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La prison de Bicêtre

Une prison de l'hôpital général

Laurence Guignard, Jean-Claude Farcy

Source : Façade de la la prison de Bicêtre, Paul Bru, Histoire de Bicêtre (hospice, prison, asile), Paris, 1890, p. 105, Gallica

Le cadre agreste, au sud de Paris, entre Villejuif et Gentilly

Source : Vue de Gentilly et du château de Bicêtre, Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7740070b)

"La situation de Bicêtre est sur une colline, entre le village de Villejuif et Gentilly, à la distance de Paris d'une lieue. Sa position le rend très propre pour le rétablissement des malades, et c'est déjà un séjour moins infect que la plupart des hôpitaux de la ville. Il est certain que si la Seine pouvait être conduite à Bicêtre, ce serait le lieu le plus commode pour former un hôpital des mieux placés et des plus considérables" (Louis Sébastien Mercier, Tableau de Paris…).

Un château à l'histoire mouvementée (1250-1656)

Source : Source Albert Laurent, Les prisons du vieux Paris, 1893, p. 217, Gallica

C'est sur une ancienne colonie de Chartreux installée sur le domaine de la Grange-aux-Queulx, acquise par Jean de Pontys (ou de Pontoise), évêque de Winchester, fait construire un premier château à la fin du 13e siècle. Disputé pendant la guerre de Cent ans entre le roi de France et le roi d'Angleterre, il est plusieurs fois incendié, notamment en 1371. Sur les ruines acquises en 1400, Jean de France, duc de Berry, frère du roi Charles V, le rebâtit avec magnificence. Il abrite notamment une importante collection de tableaux. Pendant la guerre civile opposant Armagnacs et Bourguignons, une expédition des Cabochiens, dirigée par le boucher parisien Legoix, incendie à nouveau le château.

Un château à l'histoire mouvementée (1250-1656)

Source : Original, planche 20 dans Claude Chastillon,Topographie francoise, publiée en 1610, collection INHA

Sur les ruines du château, premiers établissements d'assistance

Source : Paul Bru, Histoire de Bicêtre (hospice, prison, asile), Paris, 1890, p. 11, Gallica

Les ruines, occupées à l'occasion par des malfaiteurs, confèrent à Bicêtre la réputation de lieu maudit, fréquenté par les danses macabres des damnés, sabbats et orgies des revenants. Le mot devient synonyme de malheur. Louis XIII achète l'emplacement et les terres avoisinantes avec l'objectif d'y installer un hôpital destiné à recevoir officiers et soldats invalides. Si ce qui subsistait du château est bien rasé en 1632, le projet d'hospice pour invalides ne fut pas mené à son terme.

En 1647, Saint-Vincent-de-Paul obtient l'autorisation d'y installer un Hôpital des Enfants Trouvés, mais dès l'année suivante, suite à une épidémie et des difficultés en matière de gestion, les enfants sont placés dans une maison parisienne, au Faubourg Saint-Denis.

Bicêtre, maison de l'Hôpital général

Source : Recueil d'Edits réglements concernant l'hôpital général, 1655-1661, Gallica

L'édit promulgué par Louis XIV le 27 avril 1656 crée de l'Hôpital général à Paris pour réaliser le "renfermement" des pauvres, mendiants et vagabonds, aliénés, prostituées, ainsi que les enfants et femmes que parents et maris font enfermer pour "correction", moyennant le paiement d'une pension pour "correction". Bicêtre est, avec La Pitié, la Salpêtrière un des principaux établissements de l'Hôpital général. Un an après l'édit d'avril 1656 on y compte déjà  600 pauvres "vieillards au-dessus de soixante-dix ans qui ne sont incommodés que de la vieillesse, grands garions estropiez, petits garçons estropiez, incurables, aveugles, paralytiques, imbéciles, épileptiques, rompus, etc." selon le registre des délibérations de l'année 1657. Jusqu'à la Révolution Bicêtre s'affirme comme un des principaux lieux de relégation pour vieillards, mendiants, infirmes, malades, vénériens, avec plusieurs catégories de prisonniers.

L'hospice de Bicêtre

Source : Plan de l'hospice de Bicêtre par E. Poulet Galimard, del. 1813, Gallica

Installations et équipements de Bicêtre portent la marque d'une institution totale, apte à vivre le plus possible en autonomie. La diversité des fonctions hospitalières se lit dans les diverses cours (des imbéciles, des épileptiques, des fous en traitement, des fous incurables), son jardin des épileptiques, sa pharmacie, sa salle des morts et le cimetière.

