6. Les lumières de la police

Plan du chapitre

Le mouvement des Lumières a aussi affecté la police. Entre le monde des polices et celui des Lumières, il existe des passerelles, des partages et des emprunts. Certains policiers et responsables du maintien de l’ordre sont eux-mêmes des hommes des Lumières. La police est au cœur des débats européens sur la réforme de l’Etat et de l’administration, dans les grands ouvrages de la philosophie des Lumières. Les réformes policières qui se multiplient, de même que la circulation des informations sur la police des grandes métropoles à travers l’Europe, tiennent à la conviction qu’elle est une condition essentielle du « bon gouvernement ». La police est en quête de son perfectionnement, parfois jusqu’à l’utopie. L’effervescence réformatrice qui traverse l’Europe des polices tient bien de l’esprit des Lumières, auquel elle emprunte ses méthodes et sa foi dans le progrès. En quête d’une administration plus efficace, les policiers se dotent d’instruments rationnels. La police fait appel à des inventeurs et à des hommes de science dans ses projets au service de l’amélioration de l’administration urbaine. Elle s’appuie sur leur expertise, organise des concours ou met à profit leurs découvertes.

Trois portraits, entre police et Lumières

Trois personnages, entre police et Lumières, illustrent la complexité des liens entre ces univers. Jean-Charles Pierre Lenoir, lieutenant général de police de Paris (1774-1775, 1776-1785), s’inspire de certains idéaux des Lumières pour perfectionner et humaniser la police de la capitale.
Chrétien-Guillaume Lamoignon de Malesherbes, quoique chargé de la censure royale de 1740 à 1763, se montre bienveillant à l’égard des philosophes dont il est parfois l’ami. Jacques Guillauté, officier de maréchaussée parisien, collabore à l’Encyclopédie de D’Alembert et de Diderot dont il est aussi l’ami. Il est l’auteur d’un vaste projet de réforme de la police.

Le lieutenant général de police Lenoir

Comment le lieutenant général de police Lenoir peut répandre les ténèbres, ou la lumière

Source : Archives nationales

La familiarité entre les policiers et le monde des Lumières se retrouve à des échelons élevés. Au sommet de la police parisienne, le lieutenant général de police Jean-Charles-Pierre Lenoir, principal responsable de l’ordre dans la capitale de 1774 à 1775, puis de 1777 à 1784, n’est pas étranger au monde des Lumières. En 1782, l’inventaire de sa bibliothèque, forte de plus de 1 300 ouvrages, montre que ce grand commis de l’État manifeste une grande curiosité, puisant dans les ouvrages scientifiques, comme dans les nouveautés littéraires. Le chef de la police détient des livres des auteurs « philosophiques », comme La Mettrie, Helvetius, Diderot, Rousseau et Voltaire. Socialement conservateur, goûtant fort peu les idées radicales, Lenoir reste attaché à une vision organiciste de la société et ne partage pas l’optimisme anthropologique des Lumières.
VD (Vincent Denis)

Jean-Charles-Pierre Lenoir (1732-1807) illustre la figure du haut administrateur éclairé au XVIIIe siècle, réformateur modéré et promoteur d’améliorations concrètes, fidèle de la monarchie et partisan d’une société d’Ancien Régime adoucie. Sa bibliothèque le montre féru d’humanités classiques et de culture juridique, ouvert à la philosophie des Lumières même la plus radicale comme aux auteurs modernes. Sa curiosité envers les sciences, la morale et l’éducation est certaine. À la tête de la police, son action est marquée par la philanthropie et un souci de la rationalité administrative, mais aussi par une propension à réprimer la « populace » des mendiants et des prostituées. [VM]

Malesherbes entretient des relations cordiales avec de nombreux hommes de lettres. Il a fini par devenir l’ami de l’écrivain Jean-Jacques Rousseau, dont il admire le talent. Les deux hommes échangent de nombreuses lettres. Rousseau lui adresse ici le manuscrit de l’Essai sur l’origine des langues. Responsable de la censure royale, Malesherbes reçoit souvent des manuscrits avant leur publication. L’intention de Rousseau paraît ici différente : il s’adresse à « l’homme de lettres » qu’est Malesherbes à ses yeux. La lettre est un indice des liens amicaux et de l’estime réciproque entre les deux hommes. [VD]

