1. Histoire

Plan du chapitre

La Place Vendôme

L’hôtel de Bourvallais et l’hôtel de Simiane

Le projet d’établir durablement la Chancellerie dans un hôtel de la capitale remonte à la création de la place Vendôme, en 1684-1685. À cette date, François‑Michel Le Tellier (1641‑1691), marquis de Louvois, surintendant des Bâtiments, Arts et Manufactures de France, veut créer une grande place – appelée la place des Conquêtes – pour y établir plusieurs grandes institutions de la monarchie, à savoir la Bibliothèque du roi, l’hôtel de la Monnaie, les Académies, l’hôtel des Ambassadeurs extraordinaires et la Chancellerie de France. Toutefois, dès 1686, la plupart des terrains sont mis en vente et achetés par des particuliers. Louis XIV prend en charge la construction des façades uniformes de la place, dessinées par Jules Hardouin-Mansart, tandis que les nouveaux propriétaires doivent bâtir leurs maisons derrière ce « mur d’architecture ».

L’hôtel de la Chancellerie

Le projet de Louvois se concrétise donc en partie sous la Régence, avec l’installation de la Chancellerie de France dans l’hôtel de Bourvallais.
La décision de loger le chancelier dans un hôtel appartenant à la Couronne n’a alors rien de surprenant. Le chancelier de France est en effet le premier officier de la Couronne. Sa charge est inamovible et il ne peut la perdre que par démission volontaire ou par décès. Chef de la Justice, il est le seul à ne pas porter le deuil d’un roi, pour montrer aux yeux de tous que la Justice, jamais, ne s’arrête. Sa principale fonction est d’apposer le sceau royal sur les documents officiels. Il en est l’unique détenteur – de là vient le titre de « garde des Sceaux ».

Le chancelier d’Aguesseau

Le premier chancelier à prendre possession de l’hôtel de la place Vendôme est Henri‑François d’Aguesseau qui, jusqu’alors « demeur[ait] très mal logé dans son ancienne maison de la rue Pavée, qu'il lou[ait] auprès de celle de son père ». Nommé chancelier en septembre 1717, Henri-François d’Aguesseau connait une carrière plus que mouvementée. S’opposant au système de Law, il se voit retirer une première fois la garde des sceaux en janvier 1718 et est contraint à l’exil, sur ces terres de Fresnes. Il est rappelé à Paris en 1720, les sceaux lui sont rendus jusqu’en 1722, année au cours de laquelle il donne sa démission. Il revient à Paris, après la mort du Régent, en 1727, où il mène d’importantes réformes sur la législation et le système juridique.

Les travaux entrepris dans l’hôtel de la Chancellerie sous l’Ancien Régime sont peu documentés et les sources ne permettent pas d’en connaître la chronologie précise. Ils commencent dès 1717, sous la conduite de Robert de Cotte, premier architecte du roi, qui est chargé d’aménager les appartements du chancelier et de sa famille. La réunion des anciens hôtels de Bourvallais et de Simiane entraîne un certain nombre de modifications. Plusieurs plans conservés aux Archives nationales et à la Bibliothèque nationale de France, datant des années 1717-1718, témoignent de ces aménagements.

D’Aguesseau s’installe dans l’hôtel avec toute sa famille : sur ses douze enfants, six semblent avoir vécu place Vendôme et, à la mort de la chancelière Anne Le Fèvre d’Ormesson en 1735, les quatre garçons de la famille et deux belles-filles y occupent chacun un appartement. De même, toute la domesticité loge à l’hôtel : à elle seule, la chancelière a plus d’une dizaine de domestiques à son service

L’inventaire après décès de la chancelière, dressé en 1735, donne une description précise de la distribution de l’hôtel. Le rez-de-chaussée du bâtiment donnant sur la place est occupé par les cuisines, l’office, les chambres du maître d’hôtel, du chef d’office et du suisse. Il y a également l’écurie, qui compte alors vingt chevaux et six carrosses. À l’entresol se trouvent les chambres des valets, du cocher et de l’écuyer de la chancelière. D’Aguesseau dispose d’un appartement au rez-de-chaussée sur le jardin, qui se compose de deux antichambres – des laquais et des valets – précédant une salle d’audience. C’est dans cette salle qu’ont lieu les opérations de scellement des actes en présence des officiers de la Chancellerie, lors de séances groupées appelées les « audiences du sceau ». Suivent un grand cabinet ou bibliothèque, un arrière cabinet donnant sur la basse-cour et un autre petit cabinet attenant.