Le travail des pensionnaires fait naître la présence d'une cour des ateliers de construction et d'un atelier des indigents. L'importance de l'équipement et bâtiments administratifs (buanderie, laverie et lingerie, dépôt de bois, magasins de comestibles et légumes secs, paneterie, basse-cour et engrais des porcs) est en rapport avec les quelque 3 500 "pensionnaires" présents dans les dernières décennies de l'ancien régime.

Plan de la prison de Bicêtre

Source : Paul Bru, Histoire de Bicêtre (hospice, prison, asile), Paris, 1890, p. 97, Gallica

La prison elle-même, sur le plan, affirme son autonomie par rapport à l'ensemble de la maison de Bicêtre. Elle a sa propre cuisine, sa propre chapelle et ses cours (cours de la cuisine, des chiens, des suspects). Des espaces différents sont réservés à la Force (avec en adjonction les cours des fers) et à la correction. En pratique, la spécialisation n'est pas aussi évidente et toutes les critiques contemporaines insistent sur le mélange du "crime et de l'indigence", des criminels, des enfants en correction et des pauvres, ce qui accentue encore la réputation de lieu maudit dans l'opinion du peuple parisien.

Le grand puits et son manège

Source : Boffrand, Germain, De architectura liber, in quo continentur generalia hujus artis principalis,…, 1745, planche, p. XLVII, Gallica

Construit par l'architecte Boffrand en 1733-1734, pour pallier l'insuffisance du puits originel et de la source voisine quand on commença à exploiter les carrières du plateau de Gentilly, ce puits, de 5 mètres de diamètre avait une profondeur de 60 mètres. Le manège assurant l'élévation de l'eau, d'abord mis en mouvement par une douzaine de chevaux le fut, à partir de 1781, sur l'initiative du lieutenant de police Lenoir, par 72 prisonniers attelés par groupes de trois aux huit branches du cabestan, en se relayant d'heure en heure. Quand la prison fut désaffectée en 1836, le relais fut pris par des indigents, épileptiques et aliénés, pour une année, avant qu'on décide de confier à une compagnie privée le ravitaillement en eau de la Seine. Pendant un demi-siècle, le travail rémunéré au manège du grand puits fut une des deux principales activités des prisonniers avec l'atelier de polissage des glaces.

Le grand puits et son manège

Source : Gallica, Boffrand, Germain, De architectura liber, in quo continentur generalia hujus artis principalis,…, 1745, planche p. XLIX

Par ordre du roi…

Source : Paul Bru, Histoire de Bicêtre (hospice, prison, asile), Paris, 1890, p. 426, Gallica

Dès la fin du 17e siècle, la prison de Bicêtre se développe dans la logique du renfermement des mendiants, en commençant par accueillir les plus indisciplinés d'entre eux. Puis elle devient l'un des principaux centres de détention sur ordre du roi, procédure connue également sous le nom de lettres de cachet. Ces lettres, symbolisant l'arbitraire royal aux yeux de l'opinion éclairée, sont le plus souvent accordées à la demande des familles dans un but de discipline familiale, pour faire respecter l'autorité paternelle et maritale. Elles servent également à incarcérer tous ceux dont on estime qu'ils portent atteinte au pouvoir royal. Ces prisonniers d'Etat sont, au 18e siècle, bien plus nombreux à Bicêtre qu'à la Bastille.

Dans l'exemple cité, l'ordre du roi est sans motivation, et le détenu devra croupir dans une des salles communes de la Force, où il va se retrouver avec des détenus enfermés sur ordre de justice, de sentence de justice ou sur ordre direct du lieutenant de police.

Les cabanons

Source : Paul Bru, Histoire de Bicêtre (hospice, prison, asile), Paris, 1890, p. 50, Gallica

Le terme cabanon désigne une cellule (ou chambre) de huit pieds de haut et de profondeur, de six de large, garnie d'un lit, d'une chaise et d'une table, éclairée par une petite fenêtre garnie de treillis. Il y avait 296 cabanons situés dans deux corps de bâtiments formant équerre et disposés sur 4 étages, chaque étage étant traversé d'un long corridor sur lequel s'ouvraient portes et guichets. Le dernier étage, moins éclairé, était utilisé quand l'effectif se trouvait en surnombre. Ces cellules n'étaient pas chauffées et le silence était imposé. Une partie des détenus était incarcéré à la demande de leurs familles qui souvent payaient leur pension. Le reste des cabanons était occupé par des condamnés à perpétuité, souvent envoyés de la Conciergerie après commutation d'une peine capitale.