Guillauté, policier et collaborateur de l’Encyclopédie

Officier de la maréchaussée d’Île-de-France, Jacques-François Guillauté est aussi un Parisien cultivé et féru d’invention technique, lié aux élites intellectuelles de son temps. Il est l’ami et le parrain des enfants de Diderot, qui demeure plusieurs années chez lui, rue Mouffetard. Il présente un prototype de pont de bateaux à l’Académie des Sciences en 1755, sous les auspices du mathématicien d’Alembert, repris plus tard dans l’Encyclopédie. Guillauté rédige en 1749 un ambitieux Mémoire pour la réformation de la police de France, splendidement illustré par le dessinateur Gabriel de Saint-Aubin. Son projet conçu pour Paris consiste en un système d’enregistrement de la population, qui permettrait au chef de la police de connaître l’identité et le lieu de résidence de chaque individu, le tout grâce à une vaste machine de son invention pour classer et extraire les dossiers. Ce dispositif inspiré par le libéralisme politique, fonctionne à l’économie, et plutôt que multiplier les règlements et les interdits, il propose de forger « une sorte de chaîne que personne ne puisse secouer, qui laisse toute liberté de faire le bien, et qui ne permette que très difficilement de commettre le mal ». [VD]

Malesherbes, administrateur et protecteur des Lumières

Chrétien-Guillaume Lamoignon de Malesherbes est issu d’une grande lignée de magistrats. Ce défenseur des libertés individuelles et ami des philosophes exerce à plusieurs reprises de hautes fonctions dans l’administration et la police du royaume. Il est directeur de la Librairie, responsable de la censure royale sur les imprimés (1740-1763). Redevenu magistrat entretemps, il s’illustre par son opposition au gouvernement autoritaire de Louis XV, comme président de la Cour des Aides de Paris. Sous Louis XVI, il devient ministre de la Maison du roi en 1775, lors du ministère réformateur de Turgot. Chancelier en 1787, il s’illustre par des réformes judiciaires importantes (abolition de la torture, édit de tolérance sur les protestants). Pendant la Révolution, il défend Louis XVI lors de son procès et il est lui-même exécuté en 1794. [VD]

La police, un objet de réflexion politique

La police est au cœur de la réflexion philosophique du 18e siècle sur l’organisation politique et le gouvernement des hommes. Elle est présente dans les œuvres des grands auteurs des Lumières, français comme L’Esprit des Lois de Charles de Montesquieu (1748), mais aussi écossais comme Adam Smith, qui publie La Richesse des nations en 1776. Signe de cet intérêt, de nombreux ouvrages théoriques sur la police paraissent à travers l’Europe, sous la forme de traités et de dictionnaires, principalement en français et dans l’espace germanique.

Adam Smith (1723-1790) est le plus célèbre représentant des Lumières en Écosse et un des théoriciens du libéralisme économique. Professeur de philosophie morale à l’Université de Glasgow, il publie de nombreux ouvrages de morale et d’économie. Dans ses Recherches et considérations sur la richesse des nations (1776), Smith considère la police comme un des éléments du mauvais gouvernement économique, un obstacle à la libre circulation de la main-d’œuvre et des marchandises. Dans ses Leçons sur la jurisprudence (1762-1764) Smith recherchait quelle pouvait être la meilleure forme de police, synonyme de règlements établis pour promouvoir « la richesse de l’État ». [VD]

Johann Peter Willebrand (1719-1789), docteur de l’Université de Halle (Prusse) et directeur de la Police d’Altona, près de Hambourg, est un des représentants les plus connus de la « science de la police » allemande. Cette discipline, enseignée dans les universités germaniques, forme les hauts fonctionnaires qui travaillent comme Willebrand pour les principautés allemandes. Se définissant comme une « politique du bien-être des citoyens », la « bonne police » n’a rien à voir avec le maintien de l’ordre : c’est un ensemble de savoirs administratifs, de l’économie à l’éducation, destinés à « civiliser » la population d’un territoire, à travers des règles impersonnelles. Ces techniques administratives sont codifiées dans des ouvrages comme celui de Willebrandt, praticien et théoricien, témoins de la formation de corps de fonctionnaires professionnels au service de l’État absolutiste, principalement en Prusse, mais aussi dans les États germaniques et l’Europe du « despotisme éclairé ». [VD]

