3. Mettre fin à des affrontements collectifs

Plan du chapitre

Introduction

Comme les conflits entre individus, les affrontements collectifs, qu’ils soient violents ou non, donnent lieu à des règlements dans lesquels interviennent des médiateurs ou arbitres à l’autorité reconnue par les parties. Cette recherche de solution par la négociation se rencontre dans des situations où les groupes qui s’opposent peuvent être familiaux, politiques ou confessionnels.
Les documents présentés ici illustrent la pluralité des modes de résolution des conflits et l’imbrication entre recours à la force, règlement privé et procès devant la justice. Une affaire familiale apparemment sans gravité portée devant le tribunal peut évoluer en affrontement violent, voire en homicide. L’accord permettra, dans ce cas, de sortir du cycle sans fin de la vengeance, en se tournant au besoin vers une autorité politique ou morale capable d’imposer la paix. De même, face à une ville rebelle, le pardon royal est obtenu par l’intermédiaire du médiateur idéal, homme d’Église à la fois fidèle du roi et évêque de la ville.
La période des guerres de Religion renoue par bien des aspects avec une logique de vendetta, mais il arrive, comme dans le cas de Lectoure en 1603, que les habitants catholiques et protestants d’une même ville signent des accords de paix et d’unité pour éviter les affrontements ; ou encore, comme à Castres en 1621, que les notables des deux partis garantissent par écrit leur reconnaissance mutuelle.
La présence de membres du clergé parmi les autorités mentionnées dans ces différents documents reflète leur place de notables dans la société ; elle nous rappelle aussi que la gestion des conflits se pare volontiers des valeurs mises en avant par le message chrétien : la conversion, la paix, la justice, le souci du prochain, le pardon des ennemis.