Le premier croquis signale la volonté d'étendre l'encellulement à la fin de l'Ancien régime en affectant à cette destination une partie des cachots de l'établissement.

Ci-dessus coupe au niveau des cachots blancs

Source : Paul Bru, Histoire de Bicêtre (hospice, prison, asile), Paris, 1890, p. 51, Gallica

Les cachots.

Source : Alboise de Pujol, et Maquet, Les Prisons de l'Europe, Paris, Charlieu et Huillery, 1863 p. 32, Gallica

Isidore Meunier, au cachot blanc 17 ans pour insulte envers de Sartine, libéré par Joseph d'Albert, lieutenant de police.

Au milieu de la cour principale se trouvaient les cachots, accessibles par un escalier de 22 marches. Un second étage inférieur avait été comblé à l'avènement de Louis XVI. Les prisonniers punis ou sanctionnés dès leur arrivée par ordre de police, vivent reclus, enchaînés. L'évocation de Malesherbes sollicitant du roi en 1770 leur suppression est restée célèbre :

"Sire, il existe dans le château de Bicêtre des cachots souterrains, creusés autrefois pour y enfermer quelques fameux criminels, qui après avoir été condamnés au dernier supplice, n'avaient obtenu leur grâce qu'en dénonçant leurs complices, ces cachots sont tels qu'il semble qu'on se soit étudié à ne laisser aux prisonniers qu'on y enferme qu'un genre de vie qui leur fasse regretter la mort. On a voulu qu'une obscurité entière régnât dans ce séjour. Il fallait cependant y laisser entrer l'air, absolument nécessaire pour la vie; on a imaginé de construire, sous terre, de piliers percés obliquement dans leur longueur et répondant par des tuyaux qui descendent dans le souterrain. C'est par ce moyen qu'on a établi quelque communication avec l'air extérieur, sans laisser aucun accès à la lumière. Les malheureux qu'on enferme dans ces lieux humides et infects, sont attachés à la muraille par une lourde chaîne et on peut donne de la paille, de l'eau et du pain. Votre Majesté aura peine à croire qu'on ait eu la barbarie de "tenir plus d'un mois" dans ce régime d'horreur, un homme "qu'on soupçonnait de fraude"…"

Un prisonnier célèbre : Latude

Source : Mémoire pour le sieur Masers de Latude, successivement prisonnier depuis 1749 à la Bastille, à Vincennes et au château de Bicêtre (1784), Criminocorpus (collection Zoumerroff)

Jean Henri, dit Latude, fils d'un chirurgien des armées du roi, passa plus d'une trentaine d'années dans les prisons de l'Ancien régime. A la suite d'une banale escroquerie auprès de Madame de Pompadour, il est envoyé par lettre de cachet, en mai 1749, à la Bastille puis transféré à Vincennes d'où il s'évade. Repris, conduit à nouveau à la Bastille, il s'en évade plusieurs fois, mais il est repris à chaque fois. Envoyé à Charenton en 1775, éloigné de Paris en juin 1777, il est à nouveau emprisonné, sous l'accusation de vol, cette fois à Bicêtre. Se posant comme une victime du despotisme, intéressant des grands à sa cause (il cite ici le cardinal de Rohan), il est libéré définitivement le 24 mars 1784. Ses Mémoires (Le Despotisme dévoilé, ou Mémoires de Henri Masers de la Tude, détenu pendant trente-cinq ans dans les diverses prisons d'État, Amsterdam, 1787) connurent un grand succès pendant la Révolution, son histoire apparaissant comme le symbole des méfaits de l'arbitraire sous la monarchie.

Un prisonnier célèbre : Latude

Source : Mémoire pour le sieur Masers de Latude, successivement prisonnier depuis 1749 à la Bastille, à Vincennes et au château de Bicêtre (1784), Criminocorpus (collection Zoumerroff)

Un prisonnier célèbre : Latude