2. L’application du régime progressif à la maison centrale réformée de Mulhouse

Plan du chapitre

La genèse du régime progressif en France

L’introduction du régime progressif à Mulhouse fait de cette prison, avec d’autres établissements alsaciens, un établissement pilote de la réforme pénitentiaire mise en œuvre par Paul Amor et Pierre Cannat à partir de 1945. Le régime progressif avait néanmoins déjà été brièvement introduit en France en 1829 dans les bagnes portuaires par le ministre de la Marine, Jean-Guillaume Hyde de Neuville (1776-1857). À la suite de quoi ce modèle circule et se développe essentiellement dans le monde anglo-saxon au cours du XIXe siècle. Alexander Maconochie (1787-1860) l’applique à partir de 1840 au pénitencier de l’île de Norfolk, située au large de l’Australie. Ce système est ensuite amélioré par Walter Crofton (1815-1897) qui l’applique dans les prison irlandaises (d’où son surnom de « système irlandais »). Crofton décompose l’incarcération des détenus en trois phases : la première est de type pennsylvanien, c’est-à-dire que le détenu est totalement isolé en cellule le jour et la nuit. La seconde est de type auburnien, c’est-à-dire qu’il est isolé la nuit et emprisonné en commun le jour. Cette phase est divisée en quatre classes et pour passer de l’une à l’autre afin de voir son régime carcéral assoupli le détenu doit cumuler des marques. Une fois toutes ces épreuves accomplies, il peut alors bénéficier d’une libération conditionnelle. Basé sur « l’intérêt » et l’émulation, le régime progressif repose essentiellement sur l’effort que produit le détenu et sur les récompenses qu’il en obtient et non plus sur une peine uniforme qui vise uniquement à le sanctionner.

Le régime progressif est réintroduit en France par le décret du 28 avril 1939 pris en application du décret du 17 juin 1938 sur l’exécution métropolitaine de la peine des travaux forcés. Les condamnés aux travaux forcés purgent désormais leur peine dans une maison de force où ils sont soumis à une obligation au travail et sont assujettis à un régime découpé en trois phases : encellulement, phase intermédiaire et phase supérieure. La durée de l’encellulement est de trois ans pour les condamnés aux travaux forcés à perpétuité. Pour les condamnés aux travaux forcés à temps, elle est de deux années si la peine est de dix ans ou supérieure à dix ans et d’une année si la peine est inférieure à dix ans. Mais ils ne peuvent pas bénéficier d’une libération conditionnelle. Néanmoins, ce régime progressif ne peut pas être appliqué du fait de l’occupation de la France par l’Allemagne à partir de 1940.
À la Libération, une commission chargée d’étudier les réformes relatives à l’administration pénitentiaire est instituée au ministère de la Justice le 9 décembre 1944. Ses membres sont chargés d’élaborer et de soumettre au garde des Sceaux des réformes du régime carcéral et elle aboutit au mois de mai 1945 à une réforme ambitieuse en 14 points. Lors de la réunion du 8 février 1945, Paul Amor s’inquiète du grand nombre de condamnés aux travaux forcés (2 956 au mois de février 1945) qui encombrent les maisons centrales et de leur augmentation à venir du fait des condamnations prononcées par les cours de justice. Étant donné qu’ils ne sont plus envoyés en Guyane, il est nécessaire de les soumettre au régime progressif tel que le prévoit le décret du 28 avril 1939. Mais au-delà, en application des principes de la réforme pénitentiaire qui reposent principalement sur la sélection des détenus et la progressivité de leur régime carcéral, il est nécessaire d’étendre ce régime selon lui à tous les condamnés à de longue peine, comme l’ont déjà mis en œuvre la plupart des pays européens à cette date. Le point 8 de la réforme pénitentiaire crée donc un régime progressif pour tous les détenus condamnés à une peine supérieure à un an d’emprisonnement :
« 8. Un régime progressif est appliqué dans chacun de ces établissements en vue d’adapter le traitement du prisonnier à son attitude et à son degré d’amendement. Ce régime va de l’encellulement à la semi-liberté. »