Briser le cycle de la vengeance

Remission.
Charles, savoir faisons à tous presents et à venir nous avoir receu l’umble supplicacion de Jehan le Himpple, filz illegictime de feu Lois de Himple, en son vivant escuier, demourant en notre conté de Namur, contenant que certain temps a que ledit feu Loys acheta certains heritages de feu Evrard de Boneffe, à cause du quel achat certaine question et procès se meu tantost après par devant les gens de notre conseil audit Namur entre Jehan de Boneffe, filz dudit feu Evrard, d’une part, et ledit feu Loys, père dudit suppliant, d’autre part, tellement que pendant ladite question et en hayne d’icelle, environ a xxixeans, iceluy feu Loys, retournant dudit Namur en son hostel de Moinguy le Sarcy, seant oudit conté de Namur, fut en son chemin achaitié et sur le chemin ochis et mis à mort par ledit Jehan Boneffe, ou quel temps ledit supliant, frere aisné de feurent Loys et Poillier de Impleu, tous enffans illegitismes dudit feu Loys, n’avoit pas lors de dix ans, mais environ a xv ans, iceulx freres venus à aucune cognoissance veans que ledit feu ne ses parens ne offroient aucune satisfaction ne amendise de la mort dudit Loys leur père, meus de chaudecolle et ledit suppliant lors tres jeune de l’eaige de xv a xvi ans, rencontrerent d’aventure en plain champ entre Namur et Jemlaux feu Persam de Hem, cousin germain dudit Jehan de Boneffe, le navrerent à ceste cause, aussy que tellement sur ledit camp il termina vie par mort. De puis lequel temps, lesdits freres nous ont bien et lealment servy en noz guerres et armees de France, Liege et Dignant, tellement que en notredit service iceluy feu Poillet, frere dudit supliant, a par les Liegeois, environs trois ans, a esté occis et mis à mort et iceluy feu Loys est aussy puis certain temps ença alé de vie à trespas. Et depuis a ledit suppliant fait paix à partie en la maniere qui s’ensuit, c’est assavoir qu’il doit faire ung voyage en Jehrusalem, Saint Jacque en Galice, à Notre Dame de Rochemador et à Vendomme, et paier ung voiage d’oultre mer, illec demourant trois ans, fonder deux messes perpetuelles la sepmaine en l’eglise Saint Leu audit Namur, en la chappelle Saint Anne, là ou le corps dudit feu Persant gist, et avec ce livrer tous aornemens et appointemens pour celebrer lesdites messes, et en oultre demourer à tousjours banny de notre conté de Namur et de Huy de par de ça la riviere de Meuze et de toute la mayerie de Meffedera et de ladite riviere, et de tout ce baillier bonne et seurre caucion. Laquelle amende et satisfaction il n’est pas possible furnir audit suppliant, actendu que les biens de luy et dudit feu Loys son frere avec luy comprises esdite amendises seans en notredit conté de Namur sont pour occasion dudit homicide prins et mis en notre main. Par quoy ne se oseroit jamais trouver en notredit conté de Namur ne ailleurs en noz pays et seignouries se notre grace et misericorde ne luy estoit sur ce impartie, dont actendu ce que dit est et meismement en regard aux paines, labours, pouretez et misere qu’il a par cy devant souffert à cause dudit homicide et luy convient encores souffrir pour satisfaction à partie d’iceluy, il nous a treshumblement supplié et requis.
Pour quoy nous, ces choses considerees [en marge : Sans finanches] et sur ce eu l’adviz du seigneur de Humbercourt notre cousin et gouverneur de Namur qui, par notre ordonnance, s’est informé sur ce que dit est, ayant pitié et compassion dudit suppliant et voulant en ce grace et misericorde preferer à rigueur de justice, actendu meismement le jeune eaige que ledit supliant avoit à l’eure dudit cas ainsy avenu et que dit est, à iceluy suppliant avons ou cas dessusdit quicté, remis et pardonné, quictons, remectons et pardonnons de notre grace especial par ces presentes le fait et homicide dessusdit, ensamble toucte paine, offense corporelle et criminelle et civile, en quoy pour occasion des choses dessusdites, leurs circonstances et deppendances ou aucunes d’icelles, il a et puet avoir mesprins et estre encouru envers nous et justice, et l’avons quant à ce restitué et restituons à ses bonne fame, renommee, au pays et à ses biens non confisquez, s’aucun en y a, en imposant sur ce silence perpetuel à notre procureur et à tous autres noz officiers quelzconques, satisfaction touctesvoies faicte à partie se faicte n’est civilement tant seullement.
Si donnons en mandement à notredit gouverneur de Namur ou à son lieutenant que appellez par devant luy ceulx qui pour ce seront à appeler, il procede ou face proceder bien et diligemment à la verifficacion et interinement de ces presentes, et ce fait il et tous autres noz justiciers et officiers presents et à venir et chacun d’eulx de notre presente grace le facent, seuffrent et laissent plainement et paisiblement joyr et user, sans luy faire mectre ou donner ne souffrir, estre fait, mis ou donné etc., ainçois se son corps estoit pour ce prins et detenu prisonnier et ses biens, s’aucuns en y a, non confisquez, pour ce prins, saisiz etc., car [etc.]
Et afin [etc.] Sauf [etc.]
Donné en l’abbaye Saint Maximin lez la cité de Treves ou mois de novembre l’an de grace mil iiiic lxxiii. Ainsy signé par Monseigneur le duc. I. Coulon.
(Transcription : Quentin Verreycken)

