Dans l’histoire de la circulation européenne des imaginaires criminels, l’entre-deux-guerres peut apparaître comme une période relativement terne. La vogue des détectives décline et celle du roman noir américain ne débute réellement que dans les années 1930. C’est pourtant durant cette période que le récit policier se structure véritablement, et qu’il formalise quelques-uns de ses traits définitoires.
3. L’entre-deux guerres
Plan du chapitre
Il cerchio verde
Edgar Wallace, La banda de la « rana »
Le modèle britannique du genre hérité de Sherlock Holmes impose sa logique d’enquête dans une perspective qui s’apparente souvent à un jeu d’énigme. Agatha Christie et Dorothy Sayers sont les représentantes les plus fameuses de ce genre du « whodunnit » (« qui l’a fait ? »). Un autre auteur influence les contemporains : Edgar Wallace, dont les thrillers amalgament un récit d’énigme superficiel et une trame plus populaire et sensationnelle de roman policier d’aventures.
Georg von der Vring, Die spur im hafen
Dans les années 1920 et 1930, les romans policiers britanniques sont traduits dans la plupart des pays d’Europe. C’est sous leur impulsion que s’impose partout le récit d’enquête et d’énigme qui inspire une nouvelle génération d’auteurs. C’est le cas en Italie d’Alessandro Varaldo, dont les romans sont marqués par le modèle de Wallace ; en Belgique, de Stanislas-André Steeman ; en Allemagne, des auteurs des premiers krimi ; en France, d’un Simenon (influencé également par les Américain) avant qu’il ne serve à son tour de modèle à bien des auteurs. Ces nouvelles formes de récits, qui imposent leur style plus bourgeois que les très populaires fascicules des décennies précédentes, correspondent au développement en Europe d’une culture de divertissement. Préférant le jeu des énigmes au discours social, valorisant la sphère privée de la famille et des proches, ce type de récits accompagne l’assimilation de modèles de consommation et de divertissement modernes qui s’imposent progressivement dans les pratiques culturelles des sociétés européennes.
Jean Martin, Crime au marché noir
Hodder & Stoughton
On sait qu’en Italie, « roman policier » se dit « giallo », qui signifie « jaune ». On ignore cependant que l’origine du giallo est… anglaise. C’est en effet la couleur qu’a choisie pour ses couvertures le principal éditeur anglais de récits policiers, Hodder & Stoughton, dans la tradition des yellowbacks. Il est rapidement imité par les éditeurs français, espagnols et italiens, preuve que l’imaginaire d’un genre passe aussi par les formats éditoriaux.