La sélection des détenus impose leur observation scientifique afin de les classer selon leur profil dans des établissements distincts. À cet effet, trois types sont distingués par la commission : les condamnés primaires, les condamnés récidivistes et les condamnés multirécidivistes. Chaque catégorie doit être orientée vers un établissement spécial où est appliqué un régime progressif qui doit permettre une sélection encore plus poussée « tendant à une individualisation aussi parfaite que possible de la peine prononcée et permettant ainsi de proportionner la rigueur du régime à l’amendement du détenu. » Cette technique constitue pour l’administration pénitentiaire « un moyen de rééducation progressive, une préparation graduelle au retour, sans rechute, à la vie libre. » Elle vise à soustraire le détenu de la société et à le confier au personnel pénitentiaire qui a pour mission de le rééduquer afin de permettre sa réinsertion. Dans ce schéma, la prison fait plus ou moins office de famille de substitution. Dans une étude réalisée en janvier 1949 sur des détenus libérés de la maison centrale de Mulhouse, l’assistante sociale de cet établissement note que la plupart d’entre eux ont connu des difficultés familiales au cours de leurs trajectoires. Si cinq sont issus d’un « milieu normal », six autres proviennent de « familles dissociée », un est « fils d’inconnu » et un dernier est un « enfant gâté » par ses grands-parents. Elle conclue son analyse en affirmant que le régime progressif doit se substituer à ces familles défaillantes et que la prison doit offrir une sorte de nouveau cadre familial, oscillant entre discipline et paternalisme :
« La plupart des délinquants ou criminels sont des individus auxquels le noyau familial, la conjugaison des efforts du père et de la mère ont été insuffisants, dans la formation morale. Il est nécessaire que la prison, par le choix même de ces cadres, et dans la mesure du possible, permette de rétablir une sorte de situation familiale. »

Cette rééducation repose sur quatre phases graduelles. La première dite phase d’observation est strictement cellulaire. Durant un an, les détenus ne sortent de leur cellule que pour effectuer leur promenade en préau d’isolement et visiter leurs familles. À l’issue de cette première phase, ils sont évalués et classés en trois groupes : 1. Amendables ou présumés tels ; 2. Éléments douteux ; et 3. Inamendables ou présumés tels. Puis les trois groupes gagnent la deuxième phase qui est de type auburnien : ils sont isolés la nuit et travaillent en commun le jour dans des ateliers. La troisième phase dite d’amélioration est atteinte lorsque les trois conditions suivantes sont remplies par les détenus : avoir deux ans de présence dans le groupe 1, avoir obtenu 800 points suivant un système de notation hebdomadaire allant de zéro à dix et être admis à la troisième phase par la commission de classement de l’établissement. Le régime de cette phase permet des améliorations comme la prise des repas en commun, la participation à des jeux collectifs, l’utilisation d’une salle commune, l’extinction des feux à 22 heures, etc. La quatrième phase est atteinte lorsque les détenus de la phase d’amélioration intègrent la division de confiance s’ils réunissent les conditions suivantes : avoir trois ans de séjour dans la troisième phase et l’obtention de 1 200 points s’ils sont condamnés à perpétuité, deux ans et 800 points si leur condamnation est égale ou supérieure à dix ans et un an et 400 points si leur condamnation est inférieure à dix ans. Cette phase permet aux détenus de bénéficier d’un régime de semi-liberté ou de travailler sur des chantiers extérieurs de l’administration pénitentiaire. Si l’essai s’avère concluant, ils peuvent ensuite bénéficier d’une libération conditionnelle. Les passages d’une phase à une autre sont décidés par un magistrat « dans l’application des peines » qui préside une commission de classement. En application du point 9 de la réforme pénitentiaire, c’est lui qui est chargé de prononcer les admissions aux différentes étapes du régime progressif.

Pour pouvoir être appliqué, ce régime nécessite d’adapter l’architecture des établissements et sa mise en œuvre est donc graduelle. Il est introduit pour la première fois à la maison centrale d’Haguenau pour les femmes et au camp pénitentiaire de Saint-Martin-de-Ré pour les relégués en janvier 1946, puis à la maison centrale de Mulhouse en avril 1946 pour les hommes condamnés aux travaux forcés primaires, à la maison centrale d’Ensisheim en janvier 1947 pour les condamnés aux travaux forcés hommes récidivistes, à la prison-école d’Oermingen en septembre 1947 pour les détenus âgés de 18 à 23 ans condamnés à des peines d’emprisonnement ou de réclusion, à la prison-école de Doullens en octobre 1947 pour les détenues âgées de 18 à 32 ans, à la maison centrale de Melun en février 1949 pour les condamnés aux travaux forcés primaires, au centre pénitentiaire d’Écrouves en octobre 1949 pour les jeunes détenus qui doivent être libérés à un âge variant entre 25 et 30 ans et à la maison centrale de Caen en 1952 pour les condamnés aux travaux forcés primaires âgés.

