de Sanary (Julien) — Le bourreau (suite)
Oserait-il tourner ses regards vers les cieux.
Quand ce n’est pas pour lui que l’étoile scintille ?
Il va le front courbé, morose et soucieux.
Car pour le maudit rien ne brille.
Il voudrait savourer le calme de la nuit
Et respirer l’air pur des zéphirs qui passent ;
Mais un spectre sanglant, sans cesse le poursuit :
L’épouvante et l’effroi le glacent.
Et, l’œil hagard, inquiet, il retourne au logis.
S’étend sur un grabat, dans le coin le plus sombre
Pourtant il voit du sang : les murs en sont rougis
Et le spectre le suit dans l’ombre
Là viennent s’entasser des troncs d’hommes sanglants.
Des têtes, dont les yeux dissipent les ténèbres ;
Il entend des sanglots, des râles déchirants
Et des chants tristes et funèbres.
Et, tel qu’une couleuvre, il se tord sur le sol.
En grognant comme un chien, un dogue atteint de rage.
Tandis que le hibou, l’effleurant dans son vol.
Jette un cri lugubre et sauvage.
En vain, sous les remords, il lutte, se débat
Car sa cruelle dent le ronge et le dévore :
L’effroi le tient coulé sur son infect grabat
Et jusqu’au lever de l’aurore.
Ainsi passent ses nuits, sans repos ni sommeil
De la grève au taudis, du taudis à la grève
Et lorsqu’à l’horizon apparaît le soleil
La vision du bourreau s’achève.