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Le train de Loos, « le grand drame de la déportation dans le Nord - Pas-de-Calais »

 

Début 2003, l’historien Yves Le Maner, directeur de la coupole d’Helfaut près de Saint-Omer, faisait paraître son livre sur le train de Loos1 . Après trois ans de recherches pour retrouver les archives disparues depuis 1945, interroger les témoins et les acteurs de cette tragédie, Y. Le Maner présentait au conseil général du Pas-de-Calais les résultats de son travail. C’est en effet le président du conseil général qui lui avait confié cette mission : faire toute la lumière sur ce drame 59 ans après les faits !
Ce livre met ainsi fin à près de soixante ans d’interrogations, de doutes, de suspicions, voire d’accusations. Il a permis de recenser avec une extrême précision les 871 noms des déportés du train de Loos, de leur redonner une identité, un visage, de retrouver les causes de leur déportation. Pour les survivants, pour les familles touchées par ce drame, ce fut un moment de grande émotion, ce fut aussi pour beaucoup la possibilité de faire enfin leur deuil. Ce fut l’occasion pour l’Amicale des rescapés du train de Loos (présidée par James Venture et soutenue par l’association du centre de mémoire de l’abbaye-prison de Loos présidée par André Gustin) de graver les noms dans le bronze de douze plaques symbolisant les douze wagons qui furent utilisés pour le transport des déportés. Le 10 mai 2003, le ministre Jean-Paul Delevoye présidait cette cérémonie solennelle au mémorial du train de Loos, au cours de laquelle les plaques étaient dévoilées aux familles et au public.
Une cérémonie identique eut lieu quelques jours plus tard à la coupole d’Helfaut en présence des ministres Jean-Paul Delevoye et Claudie Haigneré.

L’été 1944, le temps de la répression

Le 6 juin 1944, les alliés débarquent en Normandie, la croisade pour rétablir la liberté en Europe commence. Elle sera longue et meurtrière. Paris est libéré le 25 août. Les alliés, les Canadiens à l’ouest, les Britanniques au centre, les Américains à l’est, remontent vers la Belgique. Au 1er septembre, les Britanniques sont à Douai. C’est ce 1er septembre que l’armée allemande quitte Lille ; mais c’est aussi le jour où s’organise la déportation de 871 détenus, regroupés à la prison de Loos et transportés en gare de Tourcoing. Durant ces trois mois, la répression s’intensifie. Les Allemands installent un climat de terreur : craignant un soulèvement général de la population, ils multiplient les arrestations d’otages, de résistants. 
Le 20 juillet, l’attentat manqué contre Hitler accentue la répression ; des chefs fanatiques nazis sont nommés aux postes de décision. Le SS Jungclaus est responsable de la sécurité ; le général Bertram, nommé à Lille, se montre impitoyable.
A ce climat de terreur s’ajoutent les bombardements des alliés sur les usines et les gares, qui font de nombreuses victimes.
Le Nord - Pas-de-Calais se trouve depuis juin 1940 en zone interdite, rattaché au commandement allemand de Bruxelles ; la densité militaire allemande y est plus importante, de même que la répression. La population (résistante ou non) est partagée entre la terreur et l’espoir. Beaucoup de responsables de la résistance ont été arrêtés, déportés ou fusillés ; les réseaux sont souvent désorganisés.
Le massacre d’Ascq en avril 1944 a fait 87 victimes, il est inutile et dangereux de provoquer une armée en retraite capable de tels crimes.
L’armée allemande se replie vers la Belgique ; elle reste disciplinée, organisée, aguerrie et redoutable. En face, les résistants sont isolés, peu armés, sans chef, sans directive et divisés ; entre gaullistes et communistes, c’est la méfiance. Les allemands ont programmé d’évacuer les prisons de la zone interdite et de regrouper les détenus à la prison de Loos.

Loos, plaque tournante de la déportation

Cette prison et ses annexes servent depuis juin 1940 de plaque tournante vers la déportation. L’afflux massif de prisonniers en juillet et surtout en août a fait passer la population 
de Loos à 1 300 détenus environ, qui s’entassent à 7 ou 8 dans des cellules de 9m2.

Le 1er septembre 1944, la grève est générale dans le bassin minier, l’armée allemande quitte Lille, faisant sauter ses dépôts de munitions ; à midi, les Anglais sont à Carvin. 
Les accrochages entre résistants et soldats allemands sont violents et meurtriers. De nombreux civils sont fusillés à Bruay, à Seclin, à Englos. à la prison de Loos, 871 détenus sont amenés, entre 5 h 30 et 17 h 30, par camions, à la gare de Tourcoing. Ils seront entassés à 80 voire 90 par wagon. Comment cette opération a t-elle pu être possible ?

Dès le 26 août, le pasteur Marcel Pasche avertit le consul suisse, Fred Huber, que les Allemands préparent l’évacuation des détenus de la prison de Loos. Le 27 août, Huber rencontre le préfet Carles sans résultat, puis il se rend à l’OFK de Lille pour rencontrer les autorités allemandes ; on refuse de le recevoir. Huber se rend à la prison de Loos dans l’espoir de rencontrer le major Kuhn responsable des prisons. En vain.

