Roussenq (Paul) — L'enfer du bagne
Dont ils doivent déjà contempler le spectacle
N’osant pas faire face au-devant de l’obstacle
Et voyant tant d’astuce et de mauvaise foi,
Ils sont dans le marasme et dans le désarroi.
Mais l’ambiance agit, un certain temps se passe
Et les initiés se fondent dans la masse ;
On les distingue encore par leur naïveté,
Survivance dernière et point faible exploité
Ultime rendez-vous propice aux accointances
Le Bagne niveleur supprime les distances ;
Il a son ambiance et son esprit de corps,
Teint le faible courbé sous la loi du plus fort.
Dès le premier contact, l’ensemble paraît fade :
Le train-train journalier qui s’opère au dehors :
On voit, sans trop d’émoi, la quelconque façade,
Le théâtre est trop vaste, il manque de décors.
Le Bagne est tout entier caché dans ses coulisses,
Il garde son mystère et voile ses supplices ;
Dans l’accomplissement de ses rites outrés,
Il ne se départ pas d’usages consacrés ;
Si quelqu’un est rebelle à la loi de coutume,
Et cherche à s’écarter du creuset qu’il consume,
Tous ses efforts sont vains : il demeure impuissant,
Ne pouvant conjurer de péril angoissant ?
Au petit jour levant sous un ciel gris et sombre,
Des forçats rassemblés on précise le nombre ;
Munis de leurs outils, vers l’immense forêt
Ils vont, presque tout nus, sans un moment d’arrêt,
Sous la battante pluie ou le soleil torride,
Ils peinent durement ayant l’estomac vie.
Leur tâche est imposée, ils doivent l’accomplir
Ou de toute façon, ils se verraient punir.
S’avise-t-on, parfois, de se porter malade ?
Ce motif, non valable, a l’air d’une bravade,
D’un refus de travail ; on prête ce dessein
Tant que n’intervient pas l’avis du médecin
Aussi bien à celui qu’un mal interne ronge,
Qu’à ceux dont l’apparence implique le mensonge,
On ne distingue point : le pain sec de rigueur,
Englobe l’incapable et le simulateur.
La visite n’a lieu qu’une fois par semaine,
La route étant pénible, et l’étape lointaine ;
Souvent, le médecin constate et ne peut rien,
Il demeure impuissant, lui qui peut tant de bien.
Mais il faut remonter de l’effet à la cause,
Et proclamer qu’il n’a rien de ce qui s’impose,
Soir pour vaincre le mal ou pour le prévenir :
Le fait est là, flagrant ; il est à retenir.
On voit de malheureux, sans nul soin, et qui serrent,
Avec de vieux chiffons, leurs pieds couverts d’ulcères,
D’autres, sans connaissance et de fièvre tremblants
Près du seuil de la mort râlent sur les bat-flancs