Dans les années 1780, l’imprimeur-libraire Panckoucke lance la grande aventure éditoriale de l’Encyclopédie méthodique qui doit reproduire le succès de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, ouvrages à succès des Lumières. L’avocat et écrivain Jacques Peuchet (1758-1835) est chargé de rédiger les volumes « Police et municipalités ». Cet ami de l’abbé Morellet, un des derniers représentants vivants des grands « philosophes des Lumières », travaille aussi pour les ministres Calonne et Loménie de Brienne. Spécialiste de l’administration, épris d’idées libérales, Peuchet défend dans l’ouvrage ses conceptions de la police et du gouvernement : défense des libertés individuelles, idéal d’une administration éclairée et bienfaisante, destinée à améliorer les « mœurs » et la civilisation. L’ouvrage, dont la rédaction commence à la veille de la Révolution et s’achève en 1791, est un précieux témoignage sur le renouveau des conceptions policières à la fin de l’Ancien Régime. Sous la Révolution, Peuchet devient un des administrateurs de la police de Paris (1789-1791). On lui doit une œuvre considérable consacrée à l’administration de la France. [VD]

Comme la plupart des grands magistrats, Montesquieu ne s’intéresse guère à la police, considérée par les juristes comme une matière mineure. Cependant, dans son célèbre Esprit des lois, un vaste traité sur les systèmes politiques, il voit dans la police un mode d’action singulier de l’État, très différent de la justice et de la loi, dont il relève les spécificités. Sa préoccupation pour la police témoigne de l’importance nouvelle que prend cette notion pour la pensée politique. [VD]

La police, un objet de réforme

A partir des années 1750, les villes d’Europe cherchent à perfectionner leur police. Les projets de réforme fleurissent à travers le continent. Les échanges d’informations sur les grandes métropoles européennes s’accélèrent, en particulier sur celle de Paris. Mémoires et enquêtes sur la police circulent à travers le continent. Ces investigations sont parfois encouragées ou commanditées par les gouvernements, comme celle du diplomatique britannique William Mildmay entre 1749 et 1755, et du commissaire Lemaire, à la demande de la cour impériale de Vienne en 1770, toutes les deux sur la police de Paris.

Le Mémoire sur la police de Paris de Jean-Baptiste Lemaire, commissaire au Châtelet, est né d’un questionnaire adressé à Versailles par la Cour de Vienne dans les années 1760. Lemaire, missionné par Sartine, y décrit l’organisation et les pratiques de la police parisienne. Le mémoire est présenté en 1771 à Marie-Thérèse d’Autriche, au roi de Sardaigne et à la Cour de Naples. Il est communiqué à Madrid. On le connaît à Stockholm et à Copenhague. Le grand-Duc de Toscane, Pierre Léopold, l’étudie à Vienne en 1776. Le système policier parisien nourrit le désir de réformes de plusieurs souverains en Europe. [VM]

Dans toute l’Europe au XVIIIe siècle, la police devient un objet de réflexion pour les administrateurs et les responsables politiques, pour les municipalités, pour les praticiens de la police et de la justice, pour les militaires. De nombreux projets réformateurs d’ampleur inégale sont mis en œuvre. Le mouvement est particulièrement intense pendant une large période 1760-1780. Même si les contextes diffèrent, les autorités se préoccupent des conséquences de la croissance urbaine et d’une mobilité accrue. Il leur faut aussi gérer les tensions sociales d’un monde très inégalitaire. [VM]

En 1770, le commissaire Lemaire rédige un mémoire présentant la police de Paris. Il en a été chargé par le lieutenant général de police Sartine. Il répond à une demande d’informations de la cour de Vienne désireuse de réformer la police de la capitale des Habsbourg. Le mémoire manuscrit circule sous une forme manuscrite mais reste secret. En 1790, alors que la Révolution a commencé en France, il est traduit en allemand et publié à Vienne. Il paraît sous le titre erroné de Traité de la Police en France, alors qu’il ne parle que de Paris. [VD]

En 1763, un diplomate britannique, William Mildmay (1705-1771) publie à Londres un traité sur la police en France. L’ouvrage a été rédigé pendant le séjour de Mildmay à Paris, de 1749 à 1755, et au départ destiné à son protecteur, le secrétaire d’État Holdernesse. Mildmay le fait publier à la faveur de la paix avec la France et pour s’engager dans le débat public qui fait rage sur la lutte contre la criminalité en Angleterre, auquel contribuent les frères Fielding. L’ouvrage devient une référence sur la police française pour des décennies. [VD]