Un grand appartement occupe le premier étage du corps de bâtiment sur la place. Il se compose d’une première antichambre qui donne accès à une grande salle à manger. Il y a ensuite « le grand cabinet de d’Aguesseau », dans lequel ont été posés des corps de bibliothèques « depuis la porte d’entrée jusqu’à la cheminée », visibles sur un plan des Archives nationales, puis un petit cabinet, une chambre et une garde-robe attenante. D’Aguesseau occupe, quant à lui, un appartement dans le corps de logis sur le jardin, distribué en deux antichambres, un grand salon, une grande chambre et une petite chapelle. Sa chambre à coucher donne sur la basse-cour de l’hôtel.

Par la suite, peu de modifications sont apportées à l’hôtel de la Chancellerie au XVIIIe siècle, exception faite du jardin qui est considérablement agrandi. Dès 1742, il est question d’acheter deux terrains vagues situés au fond du jardin de l’hôtel et donnant sur la rue Neuve-de-Luxembourg, actuelle rue Cambon. Le premier terrain à droite jouxte l’hôtel Crozat dans le prolongement de l’hôtel de la Chancellerie et de l’ancien hôtel de Gramont. Il appartient au président Joseph Antoine Crozat (1696‑1751), marquis de Tugny, qui prévoit au même moment d’y construire un hôtel donnant sur la rue. Le second terrain, à gauche, appartient à M. de Castagnier d’Auriac et se situe dans le prolongement de l’ancien hôtel de Sauvion‑Villemaré (no 9 de la place Vendôme). Les terrains sont inspectés, mesurés et les relevés des parcelles sont dressés. Deux possibilités s’offrent alors au chancelier.

Les chanceliers Guillaume de Lamoignon, René-Charles et René-Nicolas de Maupeou

Lorsqu’Henri‑François d’Aguesseau meurt dans l’hôtel de la Chancellerie, le 9 février 1751, il n’est plus chancelier depuis septembre 1750. C’est par bienveillance que son successeur, Guillaume de Lamoignon de Blancmesnil (1683-1772), lui permet d’occuper l’hôtel jusqu’à ses derniers jours. D’après le marquis d’Argenson, le nouveau chancelier est « un bon magistrat, peu éclairé et de courtes lumières ; gros ventre, grand appétit ; très ami des jésuites ». Le roi ne lui confie pas les sceaux royaux dont la garde est attribuée à Jean-Baptiste de Machault d’Arnouville (1701‑1794).

L’hôtel du ministère de la Justice : de la Révolution au Consulat

Situé au cœur des événements révolutionnaires, l’hôtel de la Chancellerie conserve sa fonction ministérielle mais l’institution n’est pas épargnée par les bouleversements politiques de la fin du siècle. En 1789, les bureaux de la Chancellerie qui se trouvent à Versailles sont transportés à Paris et, quelques mois plus tard, le 27 novembre 1790, aux termes de l’article 31 du décret instituant le tribunal de cassation, « l’office de chancelier de France est supprimé ». C’est le garde des Sceaux, Jérôme Champion de Cicé (1735-1810), archevêque de Bordeaux tenu pour libéral, qui occupe alors l’hôtel de la place Vendôme. L’année suivante, Louis XVI signe le décret fixant les attributions des six nouveaux départements ministériels (Justice, Intérieur, Contributions et revenus publics, Guerre, Marine et Colonies, Affaires étrangères). L’ancien hôtel de Bourvallais devient donc l’hôtel du ministre de la Justice et les anciennes fonctions de chancelier et de garde des Sceaux sont définitivement réunies sous le titre de « Ministre de la Justice, Garde du sceau de l’état ».

