Roussenq (Paul) — L'enfer du bagne
Celui-ci, sous le coup d’une tierce maligne,
D’aucun discernement ne donne plus de signe ;
Celui-là, dont les yeux réclament un secours,
Ne verra plus jamais la lumière du jour :
Tous ces abandonnés, rejetés par la vie,
Attendent tristement qu’elle leur soit ravie.
La Sinistre GUYANE est un vaste tombeau,
Et son climat remplit l’office du bourreau.
La fièvre est permanente, en ce pays de vase,
Où sévissent aussi l’ankylostomiase,
Le tétanos terrible et le scorbut rongeur,
La lèpre répugnante étalant son horreur ?
Mais cela n’est pas tout : on y rencontre encore
Le serpent venimeux, la mouche omnivore ;
Les vampires velus qui se gorgent de sang,
Le moustique invisible et le boa puissant…
Le poison est partout, en ce pays étrange
Dans la fleur que l’on cueille et le fruit que l’o, mange,
Dans l’air que l’on respire et dans l’eau que l’on boit,
Dans tout ce que l’on touche et tout ce que l’on voit,
La mort plane au-dessus d’une immense détresse,
Son spectre hallucinant, à chaque pas, se dresse.
Du monde des vivants pour toujours séparés,
A ses pires instincts fatalement livré,
C’est au sein dépravé de ce funeste gite
En ce cadre mortel – que le forçat s’agite.
Il s’agite en souffrant – l’espoir seul le soutient,
La liberté l’attire et le Bagne le tient.
Il faudrait y songer : ces bagnards, que l’on dresse
Le revolver au poing, qu’on opprime sans cesse ;
Qui souffrent du climat, des hommes, de la faim
Ne sauraient s’amender – le nier serait vain.
Le socle des vertus ne s’érige en leurs temples,
Ils ont trop, sous les yeux, de coupables exemples
Qui stimulent l’ardeur de leurs penchants innés,
Héritage fatal de ces prédestinés.
Pourquoi donc s’étonner si la masse pénale,
Sans y mettre de frein, piétine la morale ;
Si, faisant abandon de tous les sentiments,
Elle veut avant tout alléger ses tourments…
Le mensonge, le vol, l’impudeur, le sadisme,
La ruse, la noirceur, l’envie et l’égoïsme,
Sont les traits dominants qui forcent le pivot,
Où viennent se mouvoir le Bagne et ses suppôts.
Ne jetons qu’un regard, sur tout ce mécanisme,
Imprégné de l’esprit du machiavélisme ;
De ce cloaque infamant ne franchissons le seuil
Mais parce qu’il contient la honte et l’infortune,
Pour être impartial, effleurons les chacune.
Les îles du Salut sont trois mornes rochers
Qu’en vain, sur une carte on s’obstine à chercher