En 1888, Saint-Jean compte une prison provisoire construite sous forme de paillote d'une contenance de 12 places. N'y sont enfermés que les relégués punis pour des fautes légères. Ceux frappés de punitions plus graves sont envoyés au camp de Saint-Louis qui dispose d'une véritable prison (situé à 13 km de Saint-Jean et à 5 km de Saint-Laurent). La prison provisoire de Saint-Jean est remplacée en 1890 par une "prison du service intérieur" ou "violon". Mais la plupart des relégués continuent d'être expédiés à Saint-Louis, ce qui entraîne de nombreux déplacements et monopolise des surveillants. En outre, beaucoup se révoltent à leur arrivée à Saint-Jean. Pensant y être libres, c'est-à-dire bénéficier de la relégation individuelle, ils sont déçus de leur sort à la relégation collective : un régime de travaux forcés effectués au sein d'un village qu'ils doivent construire de leurs propres mains. Cette situation entraîne les autorités à réagir et à doter Saint-Jean d'un complexe disciplinaire.
5. Le Grand Plateau et le plateau de la Cloche
Plan du chapitre
Le Grand Plateau et le plateau de la Cloche
En 1897, les cases du 4e camp de relégués sont toutes rasées. À cet emplacement, le service des travaux de la relégation décide d'installer un quartier disciplinaire et une prison d'une contenance totale de 400 places. Mais les travaux de maçonnerie à entreprendre sont si importants que les relégués vont mettre près de 16 ans pour l'achever. Le mur d'enceinte, terminé en 1899, exige une surveillance constante des relégués employés afin qu'ils ne laissent pas d'anfractuosités dans le mur en vue de faciliter des évasions ultérieures ! D'après le règlement du 22 août 1887, les relégués punis par la commission disciplinaire peuvent être condamnés à des peines de prison de nuit (maximum un mois), de cellule (maximum un mois) et de cachot (maximum 15 jours). A l'intérieur de leur cellule ou de leur cachot, les punis sont soumis à des travaux comme la confection de chapeaux de paille, de balais, de stores, etc. Mais ceux considérés comme des "incorrigibles", peuvent être envoyés pour un maximum de quatre mois au quartier disciplinaire. Le régime en vigueur est bien plus draconien qu'à la prison : le silence total est exigé de jour comme de nuit et pendant le travail comme pendant le repos. Les relégués punis de cellule sont mis au pain sec un jour sur trois, et ceux punis de cachot deux jours sur trois. En outre, ils peuvent s'exposer à des punitions drastiques : privation de promenade de deux à huit jours, peine de cellule avec boucle simple de deux jours à un mois et peine de cachot avec boucle double de huit jours à un mois. Ce régime ne sera assoupli qu'en 1925 : les punitions de cachot, de pain sec et l'application de la boucle simple ou double sont abolies.
La prison de Saint-Jean comprend quatre blockhaus et 44 cellules : 22 "claires" et 22 un peu plus "obscures" qui font ainsi office de cachots. Le quartier disciplinaire quant à lui comprend une case commune de 80 places et une case compartimentée de 32 cellules. La prison comme le quartier cellulaire contiennent une cour assez grande pour les promenades et les deux ensembles sont séparés par un mur d'enceinte. Le poste des surveillants se situe dans le quartier disciplinaire qui sert également de prétoire pour les relégués punis ou condamnés. Cet ensemble comprend en outre l'atelier de confection (afin d'éviter les vols), une infirmerie et deux hangars. En 1903, une case en bois est édifiée : elle fait office d'atelier anthropométrique, où sont enregistrés tous les relégués à leur arrivée à Saint-Jean, et de logement pour les porte-clefs employés à la prison et au quartier disciplinaire de la relégation. Car l'ensemble comprend seulement deux surveillants : l’un dirige la prison, l'autre le quartier cellulaire. Toutes les tâches sont donc administrées par des porte-clefs, c'est-à-dire des relégués auxiliaires employés par l'administration pénitentiaire. Ces derniers, particulièrement brutaux à l'égard de leurs coreligionnaires, sont souvent détestés et à l'origine de tous les trafics qui sévissent en détention. Ce sont effectivement les seuls en mesure de faire entrer ou sortir des messages, des denrées ou de l'argent dans la prison.
Le service intérieur du pénitencier est dirigé par un surveillant principal chef de centre secondé par un capitaine d'arme qui est obligatoirement recruté parmi le corps des surveillants de 1ère classe. Le chef de centre reçoit ses ordres directement du commandant supérieur de la relégation. Le capitaine d'arme est chargé pour sa part de former les différentes corvées de travail de relégués et d'affecter à chacune un surveillant qui en est responsable. Il rédige également la liste du service de nuit pour tous les surveillants qui s'y relaient à tour de rôle et il est chargé en règle générale de toute la surveillance générale du pénitencier.
Situé initialement au sein du quartier administratif, le logement du surveillant chef est déplacé en 1891 sur le Grand Plateau de Saint-Jean. Il s'agit d'une case de système Roussel implantée à proximité du camp central des relégués afin de permettre une meilleure surveillance.