Le 1er septembre, Huber et Pasche arrivent à la prison vers 10 heures. Ils rencontrent le responsable, Siebber, qui accepte de libérer tous les détenus condamnés à moins de trois mois : soit de 400 à 600 hommes et femmes qui seront libérés par groupes de 20 toutes les demi-heures, sous réserve de se disperser au plus vite. Un dernier camion avec 23 détenus arrive à la gare de Tourcoing, le train vient de partir : une crevaison vient de sauver ces détenus de la déportation ; ils seront libérés sur place. Deux hommes ont réellement pris conscience de l’ampleur du drame qui est en train de se dérouler : Fred Huber et Marcel Pasche. Dès le 2 septembre, ils partent à la recherche du train ; ils iront jusqu’à Gand, mais ne pourront pas aller plus loin devant la méfiance des résistants belges. Walter Paarmann, responsable de la Gestapo à La Madeleine, après avoir supervisé la formation du train et récupéré les dossiers des détenus, a pris la direction de l’Allemagne. Le train, protégé par des soldats de la Waffen SS bien armés, démarre vers 17 h 30 en direction de la Belgique. Un groupe de résistants s’est bien approché du train mais, peu armés, peu nombreux et craignant des représailles, il a renoncé.
La résistance avait bien essayé d’attaquer la prison en août 1944, bénéficiant de la neutralité des GMR (Groupes mobiles de réserve) du capitaine Héry, mais ce dernier fut arrêté par la Gestapo. La résistance aurait-elle pu négocier la libération des détenus, arrêter le convoi ?

Le drame selon Duprez

Henri Duprez, responsable en 1945-46 du service des recherches des crimes de guerre commis dans le Nord, aurait voulu faire comparaître au tribunal de Nuremberg les responsables du train de Loos ; sa demande fut rejetée. Il raconte dans son livre publié en 1979, Même Combat dans l’ombre et la lumière, le déroulement dramatique des événements de l’été 1944. Les 17 et 18 août 1944, les responsables de la résistance se réunissent à la piscine de Roubaix pour discuter de l’attaque de la prison ; ce projet ne fait pas partie des priorités. C’est le 6 septembre que la résistance et les nouveaux pouvoirs mis en place déclenchent des recherches pour retrouver le train de Loos. La presse régionale fait de même après le 10 septembre.
Les déportés sont arrivés à Sachsenhausen. En 1948, Paul Ducroquet, correspondant du Comité d’histoire de la seconde guerre mondiale pour le Nord, rédige un rapport sur le train de Loos. C’est lui qui avance les chiffres retenus jusqu’en 2000 : 1250 déportés, 130 survivants.
Les archives allemandes de la prison ont été brûlées. Les archives du camp de Sachsenhausen ont elles aussi été brûlées en avril 1945 ; mais ce qu’on ignorait jusqu’en 1990, c’est que l’armée rouge en avait récupéré une partie et notamment la liste des déportés du train de Loos.

La lumière sur les déportés

Yves Le Maner a pu accéder à ces listes et identifier 816 déportés du train de Loos. Il a pu, grâce à d’autres sources, en retrouver 26 autres envoyés, dès leur arrivée à Cologne, vers le camp de Buchenwald. Il sait aussi que 13 déportés ont réussi à s’évader du train entre Tourcoing et Cologne, que 20 à 30 déportés sont décédés pendant le transport ; Yves Le Maner arrive au chiffre de 871.
L’historien connaît ainsi avec certitude le nombre de déportés, leur identité, leur matricule, leur âge, le motif de leur déportation, leur date et lieu de décès ; on sait ainsi que 98 % sont français, 56 % ont moins de 30 ans (entre 16 ans pour le plus jeune et 71 ans pour le plus âgé).

722 sont déportés comme résistants, les autres sont des otages, des réfractaires au STO (service du travail obligatoire en Allemagne), plus quelques « droit commun ». L’itinéraire de chaque déporté dans l’univers concentrationnaire est noté dans les registres de chaque camp. Le 3 septembre, le train arrive à Cologne. 250 déportés sont aussitôt envoyés à Muhlheim pour dégager les voies ferrées bombardées ; ils rejoignent, quelques jours plus tard, leurs camarades à Sachsenhausen, échappant à la terrible quarantaine. 
Situé à 30 km au nord de Berlin, véritable modèle, le camp de Sachsenhausen va recevoir environ 200 000 détenus. Il a une centaine de petits camps annexes, les Kommandos de travail fournissant aux grandes industries de guerre du Reich une main d’œuvre gratuite. Les transferts vers d’autres camps répondent en effet souvent à des demandes de main d’œuvre émanant des industriels allemands.

