Au cours d’une carrière riche de près de deux cents films, René Navarre fut, tour à tour, bandit, homme politique, père de famille, forçat… Le public des cinémas a pu l’admirer dans quelques rôles récurrents, la formule du film à épisodes fournissant le prétexte au retour régulier d’un même protagoniste sur l’écran. Mais prêter ses traits à des personnages sans cesse différents participa aussi de sa réputation.
René Navarre fait alors partie de ces acteurs jugés sur leur capacité à incarner les héros les plus divers. Changer radicalement d’aspect à chaque nouveau film est en effet couramment perçu comme un des signes distinctifs de la vedette au registre dramatique. Rien de commun avec certains ressorts de l’interprétation comique tels qu’ils se développent à partir du tournant des années 1910 : Max le dandy ou Charlot le vagabond se signalent au contraire par leur silhouette immuable, aussitôt reconnaissable d’un film à l’autre.
À l’instar du Russe Ivan Mosjoukine ou de l’Américain Lon Chaney, René Navarre cultive l’image d’un acteur au talent plastique et protéiforme. De film en film, la vedette met en scène sa disposition à la métamorphose. Il faut savoir se faire une « tête », recourir aux « trucs les plus invraisemblables pour [s]e déformer le nez, gonfler [s]es joues, [s]e rendre borgne, etc. * » Comme d’autres se vantent de faire eux-mêmes leurs cascades, René Navarre déclare dans ses mémoires n’avoir jamais recouru au savoir-faire d’un maquilleur.
Cet art du travestissement est aussi un élément de promotion des films. Dans les encarts publicitaires ou les dossiers d’exploitation, les photographies montrent souvent le comédien au plus fort de son rôle : le visage grimé, transformé, mais toujours reconnaissable de l’« artiste » donne un avant-goût de sa performance. Autre manière de souligner son génie polymorphe : il n’est pas rare de consacrer une pleine page d’une revue cinéphile aux différents personnages joués par la vedette. Plusieurs photographies présentent ainsi l’acteur en ses rôles et suggèrent l’étendue de sa palette de jeu.
René Navarre n’a pas été le seul à bénéficier de ces relais de la célébrité cinématographique. Mais qui d’autre que l’interprète de Fantômas, le criminel aux mille visages, aurait pu personnifier avec autant de vérité le pouvoir de métamorphose des grandes vedettes du muet ?
* Extrait des mémoires de René Navarre.