3. Paris 1790-1792

Plan du chapitre

Dans ses murs : un roi, une assemblée élue, des juridictions d’Ancien Régime abolies. Une ville de contraste entre constructions prestigieuses et quartiers misérables. Plus de 600 000 âmes. Une cité en proie à la fièvre révolutionnaire : à l’Assemblée, à l’Hôtel de Ville, dans les clubs, les sections. Une criminalité jamais endiguée, des prisons saturées. Sur le parvis de Notre-Dame, deux mendiantes extorquent une aumône. Quai du Louvre, un soldat frappe d’une bouteille une aubergiste qui ne survit pas. Aux Champs-Élysées, un marchand dévalise et tue un prêtre insermenté. À la Monnaie, des objets liturgiques envoyés à fondre sont détournés par un commis. Place de la Révolution, une bande de malfaiteurs pille le Garde-Meuble national. Ailleurs, des faussaires fabriquent congés militaires ou assignats…

La Révolution à Paris

Reposant sur une vaste organisation hiérarchique, le système judiciaire de l’Ancien Régime où règnent confusion des pouvoirs et vénalité des charges, est réputé complexe, lent et coûteux. Les tentatives faites à la fin du xviiie siècle pour le réformer échouent en raison d’une vive opposition des parlements. Les doléances exprimées dans ces cahiers portent essentiellement sur la réforme de la justice civile et criminelle ; elles réclament la gratuité et la proximité de la justice, ainsi que le droit pour tout accusé d’avoir « les moyens de se justifier ».

Château fort et arsenal construit au xive siècle, la Bastille fut transformée en prison d’État par Richelieu. En 1789 s’y trouvent quelques détenus de droit commun et des prisonniers sur lettres de cachet – signées par le Roi, elles permettent notamment un emprisonnement sans jugement. Réclamée dans plusieurs cahiers de doléances et envisagée par Louis XVI, la destruction de ce symbole de l’absolutisme commence dès le 14 juillet, à l’initiative de Pierre-François Palloy (1755-1835), entrepreneur en maçonnerie, qui en est officiellement chargé le 16 dudit mois. Les plus grosses pierres sont réemployées pour d’autres constructions, comme le Pont de la Concorde, quand les plus petites sont transformées en objets souvenirs – tabatières, statuettes, modèles réduits de la Bastille, etc. La maquette, conservée aux Archives nationales, est offerte le 2 septembre 1790 à l’Assemblée constituante ; Palloy fait également « [l]es portraits des hommes politiques de l’époque […] avec quelques-unes des pierres de cette prison, laquelle fut reproduite en petit avec ces pierres pour être adressée à l’Assemblée nationale, aux ministres, aux quatre-vingt trois [sic] départements et même à Louis XVI, qui l’en récompensa » (Émile Bellier de la Chavignerie et Louis Auvray, Dictionnaire général des artistes de l’École Française, depuis l’origine des arts du dessin jusqu’à nos jours, tome 2, Paris, Renouard, p. 196.).

Le Parlement, organe essentiel de la justice d’Ancien Régime, reçoit les appels de toutes les juridictions inférieures et des juridictions spécialisées, juge en première instance les causes criminelles touchant le roi et son domaine, les princes du sang, les pairs et les officiers royaux. Il a également des attributions de police, et se targue d’un rôle politique exercé à travers l’enregistrement des ordonnances royales. Sa suppression est lourde de conséquences sur le plan judiciaire. La grande masse des affaires qui y étaient traitées jusqu’à son abolition, explique l’urgence d’un remède à la situation : aux affaires pendantes ne cessent de s’ajouter de nouveaux dossiers qu’aucune cour n’est habilitée à traiter…

Droits de l’homme et Révolution

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’acquiert son « H » en lettre capitale que plus tard. En effet, au moment de la rédaction du texte, la société est androcentrique et si les droits concernent également les femmes à titre incident, ce sont les hommes qui sont visés en premier lieu. C’est en réaction à cette graphie et aux conséquences qu’elle entraîne qu’Olympe de Gouges souhaite compléter le texte avec une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ; elle fut guillotinée en 1793.

Toujours est-il que ce célèbre texte, voté par l’Assemblée, fait du culte de la loi – nomophilie – le pilier sur lequel bâtir l’ordre nouveau. Garantie du citoyen contre toute arrestation, condamnation ou détention arbitraire, égalité de tous devant la loi, présomption d’innocence, légalité des infractions et des peines, liberté d’opinion et de conscience : les principes fondamentaux y sont édictés, au nom de la souveraineté nationale, et sous réserve de la rédaction d’une Constitution qui garantisse la séparation des pouvoirs. Cette dernière est achevée en septembre 1791 et la Déclaration lui sert de préambule. Elle devient ainsi le faîte de l’édifice législatif révolutionnaire.

Cette loi développe, un an après, les principes votés dans la nuit du 4 août 1789 : une justice – supposément – plus égalitaire, des juges élus, la suppression de la vénalité des offices et la séparation des pouvoirs. On établit une justice de paix par canton et un tribunal civil par district. Ce dernier est composé de cinq juges élus et d’un commissaire du roi, nommé. L’appel est circulaire pour éviter la hiérarchie des tribunaux d’Ancien Régime : ce sont donc des tribunaux de même nature qui statuent une seconde fois sur le cas. Néanmoins, cette loi délaisse la procédure criminelle ; alors qu’un Code pénal est adopté les 25 septembre-6 octobre 1791, le Code des délits et des peines, ancêtre du Code d’instruction criminelle (1808) puis Code de procédure pénale (1959), n’arrive quant à lui qu’en 1795. Dans ce laps de temps, il faut se contenter de la loi du 28 septembre 1791 dite « Relative à la peine de Mort, à celle de la Marque & à l’exécution des jugemens en matière criminelle » [Collection générale des loix, proclamations, instructions et autres actes du pouvoir exécutif, tome 5, Part. II, Paris, Imprimerie Royale, 1792, p. 1313.], celle des 16-29 septembre 1791 dite « Concernant la Police de sûreté, la Justice criminelle et l’établissement des jurés » [Collection générale des loix, proclamations, instructions et autres actes du pouvoir exécutif, tome 5, Part. II, Paris, Imprimerie Royale, 1792, p. 1325-1382.] et du décret en forme d’instruction des 29 septembre-21 octobre 1791, dit « Pour la Procédure criminelle » [Collection générale des loix, proclamations, instructions, et autres actes du pouvoir exécutif, tome 6, Paris, Imprimerie Royale, 1792, p. 536-622.].