Dans ce mémoire, Anne Pierre Coustard de Massi (1741-1793), officier militaire, apporte son soutien au projet de réforme de la police nantaise et de création d’un guet royal en 1786. Pour les représentants du pouvoir royal, militaires et intendant, seule une troupe de police, professionnelle et nombreuse, avec une organisation calquée sur celle de l’armée, est capable de faire régner la sécurité. Cela suppose de dessaisir la municipalité d’une part importante de ses prérogatives de police. La ville comme les États de Bretagne s’opposent au projet qui suscite une vive controverse publique. [VM]

Un plan accompagne une réflexion originale sur le quadrillage policier de la ville de Bruxelles. La ville intramuros est divisée en 5 quartiers calqués sur les 10 quartiers traditionnels des gardes bourgeoises. Chacun de ces quartiers est placé sous la surveillance d’un poste de garde, indiqué par les lettres A à E, et par des surveillants « stationnaires » disposés aux emplacements indiqués par les chiffres 1 à 30. Le poste A correspond au corps de garde de « l’Amigo », derrière la Grand Place, lieu central de la police bruxelloise jusqu’à nos jours. [CD]

L’Amman était le chef de la police bruxelloise, représentant théoriquement le souverain. En pratique, son autorité était très inférieure à celle des échevins, véritables maîtres de la ville. Ferdinand Rapédius de Berg (1740-1802), Amman de 1775 à 1786, a passé plus de temps à rédiger des mémoires qu’à exercer ses fonctions. Son projet de 1783 présente une combinaison entre des postes de surveillance fixe, dispersés dans tout l’espace urbain et les mouvements de patrouilles mobiles, quadrillant la ville. Ce plan original, mais coûteux, est resté à l’état de projet. [CD]

Dans un autre mémoire sur la police de Naples, un auteur anonyme propose d’établir un « Département de police » sur le modèle de Londres, Paris et Lisbonne, chargé de trois domaines : la « sécurité », la « décence » et l’« abondance ». L’auteur observe que la police est exercée par les juges de la cour criminelle, constamment occupés par l’« administration de la justice pénale » et privés de forces de police active. Il recommande la création d’une administration autonome de la police, nouveau « corps politique », avec un intendant et un « régiment de la police » de 300 soldats, sergents et caporaux. [BM]

Un mémoire, rédigé par un modeste officier de l’administration royale, participe au mouvement d’idées qui accompagne, à Naples, la réforme de police de 1779. En 49 articles, G. Franci expose ses idées sur les moyens, y compris financiers, d’établir dans la capitale un solide « Département de police », en s’inspirant des réglementations en vigueur dans d’autres capitales, comme Paris ou Florence. Le projet reprend la division de la ville en douze quartieri, instituée en 1779, et propose des mesures qui élargissent la sphère d’intervention de la police ainsi que ses moyens d’action. [BM]

La constitution d’une « mémoire policière »

Le traitement des documents écrits devient essentiel pour l’action policière. Il fait l’objet de soins grandissants afin de constituer une « mémoire policière ». Traités et dictionnaires recueillent ordonnances et règlements hérités du passé. Les archives de police commencent à être systématiquement collectées et organisées. Les policiers se dotent de registres et d’instruments de classement, tandis que le recours aux formulaires imprimés devient plus courant. Dans ses archives, la police accumule les données sur les individus qu’elle surveille ou qu’elle recherche.

Traités et dictionnaires

La publication du Traité de la police, resté inachevé, s’étend de 1707 à 1738. Pour la première fois dans le royaume, le Traité s’emploie à fonder historiquement la notion de « police », même si elle reste pensée dans le cadre institutionnel de la justice. Dès la première moitié du XVIIIe siècle, l’ouvrage constitue une référence obligée pour les historiens de la capitale, pour les magistrats de province et pour tous ceux qui, en Europe avant la Révolution française, s’interrogent sur la police, son organisation et ses attributions. Son auteur, Nicolas Delamare (1639-1723), entre au service de Colbert à partir de 1678, et travaille dans une étroite proximité avec le premier lieutenant général de police, La Reynie. Homme de cabinet, féru de culture juridique et fin connaisseur des archives de compagnie des commissaires, Delamare est aussi un homme de terrain auquel on confie des missions de confiance. Il est le prototype de ces commissaires zélés dont les lieutenants généraux aiment à s’entourer pour administrer la police de Paris. [VM]