Le ministère de la Justice sous l’Empire

Claude Ambroise Régnier (1736‑1814), duc de Massa à partir de 1809, ministre de la Justice de 1802 à 1813, est une des grandes personnalités politiques du Premier Empire. Pour le remercier d’avoir activement participé au coup d’État du 18 brumaire an VIII, Napoléon Bonaparte lui offre en 1802 le portefeuille de la Justice auquel sont réunis les bureaux de la Police générale. Créé sous le Directoire, le ministère de la Police générale siège alors dans l’hôtel Juigné, quai Voltaire, et Régnier décide dans un premier temps de s’installer dans cet hôtel. Le secrétaire général et les bureaux du département de la Justice demeurent place Vendôme tandis que « les bureaux, chargés des attributions de la police qui viennent d’être réunies à celles du ministre de la Justice, resteront quai Voltaire, jusqu’à ce qu’ils soient fondus entièrement dans ceux du département de la Justice ».

Durant le ministère du duc de Massa, un certain nombre de travaux de rénovation et de décoration est entrepris dans l’hôtel de la place Vendôme. Dès 1803, Bonaparte, « voulant donner à l’hôtel du Grand Juge ministre de la Justice la dignité qui convient à l’habitation du chef de la Magistrature de son Empire », affecte 100 000 francs au ministère de la Justice pour aménager un appartement de représentation au premier étage du corps de logis sur la place Vendôme. Cependant, cette somme est affectée à de grosses réparations de maçonnerie et de charpenterie, ainsi qu’à l’aménagement de l’hôtel du quai Voltaire alors occupé par le Grand Juge, et le projet d’appartement de réception est remis à plus tard. D’autres réparations de moindre importance sont également effectuées dans l’hôtel, principalement dans les bureaux et les logements qu’il faut constamment réparer, meubler et entretenir.

Il faut attendre 1811 pour qu’un premier projet d’appartement d’apparat au premier étage sur la place Vendôme soit présenté à l’Empereur. Un rapport de Pierre Nicolas Bénard, architecte du ministère, indique que les pièces donnant sur la place sont occupées par des bureaux et que « les menuiseries construites dès l’origine de la construction de l’hôtel sont dans le dernier état de vétusté ». En outre, le ministre occupe un petit appartement dans les combles de l’hôtel depuis 1804 et ce nouvel aménagement doit lui permettre de s’installer plus dignement, au premier étage du corps de logis sur jardin. Le nouvel appartement de réception doit se composer d’une antichambre, d’une salle des huissiers, d’un grand salon, d’un petit salon, d’un « salon galerie » et d’une grande salle à manger. Les travaux envisagés sont considérables car, en plus de renouveler la distribution de l’hôtel, il est prévu de refaire entièrement le décor.

La seule modification importante dans la distribution de l’appartement de réception est la création d’une nouvelle salle à manger, à l’emplacement du cabinet et de l’ancienne chambre à coucher des chanceliers. La nouvelle salle doit être entièrement peinte en marbre. Quant au corps de logis sur la place, il se compose d’une antichambre, de deux salons et d’un petit salon. L’appartement du ministre occupe six pièces à droite du premier salon, celui de son épouse est à gauche du petit salon. Le décor est soigné mais moins somptueux et, pour le mobilier, on se contente de réemployer et de restaurer les meubles déjà utilisés dans l’hôtel. Bien qu’économique, il semble que ce second projet n’ait pas été réalisé dans sa totalité. En effet, les sources postérieures laissent penser que le projet de réaménagement de certaines pièces, comme la salle à manger sur la cour, n’a jamais été exécuté. Cependant, le décor du salon rouge actuel, dit le « salon Empire », situé au premier étage du corps de logis sur la place, date très certainement de 1811. Les bas-reliefs placés au‑dessus des quatre portes et les lambris à hauteur d’appui blanc et or sont caractéristiques du style Empire.