À la fin du Moyen Âge, les justiciables disposent d’une multitude de voies possibles pour mettre un terme à un désaccord qui les oppose : accord privé entre les parties, procès devant la justice, et même usage de la violence. La lettre de rémission accordée en novembre 1473 au bâtard Jehan de Himple par le duc de Bourgogne Charles le Téméraire offre un bon témoignage de cette pluralité des modes de résolution des conflits. L’affaire commence 29 ans plus tôt, alors que le père du suppliant, l’écuyer Louis de Himple, se trouve en procès contre un dénommé Jehan de Boneffe devant le Conseil de Namur, en raison d’une dispute d’héritage. Plutôt que d’attendre les résultats de la procédure, Jehan de Boneffe décide de tuer Louis de Himple et refuse par la suite de dédommager la famille de sa victime. Face à cet affront, Jehan de Himple et ses frères décident de se venger lorsqu’ils rencontrent Persam de Hem, cousin germain de Jehan de Boneffe, en le tuant à leur tour.
Ce type de vendetta entre familles n’est pas exceptionnel au xve siècle, car il permet à la partie victime de rétablir son honneur en tuant à son tour un membre de la parenté adverse. Il ne s’agit pas moins d’une pratique dangereuse qui peut entretenir un cycle sans fin de violences, et c’est pourquoi les autorités tentent de l’endiguer en imposant des procédures d’accord entre les parties et en interdisant l’homicide par vengeance dans la ville et franchise de Namur – ce qui est sans doute la raison pour laquelle Jehan de Himple et ses frères ont tué Persam de Hem en plein champ.
Quelques années plus tard, alors que Jehan de Himple a perdu ses deux frères à la guerre, il tente à son tour de conclure un accord ou paix à partie avec la famille de Persam de Hem. Toutefois, ses biens ayant été confisqués par la justice ducale, il est incapable de satisfaire les demandes de la partie adverse (qui exige de lui plusieurs pèlerinages et fondations de messes, ainsi qu’un bannissement perpétuel en dehors du comté de Namur). Jehan de Himple requiert alors une lettre de rémission au duc de Bourgogne. Face aux échecs des autres procédures d’accord, le recours à la grâce ducale apparaît alors comme un moyen pour clore définitivement le conflit, en graciant Jehan de Himple pour son crime et en imposant la paix entre les deux familles.
Pour en savoir plus : https://doi.org/10.4000/11wct
(Auteur : Quentin Verreycken)

Face à la ville rebelle, mobiliser des médiateurs

Monseigneur,
je me recommande à votre bonne grace tant que je puis, je vous ay nagueres escript du grant tort que l’on me fait de moy empescher tout le temporel de la cité, et les pertes et dommage que j’ay soubstenu depuis l’encommenchement de la guerre.
Monseigneur, vous scavés comment j’ay servi le roy et des premiers et obey que je doy et ay volloir d’ainssi le faire tant que viveray. Maintenant nous avons pais, Dieu merchy, je vous supply que vous aiés souvenance de moy en tamps et lieu tellement que le roy ait pitié de nous pource cas et que je ne soye point oublié, je le puis bien servir au païs et en la marche.
Par le traictié de ladite pais chacun retourne au sien etc. Par quoy je suppose que les empeschements que j’avoie touchant le fait de ladite cité en ma justice et seigneurie se leveront et cesseront et que j’en joïray comme je faisoie auparavant.
Monseigneur, je vous prye que vous aiés la povre ville d’Arras pour recommandée et les povres subgetz, tellement qu’elle puist estre reduicte en sa nature ainssi que paravant estoit car aultrement c’est une ville destruicte et perdue, et ce sera le bien du roy et de monseigneur le dauphin les choses bien end entendues.
Monseigneur, je prye Notre Seigneur qu’il vous doint bonne vye et longue et certain acomplissement de vos desirs, escript à Paris ce xe jour de janvier.
Votre serviteur, l’evesque d’Arras.
(Transcription : Adrien Carbonnet)

