Roussenq (Paul) — L'enfer du bagne
A côté du troupeau des résignés esclaves,
Il en est quelques-uns fortes têtes qui bravent
Le joug des règlements, élastiques d’ailleurs,
Qui peuvent les meurtrir sans les rendre « meilleurs »
Isolés, mis aux fers, privés de nourriture,
L’habitude devient leur seconde nature,
Ils ne sont plus témoins de tant de lâchetés
Qui les choquent si fort, dont ils sont révoltés.
– J’ai si bien ressenti ce sinistre avantage,
Pour en avoir souffert, que d’autres, davantage,
Qu’il m’inspira ces vers au Ministre adressés,
Et qui sont le reflet de mes tourments passés :
« Je m’élance vers vous, foudres disciplinaires,
Qui venez me plonger dans mon isolement ;
Depuis longtemps, j’ai su vous rendre débonnaires ;
Vous savez m’attirer, de même qu’un aimant.
Délices du cachot ; c’est à vous que j’aspire ;
Nostalgique et meurtri, c’est vers vous que je tends
Car vous seules pouvez, alors que je soupire,
Endormir ma douleur sur les ailes du temps.
Dans ce cadre infamant, qui contient un abîme,
On aime sa douleur comme une chose intime
Que l’on ne quitte guère et que l’on connaît bien,
Et de cette bourrelle on en fait son soutien.
Mais que triste est le sort de vivre dans la foule,
En restant solitaire au sein de cette houle,
Que l’on ne veut pas suivre en ses débordements
Pour ne pas y noyer ses meilleurs sentiments !
On voudrait retenir, parmi cette cohue ;
On voudrait lui crier : prends-garde, arrête-toi !
Cet appel serait vain – on se renferme en soi.
La féconde amitié, cette douce compagne,
Se cultive parfois dans la tourbe du Bagne ;
Elle atteint rarement un idéal abstrait,
Car c’est toujours un quelconque intérêt
Que l’on recherche en elle et qui fait éclore ;
Un vague attachement, à peine incolore.
Pour les uns c’est un jeu, pour d’autres un tourment
Quelquefois, dans le fond de ce noir phalanstère,
Un réprouvé, lassé de vivre solitaire
Doué d’un cœur aimant voudrait bien s’épancher
Auprès d’un cœur ami. Hélas, pour le chercher,
En vain prodigue-t-il sa bonne foi naïve,
Les élans généreux de sa nature vive :
C’est dans l’illusion, qu’il égare ses pas ;
L’amitié crie en lui, l’écho ne répond pas.
Quand elle est partagée, un cœur n’est jamais vide,
Elle en est l’ornement et la cariatide ;
C’est un bien précieux, véritable trésor,
Qui dans le Bagne infect, vaut mieux que des flots d’or
Lorsque l’on souffre à deux, moins lourdes sont les peines