Lieu emblématique du gouvernement, l’hôtel du Grand Juge participe aux festivités du Consulat et de l’Empire et, lors des grandes occasions, plusieurs centaines de lampions éclairent de mille feux la façade de la place Vendôme. C’est le cas lors des fêtes du 25 messidor [14 juillet], du 27 thermidor [anniversaire de Napoléon Ier], du 1er vendémiaire [fondation de la République], ou encore du 18 brumaire [anniversaire du coup d’État de Bonaparte] de l’an XI [1803], pour lesquelles environ 300 lampions sont placés en façade. Les victoires militaires de l’empereur sont également l’occasion de grandes illuminations : l’hôtel du Grand Juge est ainsi éclairé le 5 juillet 1807 [bataille de Friedland] ou encore le 24 juillet pour la proclamation de la Paix. Le 15 et 16 août 1807, à l’occasion de la fête de l’Empereur, pas moins de 2 900 lampions et 1 980 verres de couleur sont commandés pour illuminer la façade. Légende par défaut : Détail d’une porte

L’hôtel de la Chancellerie sous la Restauration et la Monarchie de Juillet

Sous la Restauration, la charge de chancelier est rétablie. Charles Louis François de Paule de Barentin (1733-1819), ancien garde des Sceaux de Louis XVI, est trop âgé pour être nommé chancelier. Louis XVIII lui donne donc le titre de chancelier-honoraire et c’est son gendre, Charles-Henri Dambray (1760-1829), qui est nommé garde des Sceaux et ministre de la Justice, avec le titre de chancelier de France, le 13 mai 1814. Pendant les Cent-Jours, Dambray se réfugie en Angleterre, puis à Gand, et Cambacérès retrouve l’hôtel de la place Vendôme pendant quelques mois, en tant que ministre de la Justice. Après juin 1815, plusieurs ministres se succèdent et, en 1816, le chancelier Dambray retrouve le portefeuille de la Justice. Toutefois, le 19 janvier 1817, la charge de chancelier est officiellement séparée de celle de garde des Sceaux. L’hôtel de la Chancellerie n’est plus la résidence du chancelier, il est désormais réservé au détenteur des sceaux de l’État. Ainsi, le président de la Chambre des députés, Étienne Denis Pasquier (1767‑1862), nommé ministre de la Justice en 1817, s’installe place Vendôme. Il y donne ses audiences publiques les premier et troisième samedis de chaque mois, de 9 à 11 heures du matin. Quant aux bureaux situés au no 17, ils sont ouverts au public le vendredi après-midi.

L’hôtel de la Chancellerie connaît de nombreuses transformations tout au long de la Restauration et de la Monarchie de Juillet. Le garde des Sceaux présidant plusieurs commissions du Conseil d’État, une salle des séances est aménagée dans son hôtel. Dès août 1814, Bénard dresse le devis estimatif de cet aménagement et fournit un dessin du décor mural. D’après ce devis, la salle du Conseil d’État doit être aménagée au premier étage du corps de logis sur la place Vendôme, et trois pièces sont réunies pour lui donner les dimensions nécessaires à sa fonction. Elle occupe ainsi toute la largeur du bâtiment et est éclairée par quatre croisées, deux sur la cour et deux sur la place.

Sous le ministère de Pierre-Denis de Peyronnet (1778-1854), de nombreux travaux sont entrepris sous la direction de François-Hippolyte Destailleur (1787‑1852), successeur de Bénard. Respectueux des décors anciens, Destailleur entreprend en 1821 la restauration des boiseries du XVIIIe siècle du salon doré, dit le « salon des Portraits », ainsi que de son ameublement : les draperies sont reteintes en cramoisi, les franges et les ornements sont nettoyés et les bois sont redorés. De même, au cours de l’année 1827, l’hôtel fait l’objet de réparations considérables et, par une ordonnance du 30 décembre 1829, Charles X ouvre un crédit extraordinaire de 192 625 francs pour les dépenses occasionnées « par les constructions, les réparations et les fournitures de l’hôtel de la Chancellerie ». Les sources manquent pour connaître précisément l’ampleur et la nature de ces travaux, toutefois, deux chantiers majeurs menés par le comte de Peyronnet sont assez bien connus.

L’autre chantier majeur de Peyronnet est la construction d’une grande salle à manger au premier étage. En 1827, il existe déjà une salle à manger dans l’hôtel mais le ministre n’en est pas satisfait. Celle-ci ne communique pas directement avec les salons de réception et il faut obligatoirement traverser deux antichambres et un palier d’escalier pour s’y rendre. Pour rendre la distribution de l’appartement plus commode, Peyronnet décide d’aménager une nouvelle salle à manger, plus grande et mieux desservie. Mais plus qu’un simple aménagement, il s’agit bien d’une véritable construction puisque ce projet consiste à doubler l’aile de l’escalier reliant le corps de logis donnant sur la place et celui sur le jardin. Malheureusement, aucune source d’archives ne permet de connaître précisément le déroulement de ces travaux et les témoignages concernant cette nouvelle pièce sont également très rares.