La répression des soulèvements urbains dans la seconde moitié du xve siècle a donné lieu à des négociations entre le roi et la ville. L’accord est toutefois rarement mentionné dans la documentation et le récit officiel du pardon royal masque les marchandages, les intermédiaires et les pots-de-vin. À l’image de cette lettre, les sources de la pratique permettent de comprendre le rôle des acteurs locaux dans la réconciliation.
L’évêque d’Arras, Pierre de Ranchicourt, écrit à Ymbert de Batarnay, seigneur du Bouchage, l’un des proches de Louis XI. L’évêque se recommande au seigneur du Bouchage afin de récupérer la jouissance de ses droits et de ses biens sur la cité d’Arras. Cette dernière, remuante et plusieurs fois en révolte depuis l’année 1477 et le début de la guerre de Succession de Bourgogne, a été entièrement dépeuplée par Louis XI et repeuplée par des colons venus de tout le royaume de France. La Paix d’Arras de décembre 1482 laisse entrevoir à l’évêque un retour au statu quo ante. Cette mention de la « pais », ainsi que celle du Dauphin, nous permettent de dater la lettre du 10 janvier 1483, année de la mort de Louis XI.
Dans cette missive, l’évêque apparaît comme un parfait médiateur entre le souverain et la ville punie. En effet, après avoir rappelé sa fidélité au roi depuis le début de la guerre de Succession de Bourgogne, Pierre de Ranchicourt en profite pour recommander également, à la fin de sa lettre, la « povre ville d’Arras ». Il s’agit d’obtenir le retour des habitants et de redonner son nom à la ville, rebaptisée Franchise par Louis XI. Comme soutien fidèle du roi et évêque de la ville, Pierre de Ranchicourt exerce ici une fonction d’intercesseur chargé d’obtenir le pardon royal afin de soulager ses ouailles repentantes, mais aussi pour redonner à la ville son ancienne splendeur, ce qui lui permettrait de retrouver les revenus qu’il tirait de ses bénéfices avant la conquête de l’Artois.
Pour en savoir plus : https://doi.org/10.4000/11wcs
(Auteur : Adrien Carbonnet)

Éviter le spectre de la guerre civile

Articles accordés pour l’union et concorde de tous les habitans de la presant ville de Lectoure par Messieurs les depputés de l’une et de l’aultre Religion, soubz le bon plaizir du Roy et de Monseigneur le mareschal d’Ordanno [Alphonse d’Ornano], lieutenant general pour sa Majesté en Guienne.

[En marge : L’original des presents articles, veriffication d’iceulx faicte par le roy et Monseigneur le mareschal d’Ornano lieutenant pour sa Magesté sont dans une boiette de fer blanc mise dans le coffre des troys clefz]

Que tous les habitants de la presant ville de Lectoure ou les principaulx d’iceulx quy seront respectivement nommées prometeront et jureront en corps de ville de s’aymer et cherir comme bons citoyens et au cas il arriveroit occasion d’aulcun changement communicquer ensemble les adviz qu’ilz pourroient avoir receuz tant en general qu’en particulier avec Monsieur de Fontrailhes [Benjamin d’Astarac baron de Fontrailles] gouverneur et deliberer conjoingtement sur iceulx ce quy sera bezoing pour leur assurance et pour se maintenir soubz le service et obéissance du roy et pour faire de mesmes l’execution de ce quy sera arresté et s’il se truvoict quelcun quy voulust troubler leur repos s’y oppozer et en faire poursuitte aux despens de la ville et soubz le nom du scindic conjoingtement ou separeement avec les offencés par toutes voyes deues et raisonnables et pour cest effect lesdits habitans se dorront [donneront] la foy respectivement ensemble pour le libre exercisse de leurs religion, su[r]eté de leurs personnes et jouyssances de leurs biens en temps de guerre comme en temps de paix et en cas de contrevantions les deslinquantz et faulteurs seront poursuyvis par commune main et a fraiz communs sans que aulcun d’iceulx se puisse ayder d’aulcune remission ou abolition.

