4. Fantômas

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Fantômas

Le metteur en scène Louis Feuillade n’avait pas pour habitude d’adapter des œuvres littéraires au cinéma. Telle était en effet, dans les années 1900, la politique de la maison Gaumont. Mais lorsqu’à compter de 1911 les écrivains Pierre Souvestre et Marcel Allain font paraître Fantômas chez Arthème Fayard, le succès retentissant de ce roman-feuilleton le fait changer d’avis.

Fantômas raconte les exploits d’un effroyable criminel, passé maître dans l’art de la métamorphose. Sous des identités infinies, l’« Insaisissable » surgit là où on ne l’attend jamais. L’inspecteur Juve et son ami le journaliste Fandor croient-ils avoir triomphé de leur ennemi de toujours ? Fantômas déploie déjà son ombre de cauchemar sur quelque nouvelle victime.

Feuillade demande à René Navarre quel personnage du roman il souhaite interpréter. L’acteur hésite. Jouer un être aussi maléfique que Fantômas « pourrait avoir une influence un peu négative sur [s]a carrière* ». Mais le caractère fascinant du « génie du crime » a vite raison de ses doutes.

Dès la sortie du premier opus, c’est un triomphe. Suivent bientôt quatre autres films, tournés en 1913 et en 1914. La guerre éclate ; Feuillade en restera là.

Commence alors l’immense postérité critique de ce film, tôt considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du cinéma. Nombre d’écrivains s’enthousiasment pour ce héros de la culture populaire, les surréalistes en tête. Certains croient voir dans Fantômas une contre-figure maudite de l’ordre social. D’autres goûtent le formidable vent de liberté qui parcourt le roman et le film. C’est que le récit, tissé d’invraisemblances, de retournements de situation et de coups de théâtre, semble tout s’autoriser. À l’image de son héros diabolique.

Le Fantômas de Feuillade frappe aussi par sa manière de représenter le Paris de la Belle Époque. Des rames du métro aérien aux entrepôts de Bercy, la caméra du metteur en scène nous découvre la capitale dans ce qu’elle a de moins conventionnel. Le parti pris est réaliste, et pourtant un étrange effet de poésie saisit le spectateur.

René Navarre incarne à merveille le « maître de tout et de tous ». Son visage, fait de froideur et d’expressivité, participe de la fascination. Fantômas est le rôle de sa vie.

* Extrait des mémoires de René Navarre

"Sur le marteau de la porte en argent bruni, sali par le temps, sali par la poussière du temps, une espèce, de Bouddha ciselé au front trop haut, aux oreilles pendantes, aux allures de marinou de gorille : c'était Fantômas. Il tirait sur deux cordes pour faire venir là-haut je ne sais quoi. Son pied glisse ; la vie en dépend ; il faut atteindre la pomme d'appel, la pomme en caoutchouc avec le rat qui va la trouer. Or, tout cela n'est que de l'argent ciselé pour un marteau de porte."

Max Jacob, "Fantômas", Le Cornet à dès, Paris, Impr. Levé, 1917

Complainte de Fantômas

Ecoutez... Faites silence...
La triste énumération
De tous les forfaits sans nom,
Des tortures, des violences
Toujours impunis, hélas !
Du criminel Fantômas !

[...]

Allongeant son ombre immense
Sur le monde et sur Paris,
Quel est ce spectre aux yeux gris
Qui surgit dans le silence ?
Fantômas, serait-ce toi
Qui te dresses sur les toits ?

Robert Desnos, "Complainte de Fantômas", Fortunes, Paris, Gallimard, 1942