C’est encore sous le ministère de Peyronnet que deux projets de construction d’une nouvelle salle d’opéra sur les terrains de l’hôtel de la Chancellerie sont présentés au baron Hély d’Oissel, directeur des Travaux publics. Le premier projet vient de l’architecte Louis-Pierre Baltard (1764-1846) et le second de Frédéric Nepveu (1777-1862). Ce dernier prévoit de placer la nouvelle salle d’opéra quelques mètres en retrait par rapport à la rue Neuve-de-Luxembourg et de pratiquer l’entrée sur le côté gauche de la construction. Devant celle-ci, une grande arcade, placée dans l’alignement de la porte cochère du ministère, doit permettre de descendre de voiture à couvert. Nepveu ne modifie en rien l’hôtel du ministre, mais l’entrée et le chemin menant de la place Vendôme à la grande salle d’opéra doivent devenir publics. Bien évidemment, ces deux projets ne seront pas retenus : certes, ils sont tous les deux économiques puisque les terrains appartiennent déjà à l’État mais ils portent trop atteinte à l’hôtel de la Chancellerie qui perdrait alors de son prestige.

L’hôtel du ministère de la Justice et le Second Empire

Le coup d’État du 2 décembre 1851 inaugure une période de faste pour l’hôtel de la Chancellerie et de grandes campagnes de décoration sont menées tout au long du Second Empire. Malheureusement, les sources d’archives sont très rares pour cette période et il est impossible de connaître précisément l’ampleur de ces travaux. On sait qu’un crédit extraordinaire est ouvert pour les « travaux urgents à faire à l’hôtel de la chancellerie » sur l’exercice de 1853 et, en juin 1864, « divers travaux de restaurations […] sont en plein activité ».

Le grand panneau faisant face à la place Vendôme est orné d’une composition dans le style du XVIIIe siècle regroupant tous les symboles de la Justice : la table de la Loi, le glaive, la main de justice, la balance, les feuilles de chêne, le faisceau des licteurs et la torche. Une belle console porte une glace sans tain. Le décor du petit salon, au rez-de-chaussée sur le jardin, date sans aucun doute du Second Empire. Exécutés dans un style rocaille très chargé, les boiseries en bois foncé présentent plusieurs attributs de la Justice : code civil, feuilles de chêne, glaive et flambeau. Un grand trumeau de glace, posé sur la cheminée, est orné d’un putti tenant dans ses mains une balance et une épée, accompagné de deux petits dragons.

Quant au décor de la salle suivante, le grand salon, il doit très certainement dater des grandes campagnes de décoration du Second Empire. Particulièrement attentif aux décors anciens, Destailleur prend ici directement pour modèle Robert de Cotte. Ainsi la corniche est très proche, stylistiquement et iconographiquement, de celle du « salon des Portraits ». En plus des putti et des divers animaux qui peuplent les rinceaux, les angles sont occupés par des cartouches ailés presqu’identiques à ceux du salon des Portraits, dans lesquels sont aussi placées les allégories de la Justice et de la Force. Les portraits de Michel de l’Hospital (1505­‑1537), de Mathieu Molé (1582‑1656) et de François d’Aguesseau (1668‑1751), grandes figures de la Chancellerie sous l’Ancien Régime, complètent le décor.

Enfin, une autre pièce semble avoir été entièrement redécorée sous le Second Empire : il s’agit d’un petit boudoir dit le « boudoir de l’Impératrice ». Il présente un décor relativement simple mais singulier, encore en place aujourd’hui. Les murs sont tendus d’une toile bleue et un lambris bas court tout le long de la pièce. Le décor est concentré sur la porte d’entrée, entourée d’une impressionnante archivolte aux ornements végétaux. Cette pièce est probablement redécorée pour l’impératrice Eugénie qui se rend à l’hôtel lors des défilés militaires. C’est le cas pour le défilé des premières troupes de l’Armée d’Orient de retour de Crimée qui a lieu le 29 décembre 1855. De même, le 14 août 1859, l’impératrice se rend à l’hôtel de la Chancellerie pour assister à l’une des plus fastueuses fêtes impériales : le défilé triomphal de l’armée d’Italie, conduite par Napoléon III au pied de la colonne Vendôme.