Que ceulx de ladite Religion assureront les seigneurs catholiques de faire tenir a Monsieur de Fontrailhes la promesse qu’il a faicte puys peu de jours aux sieur du Baret, Boubee et Dupré delegues vers luy pour tous les habitants scavoir que la cloyson faicte puys naguieres au clocher sera ostee, les foires et marchés remis dans la ville, et que ledit sieur de Fontrailhes tant pour soy, messieurs ses enfens, cappitaines que aultres de la garnison jurera en l’assamblée des habitans en la maison commune de ladicte ville de maintenir lesdits habitants en ceste union et concorde et aultrement suyvant le dernier article de l’eedict de Nantes.

Que lesditz habitans catholiques remettent la poursuitte qu’ilz faisoient devant sa magesté touchant les clefz de ladicte ville contre ledict sieur de Fontrailhes à monseigneur le mareschal d’Ornano pour en ordonner comme bon luy semblera.

Pour l’eslection des consulz de ladicte ville, que ceulx quy sortiront de charge prendront le jour avant qu’il soict procédé l’eslection de leurs successeurs six des habitans catholiques et aultres six de ladite Religion, quy auront esté consulz et en deffault de ce, des plus anciens et qualliffies pour deliverer [déliberer] sur les lignes [personnes inscrites pour pouvoir prétendre à la fonction consulaire], lesquelz doutze en presance des magistratz et consulz nommeront soixante des plus anciens et califiés habitants de ladite ville sans differance de religion pour poincter et le lendemain lesdits soixantes esliront six pour estre consulz les troys catholiques et les autres troys de ladite Religion, et ce suyvant l’ordonnance ou brevet de sa magesté du vingt ungniesme novembre 1602 par provision et tant qu’il plairra au roy, prometant lesdits sieurs catholiques de ne faire aulcune poursuitte pour obtenir retractement de ladicte ordonnance ou brevet ny rien au contrere et au cas leur depputé ou aultre auroict rien obtenu ou obtiendroict par cy apres au contraire de ne s’en ayder.

Que aulcun forain ne pourra estre receu dans ladicte maison de ville quy au nombre des habitans d’icelle sans precedante attestation du lieu ou il a habité auparavant, de ses vie, mœurs et Religion, et qu’il n’aye juré l’observation des presants artigles, et payé le droict d’entrée tel qu’est porté par les estatutz de ladite ville, de quoy les consuls quy les recepvront respondront en leurs propres et privés noms.

Ne pourront aussy les forains quy sont esté receuz cy devant ou quy seront receuz par apres au nombre desdictz habitans estre mis en ligne consulaire qu’ils n’ayent demeuré six ans domicilliés dans ladicte ville à compter du jour de leur reception en la maison commune et registre faict d’icelle et quy n’ayent quinze cens livres vaillans en biens immeubles dans ladite ville et sa juridiction ou en estatz ou offices ou bien fassent dix soulz au simple oultre la capitation, saufz pour ceulx quy ont desja esté consulz.

Et pour le regard des enfens de la ville seront mis au rang des consulz et leur sera bailhé ligne s’ilz ont sept cens cinquante livres vaillant en bien immeubles dans ladicte ville et sa juridiction ou en estatz ou s’ils font six soulz au simple oultre la capitation et les fils de famille natifz de ladite ville auront aussy ligne sy leurs peres ont vaillans en biens immeubles en estatz dans ladite ville ou juridiction, ladite somme de sept cens cinquante livres et que les peres en respondent.

Tout ce dessus a esté accordé sans prejudice des poincts vuydés par messieurs les commissaires depputés par le roy en ceste province pour l’execution d’icelluy eedict de Nantes, arrestz et ordonnances de sa Magesté donnés sur les differans d’entre partyes aultres que ceulx desquelz a esté faict mention cy dessus, lesquelles ordonnances et arrestz seront enregistrés ez registres de ladite maison de ville avec les presantz articles et transaction quy sera passée sur iceulx, l’authorisation de laquelle sera poursuivye ou il appartiendra.

