitencier des Roches à Kourou, Daniel Capbal, tôle peinte, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle. Daniel Capbal s'est particulièrement illustré par des séries d'assiettes en tôle peinte. Ce relégué, qui faisait partie des forçats ayant le statut de peintre, était particulièrement connu pour ces scènes de fleuve et de chasse en forêt, mêlant dans un style naturaliste,Amérindiens, Noirs-Marrons et animaux. Ces assiettes metalliques étaient réalisées à partir de rond d'ovales, découpés dans des futs d'huile de 200 litres, puis aplatis et peints à la demande.

Iles du Salut, Daniel Capbal, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Ile Royale, Casimir Prenefato, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle. Casimir Prénéfato est né en Espagne le 17 février 1888. Condamné par la cour d'assises de l'Ariège en 1922 aux travaux forcés pour évasion, il réalise ses oeuvres au début des années 1940, alors qu'il est officiellement "peintre aux travaux publics". Lui même se déclare d'ailleurs "peintre en lettres" et sur les relevés de ses diverses condamnations pour évasions figure la mention "profession : peintre". Sa notice individuelle conservée aux Archives nationales d'outre-mer indique qu'il "vivait du vol, intelligent mais d'un cynisme et d'une audace inouïs. Spécialiste du vol qualifié. A plusieurs évasions à son actif." Il portait le tatouage d'un "oiseau de mer sur branche, nid, oiseau au vol", et sur le poignet gauche "AMOR". Il est libéré en 1945 et décède le 5 octobre 1946 à Cayenne d'une hémorragie interne et d'un pneumothorax.

Iles du Salut, Casimir Prénéfato, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Le bagne, Casimir Prénéfato, Musée des beaux-arts de Chartres, première moitié du XXe siècle.

Les îles du Salut, Vanhove, Musée Ernest Cognacq, Saint-Martin-de-Ré, première moitié du XXe siècle.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle. Selon toute vraisemblance, LK serait un ancien transporté de Guyane qui a produit un nombre important de dessins représentant des scènes de vie du bagne et des caricatures de forçats célèbres. Ses oeuvres sont souvent produites en série et il existe parfois trois à quatre versions d'un même thème. En aout 1923, quelques unes de ses oeuvres illustrent le reportage mené par le reporter Albert Londres au bagne de Guyane. Ce dernier y est présenté comme "un artiste du bagne". Les scènes qu'il dépeint confirme l'hypothèse qu'il s'agit d'un ancien bagnard qui a connu les différentes étapes de l'internement au bagne : le dépôt de Saint-Martin de Ré, le voyage à bord du navire Loire, le camp de la transportation de Saint-Laurent du Maroni, les îles du Salut et le pénitencier ainsi que l'hôpital de Cayenne.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Caricature de LK, Musée Balaguier, première moitié du XXe siècle.

Dessin de Flag, alias Francis Lagrange, collection particulière, première moitié du XXe siècle. Artiste-peintre, Francis Lagrange commet de nombreuses escroqueries qui lui valent d'être condamné à la relégation. Arrivé à Saint-Jean du Maroni en 1931, il s'en évade et parvient à falsifier des billets de banque ce qui lui vaut une condamnation à dix ans de travaux forcés par la cour d'assises de Cayenne. Interné aux îles du Salut, il produit énormément de tableaux et de dessins sur le bagne qu'il signe sous le pseudonyme de « Flag » et qu'il revend la plupart du temps au personnel administratif. Parmi ses œuvres les plus célèbres figurent notamment les fresques qu'il exécute dans l'église de la transportation de l'île Royale. Durant la Seconde Guerre mondiale, Francis Lagrange, comme d'autres forçats, réclame la possibilité d'être engagé volontaire au sein de l'armée pour partir se battre contre l'Allemagne. La même tendance se retrouve également lors du premier conflit mondial où des forçats tentent de s'engager pour rejoindre la France en arme, espérant par là obtenir le relèvement de leur peine. Mais ces demandes sont toutes déboutées par le ministère des colonies. Après la défaite, les gouverneurs qui se succèdent en Guyane à partir de 1940 demeurent fidèles au régime de Vichy.