Signe de l’effervescence éditoriale autour de la police, les dictionnaires sur ce sujet fleurissent à la fin du XVIIIe siècle, comme celui de Nicolas- Toussaint Des Essarts. Ils sont rédigés par des praticiens comme La Poix de Fréminville ou Prost des Royers (ce dernier ancien lieutenant général de police de Lyon), ou simples compilateurs comme Des Essarts, un polygraphe auteur d’ouvrages divers dans les années 1780-1790. Ils se présentent comme des répertoires alphabétiques, imitant la formule à succès de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Toutefois ces ouvrages n’ont plus l’ambition théorique du Traité de la police du commissaire Delamare, rédigé près d’un siècle plus tôt. [VM]

Organiser le travail policier

Ce brigadier organisé a calligraphié en noir, rouge et bleu les « Formules des procès-verbaux et asignnattions de touttes manieres tres utilles aux ofissiers de la mareschaussée, ensembles les escroüe, et autres chose… », couvrant les cas qu’il pouvait rencontrer : procès-verbaux d’effraction, de perquisition, pour braconniers, de recherche d’un soldat de milices, à clameurs publiques (pour vol), d’un voleur arrêté par les paysans, de deux pèlerins qui juraient et faisaient grands troubles, de vente des effets d’un criminel, pour déserteur ayant un faux congé, pour les mendiants, de recherche de plusieurs voleurs de grands chemins, de saisie faite en campagne sans qu’on ait pris les fraudeurs lorsqu’ils s’enfuient et abandonnent tout ; écrou pour crimes ; lettres de cachet de bannissement ; manière de faire information, etc., sans oublier la liste de ses attributions (« état du devoir des officiers de maréchaussée »). [CL]

A- Formulaire imprimé vierge de condamnation pour dettes envers une nourrice, [années 1740 et suivantes]
B- Formulaire imprimé de premier avertissement du sieur Aubert, principal locataire au 2ème, allée de la maison n°63, rue des Gravilliers qu’il a été condamné à une amende de 4 livres 6 sols et 9 deniers « pour ladite allée ouverte à une heure indue le 16 janvier », 21 février 1783

Le 30 mai 1770, lors des réjouissances organisées pour le mariage du futur Louis XVI se produit une bousculade mortelle rue Royale. La police du Châtelet recense officiellement 132 victimes. C’est la plus grave catastrophe civile avant 1789. Alors que la faillite de la police parisienne menace, la Lieutenance de police et les officiers du Châtelet déploient toute leur rigueur administrative dans les opérations de reconnaissance des cadavres et de collecte des effets. L’art du registre et la science du formulaire sont mis au service de la consolation rapide des familles. [VM]

L’inspecteur Jean Poussot a consigné dans un registre l’identité de tous les individus qu’il a arrêtés de 1738 à 1754. Dans ce registre alphabétique muni d’onglets, sont consignés en cinq colonnes les éléments suivants concernant les personnes arrêtées : noms, prénoms, âge et profession ; nom de la prison où elles ont été écrouées ; date de l’arrestation ; indication de l’ordre de police ou du roi ; motifs de l’arrestation. Dans cette dernière colonne, l’inspecteur Poussot récapitule tous les antécédents judiciaires, tous les enfermements passés de la personne arrêtée dont lui ou ses confrères ont connaissance. Ce registre, véritable outil de travail de l’inspecteur, peut être considéré comme l’ancêtre du casier judiciaire et des fichiers de police. [IF]

Fixer les identités

L’identification des personnes mobiles devient une des priorités de la police au XVIIIe siècle. Certains policiers rivalisent d’imagination pour proposer les formulaires les plus précis afin d’enregistrer les déclarations des voyageurs. Ce modèle conçu pour la police de Bordeaux doit être rempli par les aubergistes et cabaretiers pour le départ et l’arrivée de chaque voyageur qui vient loger chez eux. Il existe un autre formulaire, pour les chevaux, contenant leur description. [VD]

