Roussenq (Paul) — L'enfer du bagne
Ne sachant ce qu’était l’amertume des larmes,
Il avait l’avenir radieux devant lui
Mais c’était un mirage, hélas, car aujourd’hui
Son jeune front se courbe et son cœur se soulève,
Un funèbre linceul a recouvert son rêve ;
Il est éteint au col par la réalité,
Se dressant implacable en sa fatalité…
L’Idéal est banni des rives sépulcrales,
Où le noir tourbillon des rondes infernales
Tourne en balayant tout, dans son cercle de mort,
Où le vice triomphe, où succombe l’Effort.
Quand s’effondrent ainsi les âmes chancelantes
Vous vous obscurcissez, lueurs étincelantes ;
Et vous, lointains sommets qui dominez l’azur,
Il s’est évanoui, votre profil si pur !
En ces lieux où l’approche égale la souffrance,
S’est éteinte à jamais la flamme d’espérance ;
Nul ne ranimera ce lumineux flambeau
A la troche fumeuse éclairant un tombeau.
Le Bagne maintenu, c’est la honte durable
Qui se prolongera devant l’inéluctable ;
Aucun palliatif ne peut être apporté,
Les choses resteraient ce qu’elles ont été.
Pour enrayer le mal, il faut un coup de mine,
L’extirper tout à fait en sapant sa racine.
Cette œuvre se fera, pour la mener à bien,
L’abolition, seule, est l’unique moyen.
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On demeure perplexe, et l’examen déroute,
On est désemparé sur une mer de doute
Alors que, parcourant le Bagne et le jugeant,
On analyse à fond les choses et les gens.
Après en avoir fait l’étude impartiale,
Dans l’effet recherchant la cause initiale,
Jusque dans le berceau de son éclosion,
On peut ne dégager cette conclusion !
– En les montrant du doigt, par-delà leur barrière,
Injuste l’on serait de leur jeter la pierre
A ces déshérités, misérables vaincus,
Car la Société, peut-être, est plus coupable
Que le forçat captif, épave lamentable
Dont chaque jour ajoute aux sombres jours vécus
Sur lequel a pesé la dure loi d’airain,
Et qu’elle a, sans pitié, rejeté de son sein.
P. R.
poésie – bagnes coloniaux