Roussenq (Paul) — L'enfer du bagne
Le plaisir est doublé dans les heures sereines ;
On n’attend que l’instant pour payer de retour
Et se sacrifier l’un pour l’autre, à son tour.
Ignorant les calculs, qui sont d’une âme basse,
N’ayant qu’une pensée et, sur la même trace,
On trouve un oasis dans le désert humain :
L’âme y prend son essor et le cœur s’y repose,
De l’amitié jaillit la source qui l’arrose.
Le Bagne, tel qu’il est, renferme bien des maux
Et souvent les forçats sont leurs propres bourreaux.
Quoique étant revêtus de la casaque grise
Tous ne se courbent pas sous le joug qui les brise ;
Quelques-uns ne sont point des fantômes humains
Se montrant au-dessus des tristes lendemains.
Certains, l’âme meurtrie offerte à la souffrance,
Conservant jusqu’au bout un rayon d’espérance,
Malgré l’expérience et le destin fatal
Voulant chercher le bien où se trouve le mal,
S’en vont en tâtonnant au milieu des épines,
Parmi des cœurs éteints et âmes mesquines ?
D’autres, sans renoncer à l’idéal sauveur,
Ne trouvent qu’en eux seuls un baume à leur douleur.
Ces hommes, qu’obscurcit la rigueur de la vie,
Ont parfois des lueurs dans leur âme asservie ;
Tant divisés qu’ils soient, ils éprouvent alors
Le besoin de s’unir, n’étant pas les plus forts
Et s’élevant ainsi au-dessus de la bête
A de certains moments ils relèvent la tête ;
Mais ça ne dure pas : cet éclair passager
S’éteint en même temps que passe le danger.
Coupables, innocents, cambrioleurs, faussaires ;
Assassins et voleurs, ou bien incendiaires –
Pour n’importe quel crime et sans distinction,
Se trouvant confondus dans l’expiation ?
Ils traînent chaque jour le fardeau de leurs chaînes,
Que ne peuvent briser des tentatives vaines ;
Des erreurs d’une vie, ainsi que d’un moment,
Supportant tout le poids d’un cruel châtiment,
Ces parias marqués par le sceau d’infamie
Rêvent de liberté ; sur une terre amie.
Quand ils prennent la mer, sur un léger canot,
Le cœur gonflé d’espoir se confiant aux flots,
Ils s’en vont résolus vers des rives nouvelles,
Vivre sous d’autres cieux des heures moins cruelles ;
Alors, songeant qu’ils ont une mère, là-bas,
Qui depuis tant de jours souffre et pleure tout bas,
Leurs pleurs coulent aussi : larmes silencieuses,
Larmes du souvenir, vous êtes précieuses !
Leur crime est sans pardon, pour la Société,
Mais aux yeux d’une mère, il est bien racheté.