Un registre tenu par les juges de Genève, exceptionnel dans le paysage policier européen du XVIIIe siècle, montre l’essor des pratiques d’identification des personnes. Dès 1775, afin de resserrer la surveillance sur les populations flottantes, les magistrats de police de Genève introduisent la visite corporelle dans les prisons. Les individus suspectés de vagabondage d’habitude ou de rupture de ban sont examinés par un chirurgien qui enregistre les marques et signes physiques particuliers. Ces signalements administratifs et préventifs (environ 400 entrées) outillent la police dans la lutte contre les fausses identités. [VD]

Dans les années 1780, la maréchaussée d’Île-de-France fait circuler dans ses brigades ses avis de recherche et les signalements des criminels arrêtés par ses hommes. Ce bulletin est imprimé chaque semaine. Prendre la description physique des individus permet de démasquer ceux qui tentent de dissimuler leur véritable identité en changeant de nom, une pratique courante à l’époque. Les brigades, de petits groupes de cinq à six cavaliers, sont réparties dans les principales localités autour de Paris. La description des cadavres de noyés, nombreux dans la Seine, est aussi diffusée pour permettre leur identification. [VD]

La science au service de la police

A Paris, les lieutenants de police Sartine et Lenoir dans les années 1760-1780 mobilisent les savants dans leurs projets d’amélioration urbaine. Ils appuient leurs décisions sur l’expertise de chimistes, de physiciens, de mathématiciens et de médecins, comme pour tout ce qui touche à la salubrité et à la santé publique. Ils organisent des concours d’inventeurs pour perfectionner les équipements publics, en particulier l’éclairage des rues. La police collabore avec les institutions savantes, comme l’Académie des Sciences et le Collège de Pharmacie.

Le chimiste Antoine Lavoisier (1743-1794) est l’un de ceux qui participent au concours lancé en 1763 par l’Académie des Sciences, avec le soutien et la dotation financière du lieutenant général de police Sartine, pour améliorer l’éclairage public. Depuis plusieurs années, techniciens et inventeurs cherchent à remédier au défaut de luminosité des anciennes lanternes, préparant la mise au point du réverbère. La puissante Lieutenance générale de Paris veut stimuler et promouvoir l’innovation en mobilisant les institutions savantes les plus prestigieuses et les scientifiques les plus renommés. [VM]

Les Observations sur les fosses d’aisances examinées par l’Académie des Sciences en juillet 1778, puis imprimées, ne sont que l’un des nombreux rapports que la police demande à Cadet de Vaux, apothicaire et chimiste, sur les foyers de l’insalubrité urbaine. En 1781, Lenoir fait nommer Cadet de Vaux inspecteur des objets de salubrité à Paris, comprenant les prisons et les hôpitaux, les fosses d’aisance, les cimetières. Œuvrant pour un rapprochement inédit entre les sciences et la police, Lenoir amorce une régulation du risque sanitaire assise sur l’expertise chimique. [VM]

Les rapports de l’inspecteur de police Patté sur les nouveaux remèdes ou sur les produits cosmétiques et leurs fabricants, illustrent la politique de prévention sanitaire menée par la Lieutenance générale de police. Elle repose sur un contrôle administratif des professionnels (apothicaires, médecins, parfumeurs, inventeurs…) et sur une collaboration régulière avec la Société royale de médecine, fondée en 1776 pour prévenir la propagation des épidémies. Ce contrôle préalable équivaut à une sorte « d’autorisation de mise sur le marché » des produits répertoriés, étayée par l’expertise scientifique. [VM]

La police au quotidien : chez un commissaire de police parisien

Entretien filmé avec David Garrioch

Durée : 9' 50''
Crédits : Archives nationales/José Albertini

Entretien avec David Garrioch sur le commissaire

David Garrioch, professeur d'histoire européenne, Monash University (Australie)

Ces portefeuilles, volés ou égarés, ont été déposés à l’étude d’un commissaire. Il en subsiste un certain nombre dans les archives des commissaires ; la plupart de ceux qui existent encore aujourd’hui sont plutôt conservés dans les archives du greffe criminel où les commissaires les ont portés. [IF]