Le ministère de la Justice de la fin du XIXe siècle à nos jours

En 1871, les communards ravagent Paris et les édifices symboliques de l’État sont incendiés pendant la Semaine sanglante. Le ministère des Finances, rue de Rivoli, est entièrement détruit par les flammes et la colonne Vendôme est renversée. L’hôtel du ministère de la Justice, échappe, lui, à la destruction, à l’inverse de la Colonne renversée par la Commune, et le ministre continue d’y habiter. Cette situation n’est pas sans déplaire au parti républicain qui, s’opposant au luxe et au mode de vie des ministres, prônent un « gouvernement bon marché » car « le ministre n’a pas besoin d’hôtel. C’est un homme qui, lorsqu’il devient ministre, est déjà très convenablement logé ».

Le grand chantier de la fin du XIXe siècle concerne les archives et la bibliothèque du ministère. Celles-ci occupent, depuis 1840, une surface totale de 495 mètres carrés dans les combles du corps de logis sur la place Vendôme. Dès 1885, l’espace fait défaut et, au début des années 1890, le poids des archives provoque d’importants dégâts au niveau des murs, des planchers et de la charpente du bâtiment. Pour résoudre ce problème, un premier projet de construction d’un bâtiment destiné aux archives est dressé en 1892 par le nouvel architecte du ministère, Henri Descaves (1840‑1896). L’édifice projeté est particulièrement somptueux avec son bossage, son ordre colossal, ses baies thermales, ses frontons, et son dôme carré. Mais il est aussi très coûteux et l’inspecteur général des Bâtiments civils n’autorise pas la construction du bâtiment. Un nouveau projet est finalement conçu à la fin de l’année 1893, cette fois-ci « dans l’esprit de la plus stricte économie ».

Des travaux de modernisation sont ensuite entrepris au début du XXe siècle avec l’installation de la lumière électrique en 1900 dans les bureaux au rez-de-chaussée, dépendant du cabinet du garde des Sceaux, ainsi qu’au premier étage dans les appartements particuliers du ministre et dans les salons de réception. Bientôt, c’est dans les bureaux que la lumière électrique devient indispensable et elle y est installée en 1907. Au même moment, à la suite de l’augmentation des services du ministre, les locaux situés au rez-de-chaussée du corps de logis sur la place sont convertis en bureaux. De même, l’extension des services et le manque de place dans l’immeuble de la rue Cambon entraînent la suppression de l’appartement d’habitation du chef de cabinet du ministre : la salle à manger et l’office attenant sont transformés en cabinet pour la direction des Affaires criminelles et des Grâces et en salle de bibliothèque et d’archives pour l’usage du directeur.

La Première Guerre mondiale n’épargne pas l’hôtel du garde des Sceaux, fortement endommagé par les bombardements aériens dans la nuit du 27 au 28 juin 1918. Une partie de la charpente et un mur de refend sont détruits, la couverture est détériorée sur toute sa surface et toutes les vitres des façades donnant sur la place Vendôme, sur le jardin et sur la cour d’honneur, sont brisées. Les réparations, estimées à 349 230 francs, tardent à être réalisées et au début de 1919 le ministre se plaint du plafond de la grande salle à manger qui n’est toujours pas réparé. De même, il faut remettre en état le jardin de l’hôtel dont la terre a été prélevée pour protéger le pied de la colonne Vendôme.

Le début du XXe siècle est marqué par une prise de conscience patrimoniale grandissante, qui amène les autorités de la ville de Paris à se préoccuper de l’esthétique de la place Vendôme. Ainsi, avant les événements de la Première Guerre mondiale, le préfet de la Seine souhaite, à l’instar de la Commission du Vieux Paris, rendre à la place son « harmonie primitive ». Pour cela, le ministre de la Justice doit supprimer les persiennes en bois de ses fenêtres en façade « qui nuisent à l’esthétique de la place Vendôme, masquent l’architecture et, par leur aspect, détruisent l’uniformité des édifices en bordure ».

