Tirant son origine du roman-feuilleton, mais également, dans le domaine cinématographique, de la série policière à la Victorin Jasset ou du serial américain, le film à épisodes s’impose en France dans la seconde moitié des années 1910. Il s’agit d’un format de film qui permet de raconter, sur un nombre d’épisodes défini à l’avance, l’histoire d’un ou de plusieurs personnages. Le film à épisodes se distingue de la série, dont relevait peu ou prou Fantômas, puisque son exploitation en salles est régulière.
C’est avec Judex de Louis Feuillade, sorti en 1917, que la formule du film à épisodes se fixe. René Navarre s’inscrit dans ce récent héritage lorsqu’à la fin 1918 il entreprend avec le metteur en scène Édouard-Émile Violet le tournage de La nouvelle aurore. Pour ce film fleuve racontant les aventures de Chéri-Bibi, forçat injustement condamné, seize épisodes sont prévus ; leur exploitation sera hebdomadaire.
Là n’est pourtant point la principale originalité de ce film. Reprenant un procédé déjà connu sous divers avatars, René Navarre s’entend avec Gaston Leroux, l’auteur de Chéri-Bibi, et Jean Sapène, directeur général des services du quotidien Le Matin, pour que la sortie en salles de La nouvelle aurore soit accompagnée d’un récit simultané des épisodes du film dans Le Matin. Signe de l’intérêt croissant que les grands groupes de presse portent alors au cinéma, l’heure est à la contamination de l’imprimé et du film. Au vrai, ce genre de partenariat fait aussi les affaires des hommes de cinéma, qui voient dans ce relais éditorial le moyen de conquérir un public plus large.
Pour René Navarre, ce film est un immense défi. Il lui faut en effet tenir la cadence d’un tournage aux dimensions inédites et sans cesse recommencé. Car, comme il le rappelle dans ses mémoires : « Il ne s’agit pas de tourner un film qui sera livré à une date indéterminée et quand il sera prêt, mais bien de tourner seize films à livrer à des dates bien programmées et sans qu’aucun retard ne soit possible, sous peine d’une véritable catastrophe.* » En cette année 1919, le cinéma, pour René Navarre, a toutes les apparences d’une course contre la montre.
* Extrait des mémoires de René Navarre.