Promettans lesdits habitans respectivement ne s’ayder d’aulcune provizion que leurs depputés pourroinct avoir obtenu en court, au prejudice de cest accord, ainsi icelluy garder et observer soubz les mesmes assurances que dessus, pour l’entretenement et exécution de quoy, nous, depputés, nous sommes soubz signés.

À Lectoure en la maison commune d’icelle, le vingt deuxiesme jour du moys de mars 1603.
(Transcription : Pierre-Jean Souriac)

Au cours des guerres de Religion, dès les années 1560 à la suite de l’édit de Janvier 1562, certaines communautés d’habitants confrontées à l’apparition de frontières religieuses en leur sein ont fait le choix d’éviter l’affrontement en signant des accords d’unité et de paix. C’est ce qu’Olivier Christin a appelé des « Pactes d’Amitié », repérables sur tout le royaume, mais plus présents dans la vallée du Rhône et autour de Castres. L’enjeu de ces pactes était le maintien de l’ordre public, les parties en présence se donnant des garanties mutuelles de sauvegarde, dans le respect de la loi royale contenu dans l’édit de paix qui autorisait la coexistence. Si ces pactes se concentrent davantage dans la première moitié des guerres de Religion, ils mirent en œuvre des modalités de pacification locale qui ne furent pas oubliés même après l’édit de Nantes. C’est ainsi qu’on retrouve un texte similaire à Lectoure en 1603. La petite ville méridionale de Lectoure tenta tout au long des guerres de Religion d’éviter de choisir le camp catholique ou le camp protestant afin d’éloigner au maximum le spectre de la guerre civile. L’historien Thierry Wanegffelen s’est servi du cas lectourois pour montrer ces « temporiseurs » effrayés par la guerre, garantissant les deux cultes rivaux et louvoyant pour conjurer les menaces. Dotée d’une municipalité de six consuls et de 60 jurés, la place était aussi le siège de la sénéchaussée d’Armagnac, et le lieu de résidence d’un sénéchal, noble d’envergure régionale qui traditionnellement était aussi le gouverneur de la ville. Le seigneur direct de la place était la famille d’Armagnac, à savoir d’abord Jeanne d’Albret puis Henri de Navarre futur Henri IV. À partir de 1560, le sénéchal était un proche de Jeanne d’Albret, Michel d’Astarac baron de Fontrailles, calviniste affirmé au moins depuis 1569 car poursuivi par le parlement de Bordeaux pour ce motif. En 1562, lors de la première guerre de Religion, la ville suivit la révolte du parti protestant mais elle en fut châtiée. Forte de cet enseignement, à partir de 1567, la municipalité réussit à louvoyer entre la surveillance des chefs catholiques régionaux – Blaise de Monluc notamment –, le positionnement protestant du sénéchal et la perspective également de subir les contraintes de la guerre, à savoir au pire une attaque, au mieux l’hébergement d’une garnison. Le visage de la ville était alors celui d’une ville calme se montrant loin de la guerre et qui évacuait des délibérations municipales la question religieuse. La modération ne passait pas par le mi-partisme confessionnel de la municipalité qui resta catholique, mais par le respect des deux communautés confessionnelles. Cependant, Lectoure occupait un site trop stratégique dans le Sud-Ouest pour être délaissée par Henri de Navarre quand il prit en main les destinées militaires du parti. Ainsi, en 1576, lorsqu’il commença à s’affirmer, il nomma son demi-frère, Charles de Bourbon, pour occuper la charge d’évêque de la ville. Puis il nomma un nouveau gouverneur, d’abord le sieur de Coné, puis à nouveau Fontrailles et il proposa en 1577 un consulat bi-confessionnel pour assurer une présence huguenote dans la municipalité. La ville passa alors dans l’orbite du parti protestant tout en conservant une communauté catholique représentée et protégée par un premier serment de respect mutuel signé par les principaux habitants de la ville le 8 avril 1577. La place était alors pleinement huguenote. Et c’est à ce titre qu’elle se trouva sur la liste des places de sûreté en 1598 accordées au parti protestant par l’édit de Nantes. Ainsi, Lectoure était reconnue comme place forte protestante, dotée d’un gouverneur et d’une garnison huguenote soldés par le roi, et ce au moins pour huit ans. Pour autant, cette identité militaire ne fit pas perdre à la ville son souci ancien de coexistence religieuse, et c’est ce que traduit l’accord passé entre les habitants catholiques et les habitants protestants le 22 mars 1603. Il fait écho à l’inquiétude des consuls face à des rumeurs de circulation de troupes ou de brigands qui auraient provoqué la mise en défense de villes voisines.
(Auteur : Pierre-Jean Souriac)