Dessin de "Flag", alias Francis Lagrange, collection particulière, première moitié du XXe siècle. Au Maroni, un véritable « exode » comme le surnomme l'administration pénitentiaire s'organise et des forçats répondent à l'appel du capitaine Claude Chandon. Réfugié en Guyane hollandaise, ce dernier refuse l'armistice et lance un appel destiné à des volontaires souhaitant rejoindre la France Libre. Des forçats et jusqu'à des membres de l'administration pénitentiaire le rejoignent alors. Mais la sévère répression menée par le gouverneur et par le chef des services pénitentiaires limite rapidement la portée de cet appel. À Saint-Laurent du Maroni, Francis Lagrange exerce ses talents de peintre. Libéré de sa peine de transportation en juillet 1942, il est placé en relégation collective puis individuelle. Lagrange répond ainsi aux commandes de particuliers qui lui réclament des portraits de famille, de décorer leurs établissements, des images pieuses ou bien encore des portraits du maréchal Pétain. Mais Lagrange contracte également de nombreuses dettes auprès de ses commanditaires et évite soigneusement de les rembourser. Ces derniers le paient souvent d'avance en argent ou en fournitures et il parvient ainsi à escroquer huit d'entre eux pour près de 9 499 francs de novembre 1943 à septembre 1944.

Dessin de "Flag", alias Francis Lagrange, collection particulière, première moitié du XXe siècle. Pressé par ses créanciers, Lagrange décide de partir s'installer à Mana. Là, au bout de deux mois de présence, il parvient encore à soutirer 1 345 francs à trois individus dont le révérend père Le Lay, ministre du culte à Mana, qui lui a commandé une série de tableaux d'images pieuses. En tout, les sommes dues par Francis Lagrange tant à Mana qu'à Saint-Laurent du Maroni s'élèvent à plus de 10 000 francs.Sa parade est immuable et ses talents lui permettent d'abuser de nombreux commerçants qui sont essentiellement d'anciens condamnés relevés de la relégation ou des libérés de la transportation. Grâce à ses talents d'artiste, il parvient à les escroquer et lorsqu'il est acculé par les ardeurs de ses créanciers, il rembourse les uns et les autres à tempérament en contractant de nouveaux emprunts. Mais rattrapé par ses dettes, Francis Lagrange est relevé de la relégation individuelle en janvier 1945.

Dessin de Flag, alias Francis Lagrange, collection particulière, première moitié du XXe siècle. La production de Francis Lagrange est extrêmement variée : on y trouve des portraits, des académies, des paysages, des cartes géographiques illustrées, des sujets de piété, des scènes galantes, des copies d'après des maîtres et des pastiches, le plus souvent peints à l'huile. Mais son sujet de prédilection fut le bagne lui-même, objet d'une expérience douloureuse et d'observations quotidiennes, au long de quinze années, en même temps que sujet de fascination pour les acheteurs de ses dessins et de ses toiles. La plupart des dessins ou des carnets de dessins de Francis Lagrange ont été réalisés pour partie au bagne, pour partie après la fermeture de celui-ci mais toujours en Guyane et ils racontent la vie des pénitenciers avec une grande véracité.

Catalogue de l'exposition Les artistes du bagne. Chefs d'oeuvre de la débrouille 1748-1953, Musée Balaguier, La Seyne-sur-Mer, 2010, 144 p.

Ce catalogue est disponible à l'adresse suivante : Musée Balaguier 924, Corniche Bonaparte, 83500 La-Seyne-sur-Mer Téléphone : 04.94.94.84.72/Adresse électronique : museebalaguier@orange.fr Sommaire :Préface, Marc Vuillemot. Avant-propos, Hélène Bourilhon, Julien Gomez-Estienne. Introduction : Les rives maudites : des galères aux bagnes, Michel Pierre. Le fonds d’archives des bagnes coloniaux, Eléonore Bozzi. Balaguier, musée du bagne, Julien Gomez-Estienne. Témoignages de la vie au bagne : Aux bagnes : arts et médecines, Claire Jacquelin. Témoignages croqués, Les femmes au bagne, Jean-Lucien Sanchez. Mots pour maux, Hélène Bourilhon. « Tu finiras au bagne », Michel Pierre.

Expressions d'artistes : Le camelote au bagne, Jean-Lucien Sanchez. Une inspiration aux multiples facettes, Franck Sénateur. Un inventaire à la Prévert, Philippe Bihouée. La marqueterie de paille, or des pauvres, Lison de Caunes. Les "cocoteries" du bagne, Julien Gomez-Estienne. Les tatouages, Les graffitis, Théâtre et musique au bagne, Jean-Lucien Sanchez. Vies d'artistes : Joseph Clémens : le pinceau, la plume et le boulet, Michel Pierre. Pierre Huguet et l'église d'Iracoubo, François Macé de Lépinay. Francis Lagrange, bagnard et peintre, François Macé de Lépinay. La chapelle de l'île Royale, Isabelle Stetten. Giffaut, Grilly, Prenefato, LK, Hélène Bourilhon, Julien Gomez-Estienne, Jean-Lucien Sanchez. Chefs-d'oeuvre de la débrouille, Jean-Lucien Sanchez. Les auteurs vous remercient pour votre visite ! Vous pouvez réagir à cette exposition en déposant un commentaire ici