En octobre 1944, commence la grand dispersion des déportés du train de Loos : vers Kokendorf et ses mines de sel, vers l’île d’Usedom sur la Baltique, centre d’essai des fusées, vers Karlslagen. Au printemps 1945, devant l’avance des alliés, les chefs SS des camps organisent l’évacuation vers la Baltique ; ce sont les abominables marches de la mort qui seront fatales à des centaines de déportés du train de Loos. Le terrible bilan fait état de 561 décès et de 275 survivants.

Devoir de mémoire

à leur retour, quelques rescapés vont créer « l’association des rescapés du train de Loos » en mémoire de leurs camarades disparus et de leur famille. C’est à l’initiative de Jean Vandeneeckoutte de Chéreng, et Rodolphe Wallez de Pont-à-Marcq, que la première assemblée générale ordinaire se réunit au Cabaret flamand place Rihour à Lille. Un petit journal, Souvenons-Nous, servira de liaison entre les rescapés et l’Amicale ; 11 numéros paraîtront entre 1946 et 1951.
Le 16 novembre 1947, une plaque est posée sur le mur de la gare de Tourcoing portant les chiffres de Paul Ducroquet « 1250 déportés 130 survivants ! ».
En 1972, James Venture reprend la présidence de l’association, il reste une vingtaine d’adhérents et peu d’argent. Le nouveau président commence alors un important travail de mémoire pour faire connaître le drame du train de Loos. Il multiplie les lieux de mémoire dans la région : des places, des squares, des rues, plus de 200 lieux sont répertoriés. Il rencontre les élèves, les lycéens dans leurs établissements et au cours de la préparation du concours national de la résistance et de la déportation, auquel il fournit de nombreuses récompenses. Marcel Houdart, vice-président de l’amicale, poursuit le même objectif dans le Pas-de-Calais et en particulier dans le bassin minier.
En 2003, il fait réaliser les douze plaques de bronze portant les noms des 871 déportés, qui sont placées sur le mur du Mémorial du train de Loos en face de la prison.
C’est à son initiative que ce mémorial avait été réalisé quelques années auparavant.

Des années de polémique

Entre 1951 et 1971, le Comité d’histoire de la seconde guerre mondiale avait entrepris des recherches sur le train de Loos. Quand il présenta ses résultats, la réaction des communistes fut assez violente, en particulier celle de Marcel Paul, ancien ministre, et de Jean-Marie Fossier, déporté du train de Loos. 
Les communistes contestèrent en particulier le nombre de déportés et celui des rescapés du train de Loos. Le rapport du Comité ne sera pas publié. Le débat est devenu politique.
La sortie du livre d’Henri Duprez en 1979, Même combat dans l’ombre et la lumière, relance la polémique. L’historien étienne Dejonghe réunit en 1986, à l’université de Lille, une table ronde regroupant des historiens : Berthe Malfait, D’Hallende, Duprez…, des déportés : Venture, Bailleul, Vanbreughel… Cette première confrontation directe fut un échec ! Il faudra attendre la fin des régimes communistes en Europe pour accéder aux archives. 
En 1990 naissait « la fondation pour la mémoire de la déportation ». En 1980, Serge Klarsfeld achevait le recensement des 76 000 Juifs français déportés dans les camps nazis. La fondation, soutenue par une association, devait confier à des historiens de l’université de Caen la mission de recenser le nombre de déportés français non juifs. En 2005, le travail de recherche était terminé.

Quatre tomes portent les noms des 86 827 déportés. Les historiens ont fait la distinction suivante : les Juifs ont été déportés pour ce qu’ils étaient. Les non Juifs pour ce qu’ils ont fait.
Les 86 827 déportés sont à 90 % des hommes ; 50 % sont rentrés en 1945. On trouve dans ce nombre 11 000 Espa-gnols réfugiés en France après la guerre d’Espagne et entrés dans la résistance. Parmi les 76 000 juifs, 40 000 ont été gazés ; 3 % sont rentrés en 1945. Ce bilan, dressé par la Fondation pour la mémoire de la déportation, permet de replacer le drame du train de Loos dans un plus large contexte.

Ce fut l’un des derniers, sinon le dernier, des grands convois de déportés vers les camps nazis. Il fut aussi l’un des plus meurtriers. Selon la Fondation, 50 % des 
86 827 déportés sont rentrés en 1945 ; mais pour le train de Loos, il n’y eut que 275 survivants.

Le livre d’Yves Le Maner est donc l’aboutissement de cette recherche de la vérité sur le drame du train de Loos, vérité incontestable reposant sur des archives enfin retrouvées.

Alexis Tocqueville a dit : « Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, le présent marche dans les ténèbres. » Oublier le sacrifice des déportés du Train de Loos serait les tuer une seconde fois.

André GUSTIN 
Président de l’Association du centre de mémoire de l’abbaye-prison de Loos

Notes

1.

Yves Le Maner, Le « Train de Loos ». Le grand drame de la déportation dans le Nord-Pas-de-Calais (préface d’Annette Wieviorka, Yves Le Maner BP. 204 - 62504 Saint-Omer Cedex, 2003, 263 p.