Les sacs à procès, faits de toile de jute, de chanvre et parfois en cuir, sont utilisés lors des affaires judiciaires sous l’Ancien Régime et constituent une manière d’archivage. Ils contiennent l’ensemble des éléments requis et produits au cours de la procédure : pièces à conviction, dépositions des témoins, interrogatoires, requêtes, copies des pièces signées par les procureurs. Ces sacs sont conservés dans les greffes des juridictions, ici le Châtelet, et parfois par les avocats. Chaque commissaire tient de plus de nombreux registres, qui servent à organiser son activité dans son quartier : enfants trouvés, listes des nourrices, adresses des garnis, commerces ambulants... Leur expansion témoigne de l’inflation des tâches administratives confiées aux commissaires. [VM, VD]

Le sous-main du commissaire Mouricault est rempli de brouillons, additions, dessins, petites notes dont une peut-être adressée à son clerc ; « Je rentrerai à midi pour me faire coiffer car je dois diner avec mes confrères ». Ce sous-main a ensuite été encore reconverti par le commissaire ou son clerc en « chemise » pour une de leurs minutes : c’est sous cette forme qu’il a été découvert dans les années 1990 par l’historien Rodolphe Trouilleux ainsi que de nombreux documents témoignant de l’activité du commissaire Mouricault comme syndic de sa compagnie. [IF]

La police commence à organiser ses archives. Dès les années 1730, les papiers des agents du lieutenant général de police, en particulier les inspecteurs de police, sont systématiquement récupérés après leur mort et versées à la Bastille. Ainsi se forme peu à peu une « mémoire policière », fondée sur l’accumulation des papiers de ses agents. Cette liste a été établie par le garde des archives de la Lieutenance. Elle montre l’entrée à la Bastille de papiers d’agents divers, dont de nombreux policiers : Dumont, inspecteur de police, Camuset, commissaire chargé des prisonniers de la Bastille. Les papiers sont confisqués aux héritiers sur ordre du roi. [VD]

Les commissaires au Châtelet de Paris sont contraints depuis 1682 de conserver leurs minutes et depuis 1741 d’en dresser des répertoires chronologiques afin de les présenter à leurs syndics. Mises en place par des arrêts du Parlement suite à des contestations entre les commissaires dans le cadre de leurs revenus mis en commun (bourse commune), ces usages leur ont permis de conserver les actes de leur pratique, de se doter d’outils de travail permettant d’y accéder rapidement et de les transmettre à leurs successeurs. [IF]

Agenda "main-courante" du clerc du commissaire Ninnin, 3 mai 1785 - 21 septembre 1786

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Agenda "main-courante" du clerc du commissaire Ninnin, 3 mai 1785 - 21 septembre 1786

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Agenda "main-courante" du clerc du commissaire Ninnin, 3 mai 1785 - 21 septembre 1786

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Agenda "main-courante" du clerc du commissaire Ninnin, 3 mai 1785 - 21 septembre 1786

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Agenda "main-courante" du clerc du commissaire Ninnin, 3 mai 1785 - 21 septembre 1786

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Ces petits carnets, à mi-chemin entre la main-courante et l’agenda, sont remplis par les clercs des commissaires qui y notent le nom et les motifs de visite des personnes passées par la maison du commissaire en son absence. Le clerc du commissaire Ninnin note le 4 février 1786 que Pierre Michel Évrard, secrétaire de monsieur le marquis du Luc est venu « se plaignant que passant ce jourd’hui, heure présente, dans la rue de la Mortellerie […] il lui a été jeté une potée de matière fécale sur la tête de laquelle potée son chapeau, sa redingote et son manteau ont été remplis ». Les autres personnes passent pour signer un procès-verbal, remercier le commissaire, le voir ou prendre rendez-vous pour déposer une plainte. [IF]

Les livres occupent une place de choix dans l’étude d’un commissaire. Comme il travaille à son domicile, dans sa bibliothèque, à côté de la littérature, de la religion et de l’histoire, parfois des sciences, figurent des ouvrages de droit, plus liés à sa pratique professionnelle. Les titres présentés ici ont été retrouvés chez plusieurs commissaires. Ils sont caractéristiques de la culture professionnelle de leur milieu, proche de celui des avocats et des procureurs (avoués) : traités généraux, comme sur l’Ordonnance criminelle de 1670, mais aussi ouvrages plus techniques et plus pratiques sur la procédure judiciaire ou les droits et privilèges de la compagnie. [VD]