Une reconnaissance mutuelle

L’an mil six cens vingt ung et le quatriesme jour du mois de juing dans la ville de Castres pardevant moy notaire royal et tesmoingz bas nommes constitués en leurs personnes, Messire Jehan de Fossé evesque de Castres, Messieurs Maîtres Estienne de Bedos premier archidiacre, François de Villeneufve, Olivier de La Trille, Anthoine Du Faur, Jehan Terry, George d’Arthus, Anthoine Dupuy, Emile Aigron et Jean de Noyrigat tous chanoines de l’eglise cathedralle Saint Benoict dudit Castres. Lesquels tous ensemble d’ung commung consantement et de leur pure et franche vollonté ont recognu, declairé et certiffié à tous ceux qu’il appartiendra que les consulz et habitans de ceste ville ont de bonne foy satisfaict aux promesses et assurances qu’ilz leur avoient données et aux autres habitans catholiques par la deliberation du sectziesme decembre dernier et mesmes que despuis ses mouvemans ledict seigneur evesque et son clergé et tous les ecclesiastiques et habitans catholiques y ont continué leur sejour et demeuré en toute liberté et seuretté sans avoir receu aucung mauvais traictement ou subject de plainte et que lors qu’ilz ont voulleu fere transporter leur meubles, denrées, ornemens des eglizes et autres chozes quy pouvoyent estre desplacees, il leur a esté permis et loisible d’en uzer à leur vollonté. Ce qu’ilz ont fait avec toute assurance en telles villes et lieux circonvoisins que bon leur a semblé. A cauze de quoy ledit seigneur evesque et susdits chanoines ont deschargé et deschargent lesdits consuls et habitans des obligations quy ont esté par eux pour ce regard faictes et ont consanty et consantent à la cancellation d’icelles et qu’ilz n’en puissent estre recerchés de present ny pour l’advenir soit en general ou en particullier et à ces fins ont faictes les obligations et [ ?] en tel cas requizes et nécessaires et l’ont juré en presances de messieurs Maîtres Jacques de Severac, Pierre Dumas docteur, noble Claude de L’Espinasse escuier, Alexandre de Rech et Jean Expert de Limous demeurant au service dudit sieur evesque soubzigné avec les susdits sieurs evesques et chanoines à l’original duquel le present a esté tiré par moy Michel Rozier.

Le contexte de ce texte est la prise d’armes du parti protestant à l’appel de l’Assemblée générale de La Rochelle qui a placé le Languedoc sous le commandement du duc de Rohan. Plusieurs villes dirigées par des protestants, dont Castres, hésitèrent à suivre le mouvement malgré leur passé militaire au service du parti. Elles commencèrent d’abord par signer des accords de non-agression avec les notables catholiques. Un tel accord fut signé à Castres le 16 décembre 1620. Le texte proposé ici est un acte notarié signé six mois après cet accord par l’évêque et les chanoines reconnaissant son respect par la municipalité protestante. Il a pour but de couvrir les consuls de Castres de toute poursuite pour non-respect des édits royaux de coexistence dans le contexte troublé que connaît alors tout le Midi.
(Auteur : Pierre-Jean Souriac)