4. Que reste-t-il de Charles Benjamin Ullmo ?

Plan du chapitre

Les traces d’une vie dans la presse

voter pour élire celui qui, détenu au bagne, a le plus les faveurs du public et mériterait d’être gracié. Ullmo arrive en sixième position :

1° Roussenq                 5° Blengino                 9° Duez

2° Vial                            6° Ullmo                     10° Gruault  

3° Seznec                      7° Bougrat                 

4° Le Guellec                8° Amour Lakdar 

Dans l’article qui accompagne le jeu, le journal dépeint ainsi le n6 : « Ullmo qui depuis vingt ans expie “un crime” qui ne fit d’autre victime que lui-même… »

Il est impossible de rendre compte d’une manière exhaustive de l’impact qu’a eu « l’affaire Ullmo » dans la presse. Les journaux étaient à l’époque le principal, voire l’unique vecteur d’information. Il faut se souvenir que le nombre de quotidiens était très significativement plus élevé qu’aujourd’hui. Chaque journal va publier plusieurs articles sur l’affaire, multiplié par le nombre de journaux et étalé dans le temps, ce sont des centaines d’articles que cette affaire va engendrer. Bien sûr, la plus haute fréquence de parution se situe entre 1907, date de l’arrestation, et 1909 début du séjour du condamné à l’île du Diable.

Il y a la presse à sensation qui recherche le détail, le sordide, il y a la presse réactionnaire qui joue l’étonnement et semble presque prête à trouver des excuses à Ullmo : ainsi Le Figaro titre le 25 octobre 1907 : « Chantage ou folie » et poursuit par un article assez factuel qui raconte la succession des événements et présente Ullmo sans aucune allusion à sa judéité, concluant : « c’est l’acte d’un fou plutôt que celui d’un traître ».

On ne sait pas encore qu’il a déjà tenté de vendre les documents aux Allemands. Le 21 février 1908. Ce même Figaro qui connaît maintenant la tentative de vente de documents secrets aux Allemands se lâche et l’antisémitisme particulièrement violent qui empoisonne la vie publique depuis l’affaire Dreyfus refait surface d’abord par de lourdes et pénibles allusions : « certes l’aspect de celui-ci est peu sympathique avec son long nez et sa bouche en museau de lièvre, ses yeux bridés clignotants aux cils roux […] ses cheveux laineux et crépus. Certes, la physionomie manque de franchise, mais dans l’impression qu’elle cause, n’est-il pas victime de la prévention qu’on a ? On sait qu’il est un traître et peut-être lui trouverait-on l’air moins sournois si machinalement on ne se répétait, entrainé par la rime connue : quand la bouche dit oui, le regard dit peut être. ». Puis plus loin de manière plus explicite, mais néanmoins hypocrite : « […] un sentiment eût pu le retenir, il eût dû penser que sa qualité d’israélite lui imposait plus qu’à d’autres le respect de son devoir patriotique, puisqu’il pouvait par sa faute, raviver de récentes, d’affreuses querelles ! » 

Précédemment, la fracture se situait entre les dreyfusards et les anti-dreyfusards, entre ceux qui voyaient Dreyfus innocent et victime d’une machination et ceux, le plus souvent antisémites, qui le chargeaient de tous les maux. La ligne de séparation n’est pas à la même place concernant Ullmo, il est coupable sans conteste d’avoir tenté de vendre des secrets militaires à l’étranger. Le clivage se situe maintenant entre ceux qui parlent systématiquement du traître, souvent du traître juif, et le veulent condamné pour trahison (déportation perpétuelle) et ceux qui voient en lui le geste d’un homme à la dérive qui a commis une lourde faute et qui doit payer à la hauteur de son acte d’espionnage motivé uniquement par l’argent et la dépendance à la drogue (cinq ans maximum). C’est cette même ligne qui opposera l’accusation et la défense lors du procès avec la sentence que l’on connaît. Par bonheur, la presse antisémite ne parviendra pas à faire enfler le procès et à faire renaître une nouvelle affaire Dreyfus. Dans la presse, le repérage est assez facile entre les journaux qui parlent systématiquement du « traître » et ceux qui citent tout simplement d’Ullmo.

Le bilan d'une vie

Le bilan de la vie d’Ullmo ne peut se résumer à cette énonciation de faits et de péripéties. Il s’agit d’un destin extraordinaire, d’un enchainement d’aventures qui semblent sorties du cerveau d’un excellent romancier. Il nous a été donné la chance de retrouver des proches encore vivantes et qui ont d’Ullmo des souvenirs précis. Nous avons pu les rencontrer et en recevoir un précieux témoignage oral ainsi qu’un grand nombre de documents photographiques.

Comme on l’a vu dans le récit de sa vie, Ullmo prend en charge à la mort de leur mère, Hélène et Héléna, les jumelles, alors âgées de trois ans. Hélène est décédée en 1952, mais Hélèna qui a maintenant 87 ans, nous a reçus chez elle en Guyane en présence de sa nièce Rose, fille d’Hélène. Au préalable, un contact avec Marie-Hélène Lamberdière, fille d’Hélèna, qui vit en métropole nous avait permis d’organiser cette rencontre.