L’application du régime progressif à la maison centrale de Mulhouse

Les « prisons de Mulhouse » comptent à partir de 1946 trois quartiers distincts : un quartier maison d’arrêt et de correction, un quartier maison centrale pour des condamnés par des cours de justice et un quartier maison de force à régime progressif pour des condamnés aux travaux forcés primaires. La maison centrale est aménagée dans les locaux de l’ancienne maison d’arrêt. Le quartier cellulaire est dédié à l’application de la première phase, l’ancien quartier cellulaire est dédié à l’application de la deuxième phase, le quartier B est dédié à l’application de la troisième phase (les deux étages comprennent un quartier disposant de 46 cellules, d’ateliers de travail pour permettre un régime de type auburnien, d’une bibliothèque et d’un cinéma) et le premier étage du quartier A est réservé aux salles communes et d’activités des détenus classés à la troisième phase (cuisine, salle de détente, salle de télévision et salle à manger). Enfin, le quartier de semi-liberté est installé dans l’ancien quartier des femmes qui ont été déplacées dans un quartier de la maison d’arrêt situé désormais dans le quartier annexe.

La gestion des détenus placés au régime progressif nécessite l’introduction de nouveaux personnels qui heurtent les routines professionnelles des surveillants. Jusqu’ici, à part les aumôniers, les familles de détenus, les avocats, les magistrats et les visiteurs de prison, les surveillants demeuraient à peu près seuls pour gérer leur établissement. Mais l’arrivée d’agents extérieurs entraînent des tensions. C’est ainsi qu’une véritable « guerre » éclate entre le sous-directeur de l’établissement et l’assistante sociale qui fait visiblement « l’unanimité contre elle ». Le point 10 de la réforme pénitentiaire institue dans chaque établissement pénitentiaire un service social. Il est confié à une assistante sociale qui doit notamment s’entretenir avec tous les détenus et les aider à préparer leur libération. Au cours de deux audiences hebdomadaires, elle rencontre une fois par mois les détenus de la première phase, une fois par trimestre les détenus de la deuxième phase et sur demande, tous ceux classés au-delà le soir après leur travail. Elle participe également à la commission de classement, est en relation avec le comité d’assistance et de placement des libérés de Mulhouse, met à jour les fiches sociales des détenus, transfère leurs dossiers et assure une liaison avec le service de la main-d’œuvre pour trouver des emplois aux semi-libres. Bien qu’elle soit aidée par des visiteurs de prison bénévoles, sa charge de travail demeure écrasante. Afin d’assurer son indépendance, elle n’est pas subordonnée au chef d’établissement, mais dépend uniquement du directeur régional des services pénitentiaires de Strasbourg. Cette indépendance n’est guère au goût du directeur de la prison de Mulhouse et la mésentente qu’il entretient avec l’assistante social nuit au bon fonctionnement de l’établissement. Le calme finit toutefois par être rétabli grâce à la médiation d’un inspecteur des services administratifs.

Du côté des éducateurs, ceux-ci sont au nombre de cinq placés sous la direction d’un éducateur-chef. Ils encadrent en moyenne une quarantaine de détenus chacun. Leur statut est fixé par un décret en date du 21 juillet 1949. Mais leur traitement n’est guère attractif et l’administration pénitentiaire rencontre des difficultés pour en recruter suffisamment ou se montre peu regardante avec ceux qu’elle parvient à employer. À Mulhouse, sur les cinq éducateurs en poste, seuls deux ont réussi le concours d’entrée et deux autres sont en fait des commis aux écritures faisant office d’éducateurs. Ces hommes ne bénéficient pour toute formation que d’un stage de trois mois effectué à la maison d’arrêt de Fresnes à l’issue duquel ils sont directement confrontés à la prise en charge de détenus. Ainsi, leur niveau d’encadrement s’avère assez faible. Ils travaillent tous les jours exceptés le dimanche où l’un d’entre eux doit toujours être présent par roulement. De 8 heures à 12 heures 30, ils censurent et distribuent le courrier aux détenus, s’entretiennent avec ceux qui sont inoccupés et préparent les activités. De 19 heures 30 à 22 heures, ils s’entretiennent avec tous les détenus et dispensent les activités solaires et éducatives. Ils ne sont toutefois pas seuls pour conduire ces activités et des intervenants extérieurs sont aussi sollicités. À partir de 1966, les détenus soumis à la première phase bénéficient au bout de six mois d’isolement total de séances de psychothérapie de groupe (une heure par semaine) et de séances de jeux collectifs (deux heures par semaine) animées par des éducateurs. L’objectif de ces échanges est de stimuler la conversation afin de mieux connaître les détenus et déterminer au mieux leur orientation dans les groupes de la deuxième phase.

