Avec la libération des mœurs et la contestation sociale des années 1960 et 1970, le récit criminel devient la caisse de résonance des mutations de la société. La contre-culture qui s’empare du récit criminel à partir des années 1970 est prompte à en exploiter les potentialités critiques : le néopolar en France ou le soziokrimi en Allemagne mettent en évidence la portée politique du genre. La dimension sociale du crime qui avait été progressivement oubliée depuis le xixe siècle est en particulier réinvestie par toute une génération d’auteurs. Ainsi met-on en avant le caractère structurel de la violence, les rapports de force qu’elle manifeste, les logiques de répression idéologique et morale (y compris sexuelle), enfin la valeur herméneutique de l’enquête, qui dévoile l’inconscient grimaçant de notre modernité.
5. Contre-culture et libération sexuelle
Plan du chapitre
A. L. Giussani, Diabolik. Passe de quatre
Genius. La mummia si poglia
Dans les productions populaires, ces mutations sociales donnent lieu à un discours équivoque. C’est autour de l’articulation entre sexe et violence (au cœur du genre depuis les scènes de prostitution des mystères urbains jusqu’aux pin-ups des récits hardboiled) que s’enregistrent les transformations culturelles. Les pratiques hédonistes des générations d’après-guerre, les nouveaux modes de vie urbains ou les marginalités sous-culturelles et contre-culturelles sont évoquées dans des récits racoleurs et fantasmatiques, entre exploitation pornographique de la liberté sexuelle et refoulement aux accents sadiques : les femmes violées et torturées des fumetti neri, des gialli et des romans-photos italiens, celles des collections de gare semi-pornographiques à la française et du cinéma d’exploitation manifestent l’ambiguïté des publics de l’époque face aux transformations des mœurs, entre désir et répression. La fascination que suscitent les transformations culturelles dialogue ainsi avec des positions réactionnaires que manifestent les récits de vigilantes ou les poliziotteschi.
Killing. Mora… Morbida… Morta
Mais on aurait tort d’opposer fictions commerciales, racoleuses et réactionnaires, et productions politiques contre-culturelles. L’époque est au contraire aux échanges constants entre ces deux pôles et à la multiplication des formes hybrides, sous-culturelles, pop, mainstream ou marginales, suivant des modalités qui sont déjà celles des logiques culturelles qui prévaudront à la fin du XXe siècle.
Jean-Patrick Manchette, La position du tireur couché
Le cinéma d’exploitation
Dans les années 1960, se développe un cinéma d’exploitation qui mêle sexe et violence. Le film giallo, en Italie, en est le courant le plus important, avec des films dont l’imaginaire érotique et violent est souvent traité avec un formalisme esthétique qui joue avec les motifs de la culture pop. Mario Bava ou plus tard Dario Argento en sont les représentants les plus fameux. Mais on rencontre aussi ailleurs – en Grande-Bretagne, en Espagne, en France – un tel cinéma d’exploitation, parfois très créatif, souvent racoleur.