Initialement, cette caserne devait être une infirmerie destinée aux relégués du camp central. Mais devant la pénurie de logements disponibles pour les surveillants, le commandant supérieur de la relégation Picard décide d'en faire une caserne pour surveillants mariés. L'adjonction de cloisons intérieures permet ainsi de dégager sept unités, d'où le nom de caserne des sept ménages.
Construite en 1896, cette caserne connaît d'importantes modifications en 1917. Sept escaliers en bois sont démolis et sont remplacés par un escalier central en maçonnerie. Il comprend en tout deux logements pour des surveillants mariés et sept chambres destinées à des surveillants célibataires.
Deux pavillons double pour surveillants mariés sont bâtis sur le plateau de la Cloche en 1914. Cette appellation provient de la présence de la cloche du pénitencier située sur ce plateau.
En 1890, l'effectif des relégués est divisé entre quatre camps qui s'étendent sur près de deux kilomètres à l'intérieur de l'agglomération de Saint-Jean. Ces différentes implantations répondent ainsi au souhait initial du département des Colonies d'édifier un village de colons à Saint-Jean. L'intérêt étant que ces implantations permettent aux relégués de bénéficier d'une concession agricole et de vendre le produit de leur récolte sur la place du village, aménagée en marché et contenant également tous les bâtiments publics municipaux. Mais l'éclatement des relégués entre quatre camps distincts entraîne de nombreux problèmes. En premier lieu, la multiplication des points d'implantation rend malaisée la surveillance de la population pénale : les baraquements ne sont pas clôturés et les relégués peuvent aller et venir comme bon leur semble. Les autorités craignent ainsi, du fait de l'arrivée continue de nouveaux convois de relégués, d'être débordées en cas de révolte. D'autre part, la situation sanitaire est particulièrement catastrophique à Saint-Jean au début de sa construction et les épidémies de fièvre, dues à la proximité du fleuve et des marais alentours, sont fréquentes. La dissémination des relégués, notamment au sein du quartier administratif, constitue ainsi une porte d'entrée possible pour des maladies et les relégués forment une chaîne de contamination susceptible d'atteindre le personnel administratif et leurs familles. Enfin, beaucoup de relégués s'évadent et se réfugient au Suriname voisin (Guyane hollandaise). Ce qui entraîne de nombreuses plaintes officielles des autorités de cette colonie.
Parmi ces cases, certaines sont réservées. Les relégués coiffeurs et ceux de la fanfare disposent de leur propre case, ainsi que les porte-clefs ou bien encore les relégués Maghrébins. Une case sert également d'infirmerie. Deux cases supplémentaires (ce qui porte leur total à 22) sont occupées par la salle de visite du médecin et par la cuisine centrale. Le camp central ne dispose d'aucun mur d'enceinte (afin de ne pas achever de confondre le régime des relégués avec celui des transportés internés au pénitencier de Saint-Laurent) et la lisière de la forêt se situe à environ 200 mètres. La discipline est assurée par un poste de garde situé à l'entrée du camp central à l'intérieur duquel veille un surveillant aidé de plusieurs porte-clefs. Sur les deux côtés du camp central se situent des concessions agricoles entretenues par des relégués concessionnaires.
En octobre 1891, une étude pour la construction d'une prison de 50 places et de six cases destinées à l'hébergement de relégués est établie par le chef du service des travaux pénitentiaires. Ce projet entraîne la reconfiguration totale du village de la relégation en un pénitencier : à terme, il prévoit la concentration des relégués au sein de 24 cases flanquées de casernes de surveillants et d'un complexe disciplinaire. Les cases sont des cases de modèle Roussel et disposent de pilotis en briques situés entre 2 et 3 mètres du sol : cela permet à l'air de circuler sous les bâtiments. Elles sont alignées sur trois rangées et entre chaque se situent des lieux d'aisance.
Au lieu de contenir 24 cases comme prévu initialement, le camp central n'en comprend que 20. Le commandant supérieur de la relégation ne souhaite pas construire les quatre dernières car il craint les effets de la surpopulation des relégués. Ainsi, près de 1 250 individus peuvent être internés dans cet ensemble. Ces cases sont toutes numérotées et leur plancher est constitué de poutrelles en fer et de voûtes en briques. Leur toit est en bardeaux et elles sont prévues pour accueillir chacune jusqu'à 38 relégués en moyenne. Leur pourtour est constitué d'une véranda et de deux portes situées aux extrémités auxquelles on accède par deux escaliers. A l'intérieur, des lits pliants installés contre les murs permettent aux relégués de s'étendre et au centre sont disposés des bancs et des tables. L'éclairage est assuré par des lumignons à pétrole et trois lampes à pétrole assurent l'éclairage du camp central.
Initialement, deux casernes de surveillants devaient être construites au sein du camp central. Mais, afin d'éviter la promiscuité avec les relégués, le commandant supérieur de la relégation Picard ordonne leur éloignement. La caserne dite des onze ménages est constituée de deux cases de système Roussel suffisamment surélevées pour permettre l'occupation de leurs sous-sols. Construites entre 1900 et 1901, chacune de ces cases peut accueillir onze familles de surveillants mariés.
Son installation en hauteur et son éloignement offrent un point d'observation idéal du camp central des relégués pour les surveillants qui l'occupent.