Les activités culturelles sont réservées aux détenus classés aux deuxième et troisième phases. Toutefois, ceux de la troisième phase ont également le droit d’accéder à des locaux communs (réfectoire, cuisine et salle de jeux) jusqu’à 22 heures et peuvent regarder la télévision en présence d’un éducateur. Ils ont aussi le droit de disposer d’un transistor tandis que les détenus de la première et de la deuxième phase n’ont droit qu’à des diffusions collectives par hauts parleurs qui font un « bruit assourdissant, incontestablement néfaste à l’équilibre nerveux de toutes les personnes présentes dans cette partie de l’établissement. » Les activités culturelles et scolaires débutent à 20 heures. L’enseignement est assuré tout à la fois par un instituteur mis à disposition par l’Éducation nationale qui prépare au passage du certificat d’études et par un éducateur qui prépare au passage des CAP de menuisier, d’ajusteur et d’ébéniste. Les activités culturelles sont relativement variées : cercle de lecture, ciné-club, cercle de photographie, cercle rustique, cercle ultramarin, cercle de bricolage, chorale, théâtre, atelier d’écriture d’un journal interne intitulé L’Espoir, etc. Outre les entretiens individuels qu’ils ont avec les détenus, les éducateurs ont pour mission au cours de ces différentes activités de provoquer ici aussi des échanges, toujours dans l’optique de pouvoir évaluer leurs interlocuteurs. Les activités sportives ont lieu au moment de la promenade et sont assurées selon les époques par un surveillant moniteur des sports ou par un maître d’éducation physique de l’Éducation nationale. Des matchs de basket et de volley sont organisées les weekends contre des équipes extérieures qui sont autorisées pour l’occasion à pénétrer dans l’établissement. Enfin, des intervenants extérieurs proposent également des parties de ping-pong ou d’échecs.

Si ces activités culturelles constituent une nouveauté en détention et ne cessent de s’enrichir au fil des ans, il n’en demeure pas moins que c’est le travail qui demeure le pivot du système progressif. Il s’agit effectivement de l’activité qui occupe l’essentiel de la journée des détenus. Et si les activités culturelles sont organisées en soirée, c’est pour ne pas perturber le rendement des ateliers de travail.
L’application du régime progressif offre des modalités de prise en charge des détenus de la maison centrale que ne connaissent pas les détenus de la maison d’arrêt, créant ainsi une dissymétrie au niveau des régimes appliqués au sein de l’établissement. Des activités « à forme récréative et instructive » sont bien assurées à la maison d’arrêt par un éducateur de la maison centrale. Mais elles sont exclusivement réservées aux mineurs. Les détenus de la maison d’arrêt sont privés de radio et ne bénéficient pas de parloirs sans grille comme ceux aménagés à la maison centrale. De même, si la maison centrale ne connaît pas de surpopulation carcérale grâce aux affectations effectuées par le Centre national d’orientation de la maison d’arrêt de Fresnes au fur et à mesure des places disponibles, les cellules de la maison d’arrêt sont fréquemment triplées pour pouvoir accueillir des détenus en surnombre. La maison d’arrêt comprend 61 cellules et trois dortoirs en commun pouvant accueillir 91 hommes ainsi que 12 cellules pour les femmes. Mais la contenance du dortoir peut s’élever jusqu’à 152 individus et la surpopulation ne parvient à être jugulée que grâce aux transferts effectués vers d’autres établissements régionaux. Tandis que la maison centrale compte 271 places toutes individuelles. Cette différence de traitement se retrouve également au niveau de l’organisation du travail. Le travail en régie est réservé aux détenus de la maison centrale en apprentissage et s’effectue dans des ateliers de serrurerie et de tôlerie. Les détenus de la maison centrale qui sont concédés effectuent leur tâche dans leur cellule s’ils appartiennent à la première phase ou en ateliers s’ils appartiennent à la deuxième. Ceux concédés à la maison d’arrêt travaillent uniquement en cellule. Le chômage est également plus important à la maison d’arrêt qu’à la maison centrale, ce qui pèse sur les possibilités d’achat en cantine et sur l’aide apportée aux proches restés à l’extérieur.

