Roussenq (Paul) — L'enfer du bagne
C’est un séjour maudit, déprimant et morose,
Où la monotonie engendre la névrose.
Là, sombrent les espoirs que l’on avait formés
Et rôdent, alentour, les requins affamés
Horribles fossoyeurs des liquides abîmes,
Avides d’engloutir de nouvelles victimes.
A l’île Saint-Joseph, camp de tous redouté
Pour le resserrement de la captivité,
Trois vastes bâtiments à la rouge toiture,
Dressent sur un plateau leur semblable structure
C’est la réclusion, sombre établissement
Où chacun est soumis au strict isolement.
Le condamné, jeté dans sa triste cellule,
Est sans cesse soumis à la dure férule
D’un règlement de fer qu’il lui faut observer,
Car ça lui coûterait de vouloir le braver.
Une heure, le matin, de sa cage il s’évade
Il a, pour se distraire, un travail énervant,
Un livre quelque fois, et bien le plus souvent.
Il voudrait bien parler, à force de se taire ;
Mais il reste muet, pensif et solitaire.
C’est un régime affreux, dont il est saturé,
Qui fait un mort-vivant de chaque séquestré,
Il accumule en lui la souffrance morale,
Dont la marque se voit sur son visage pâle.
Le cauchemar du bagne, est le vil délateur ;
Pour avoir une place ou bien quelque faveur,
Sans le moindre scrupule il trahit ses semblables,
Dans l’ombre perpétrant ses actes méprisables
Partout il s’insinue et partout on le voit ;
Il ne peut ignorer la lâcheté du Bagne,
Et ceux-là qu’il redoute à propos il les gagne
Car l’argent c’est le Dieu, sous le soleil qui luit,
Au Bagne comme ailleurs, on n’adore que lui.
Le forçat s’avachit, le besoin le talonne ;
Pour y remédier, c’est au jeu qu’il s’adonne ;
Il vend jusqu’à son pain, pour s’en aller jouer
Sans argent, il ne sait à quel saint se vouer.
Cartes en mains, groupés sur une couverture,
On les voit, tels qu’ils sont, dépouillant leur nature ;
Et comme s’ils n’étaient pas assez malheureux,
Pour quelques sous pour rien – ils s’égorgent entre eux.
L’intérêt personnel est le principal guide
Tout acte concerté se fait sous son égide
Les on-dit venimeux, les propos colportés,
Accablent les absents sous leurs coups répétés.
Tel qui d’un camarade, hier, vient de médire,
Va lui serrer la main en ayant le sourire ;
Comme une girouette il tourne au gré du vent
Considérant surtout l’intérêt du moment.