Enfin, dès 1918, une demande de classement au titre des Monuments historiques est faite pour le salon des Portraits, au premier étage de l’hôtel du ministre. Ce salon, ainsi que la façade sur la place Vendôme sont inscrits sur l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques par arrêté du 2 mai 1927. Les décors du XIXe siècle – au rez-de-chaussée, ceux du salon d’angle, de la salle des Sceaux, de la bibliothèque et, à l’étage, les décors du salon d’angle, du second salon, du salon des portraits et de la salle à manger d’apparat, du grand salon et du boudoir donnant sur la place – sont classés en 1980, tout comme les façades sur le jardin, les toitures et l’escalier d’honneur. Le mobilier de l’hôtel fait aussi l’objet de toutes les considérations ; c’est particulièrement le cas d’un important ensemble mobilier, propriété du ministère, datant des années 1810‑1820 et attribué à Pierre-Antoine ou Louis-Alexandre Bellangé, qui est classé au titre des Monuments Historiques en 1988.

La dernière grande campagne de travaux menée par le ministère de la Justice date des années 1940-1950 et concerne la construction d’une aile sur la rue Cambon destinée aux bureaux. Après le projet avorté du transfert du ministère dans l’hôtel Biron au début des années 1910, il est décidé d’agrandir les locaux afin de centraliser tous les services du ministère. Ces derniers sont alors dispersés puisque le service des Naturalisations est installé rue de l’Université et la direction de l’Administration pénitentiaire est logée dans l’hôtel du Rhin, au no 4 de la place Vendôme.

Le projet est largement modifié au cours de l’année 1938 : la nouvelle aile ne comporte désormais plus qu’un soubassement, un rez-de-chaussée, un étage carré et deux étages sous les combles. La perte des deux derniers niveaux doit être compensée par la construction de deux annexes, une dans la cour des Communs et l’autre dans la cour de l’Horloge. Les façades sur rue et sur jardin sont identiques et, par souci d’unité et d’harmonie, il est même prévu de refaire dans le même style la façade de l’ancien bâtiment Cambon. À cette date, le bâtiment construit par Descaves en 1893 existe toujours mais il abrite désormais les services du bureau de poste no 35. Il est entièrement détruit pour laisser la place à la nouvelle aile de bureaux dont le projet final est validé par le Conseil Général des Bâtiments civils lors de la séance du 3 février 1938.

En 1951, les travaux sont terminés et il ne reste plus qu’à entreprendre le raccordement entre l’ancien et le nouveau bâtiment. Les travaux de liaison sont réalisés en 1956 et le rez-de-chaussée de l’ancien bâtiment Cambon est aménagé l’année suivante pour accueillir les services du Casier judiciaire. Enfin, la façade de ce même bâtiment, dénuée de tout ornement, est redécorée : la travée centrale est ornée d’un groupe sculpté par Raymond Delamarre (1890‑1986) représentant la Justice assise et accoudée sur la Loi et placée dans un grand fronton triangulaire.

Durant cette période, l’hôtel du ministre connaît aussi quelques modifications. Les bureaux du Conseil supérieur de la Magistrature, dont la vice-présidence revient au garde des Sceaux, sont installés au rez-de-chaussée sur jardin. Le cabinet du ministre se trouve alors au premier étage, sur le jardin, et son appartement privé – composé de quatre pièces – est au premier étage sur la place Vendôme. La plupart des salles – comme la salle du Sceau, la grande salle à manger, le salon-bibliothèque, ou encore l’appartement privé du ministre – est restaurée à cette période. Enfin, les constructions des deux immeubles de bureaux dans le jardin de l’hôtel n’ont jamais empêché les ministres de porter une attention toute particulière à cet espace de verdure, si rare en plein cœur de la capitale. Il est aujourd’hui l’un des derniers jardins de la place Vendôme et surtout le plus vaste. Les ministres n’ont ainsi jamais cédé à la pression immobilière et ont, tout au contraire, entretenu et conservé le charme de ce parc qui contribue considérablement au prestige de l’hôtel.

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