La fin du régime progressif

L’arrivée de détenus algériens dans les prisons françaises à la suite de la guerre d’Algérie met un brusque coup d’arrêt à la mise en œuvre du régime progressif. Au 1er janvier 1959, sur une population pénale comptant 27 096 individus, près de 9 628 sont des « Nord-Africains ». Leur arrivée massive impose des aménagements importants à l’administration pénitentiaire pour pouvoir les héberger et les séparer du reste de la population pénale dans les établissements. La plupart sont en outre condamnés pour des motifs considérés comme « politiques » et ne sont donc pas admis au régime progressif. Afin de libérer des places, l’administration pénitentiaire renonce en 1958 à introduire un régime progressif de courte durée à la maison centrale de Loos et doit également l’année suivante déplacer à la maison centrale de Melun un centre de jeunes condamnés crée la même année à la maison centrale de Toul.

Le contexte de révoltes carcérales qui embrase les prisons françaises à partir de 1972 entraîne une importante réforme pénitentiaire qui aboutit au décret du 23 mai 1975 modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale. Cette réforme repose sur la diversification des établissements et des régimes pénitentiaires et sonne le glas du régime progressif. Le décret introduit désormais trois types de régime : un régime libéral, un régime de sécurité moyenne et un régime de sécurité renforcée. Pour gérer ces différents régimes sont créés deux types d’établissements : les maisons centrales où le régime est axé sur la sécurité et les centres de détention où il est axé sur la réinsertion sociale des détenus. Avec cette réforme, l’administration pénitentiaire souhaite spécialiser ses établissements de telle sorte qu’un seul régime y soit désormais appliqué. Se substitue donc au régime progressif (qui comprend plusieurs régimes carcéraux en un seul) un régime unique basé sur une unité de traitement appliqué dans un établissement. Désormais, un détenu évolue en fonction de son comportement d’une maison centrale vers un centre de détention et vice-versa. La maison centrale d’Ensisheim est donc reconvertie en maison centrale ordinaire tandis que les maisons centrales de Melun, Mulhouse, Caen et Muret sont reconverties en centres de détention. Le nouveau régime des maisons centrales et des centres de détention s’inspire toutefois du régime progressif. Les détenus arrivants y sont soumis à une période d’accueil et d’observation qui se traduit par un emprisonnement individuel de 15 jours. Puis ils bénéficient d’une incarcération de type auburnien, c’est-à-dire d’un enfermement individuel la nuit et d’activités effectuées en commun le jour. Puis en fonction de leur comportement, ils peuvent à terme bénéficier d’un régime de semi-liberté ou d’une libération conditionnelle.
Cet aboutissement constitue une adaptation majeure de la politique carcérale et un changement de paradigme vis-à-vis des principes affirmés par la réforme pénitentiaire de 1945. Le régime progressif porté par cette réforme constituait une méthode éducative qui visait à soustraire le détenu de la société durant un certain temps afin de le rééduquer pour le conduire vers l’amendement. Dans cette logique, le détenu demeurait une sorte de mineur que l’administration pénitentiaire s’employait à redresser à l’écart de la société. À « l’utopie active du traitement » par la prison succède en 1975 un dispositif qui vise désormais à maintenir au maximum les liens entre les détenus et la société et à développer leur sens de la responsabilité pour favoriser leur réinsertion.

Un décret du 27 mai 1975 transforme donc la maison centrale à régime progressif de Mulhouse en un centre de détention. Mais ce changement provoque des résistances de la part du personnel qui l’assimile à un déclassement de leur établissement :
« Le personnel entier (service social et éducateurs compris) n’apprécie guère la suppression du régime progressif qui représentait pour lui, depuis 30 ans, le “nec plus ultra” du régime. » Au mois de juillet 1975, le directeur régional des services pénitentiaires de Strasbourg découvre ainsi lors d’une inspection que des détenus sont toujours maintenus au quartier d’amélioration où ils bénéficient de plus d’avantages que le reste de la détention. La direction refuse effectivement de leur faire bénéficier du régime ordinaire car cela reviendrait d’après elle à les déclasser à la deuxième phase ! Elle accepte finalement de se plier à la nouvelle situation et l’établissement se départage désormais entre un quartier centre de détention d’une capacité de 220 places destiné à accueillir des détenus dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à cinq ans d’emprisonnement et un quartier maison d’arrêt de 140 places. À cet ensemble il faut ajouter l’ouverture au mois d’octobre 1972 d’un centre de semi-liberté situé à environ un kilomètre de l’établissement. Aménagé dans l’ancienne caserne Coehorn, il dispose d’une capacité de 36 places (32 pour les hommes et 4 pour les femmes). Enfin, un gymnase de 300 m² et des ateliers de 1 200 m² répartis sur trois étages surmontés d’un nouveau mirador sont édifiés au centre de l’établissement en 1977.

Mais la dissymétrie de régimes qui existait auparavant entre les quartiers maison d’arrêt et maison centrale se poursuit toujours dans cette nouvelle configuration de l’établissement. Les activités culturelles demeurent cantonnées au centre détention où interviennent quatre éducateurs et une assistante sociale alors que seules deux assistantes sociales à temps partiel interviennent à la maison d’arrêt. Les détenus incarcérés au centre de détention bénéficient également de toutes les améliorations apportées par la réforme de 1975, comme la possibilité de décorer leur cellule, de téléphoner, de se réunir dans des locaux aménagés, de bénéficier de permission de sortir dès l’exécution du tiers de leur peine, etc. La surpopulation carcérale frappe davantage la maison d’arrêt que le centre de détention. Les prévenus ne peuvent pas y être séparés des condamnés et il est « navrant et scandaleux […] que 3 ou 4 mineurs partagent la même cellule d’une superficie inférieure à 6 m² et vivent entassés dans des conditions de promiscuité et d’insalubrité totales. »

La situation ne cesse de se dégrader par la suite et le taux d’occupation du centre de détention atteint en 1987 109 % (243 détenus) et celui de la maison d’arrêt 287 % (233 détenus) :
« Il en résulte donc un surencombrement très important de la maison d’arrêt et les conditions de vie offertes dans ce quartier sont contraires aux règles les plus élémentaires de la dignité humaine. Il suffit de rappeler que 55 des 63 cellules que comporte la maison d’arrêt des hommes ont une surface inférieure ou égale à 9 m² et que dans cet espace vivent en permanence trois ou quatre détenus. Les espaces extérieurs sont quasiment inexistants, les cours de promenade sont réduites […], ce qui conduit les détenus à passer en cellule la plus grande partie de leur temps. Ces conditions déplorables ne permettent plus d’assurer le fonctionnement normal du service public. »
Une importante mutinerie éclate au mois d’août 1992. Elle entraîne la mort d’un détenu qui chute depuis un toit et près de 23 autres sont blessés, notamment à cause de brulures provoquées par un incendie qui occasionne la destruction de la totalité du quartier A. Ces dégâts coûtent près de 10 millions de francs à l’administration pénitentiaire qui doit détruire le bâtiment endommagé et transférer les locaux qu’il contenait (bureaux administratifs, infirmerie et parloirs) dans le bâtiment annexe et dans les ateliers. Las, afin de mettre un terme à cette situation, la décision est prise en 1998 de fermer le centre de détention et de ne plus conserver que la maison d’arrêt où les dortoirs sont supprimés et les cellules rénovées. Cette décision permet de mettre un terme à la surpopulation de l’établissement qui, d’une capacité théorique de 354 places, accueille au 1er juin 2000 323 détenus.

Conclusion

Construite initialement à l’écart de la ville, la maison d’arrêt de Mulhouse a été peu à peu rattrapée par le tissu urbain ce qui a entraîné des problèmes de sécurité et de tranquillité vis-à-vis de son voisinage immédiat (projections depuis l’extérieur, évasions, parloirs sauvages, etc.). De ce fait, la question de son déménagement s’est-elle posée fréquemment au cours de son histoire. À ce problème initial s’en est ajouté un second à partir de 1946 avec l’ouverture du quartier maison centrale devenu centre de détention en 1975. Si cet aménagement a permis l’application d’une innovation pénitentiaire majeure portée par la réforme voulue par Paul Amor à la Libération, celle du régime progressif, il a aussi entraîné une contrainte tout aussi majeure en termes d’espace au détriment des capacités d’accueil de la maison d’arrêt. Celle-ci est ainsi devenue le parent pauvre de l’établissement, surpeuplée et offrant des conditions d’accueil très dégradées pour les détenus et le personnel par rapport à celles réservées par le quartier maison centrale (puis centre de détention). Si ce dernier problème a été réglé en 1998 avec la fermeture du centre de détention, le premier ne l’a été que très récemment avec la fermeture définitive de la maison d’arrêt de Mulhouse au mois de novembre 2021, peu de temps après celle de Colmar, au profit de l’ouverture à la même date du centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach destiné à les remplacer toutes deux.