1. Introduction : repères historiques

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Introduction : repères historiques

La transportation pénale est introduite dans la législation britannique en 1597 avec le Vagrancy Act. Grâce à cette disposition, les magistrats obtiennent la possibilité d’exiler outre-mer des vagabonds et des condamnés. Mais c’est à partir de 1717 que cette pratique s’officialise avec le vote du Transportation Act. Les criminels condamnés à des peines autres que la peine de mort (noncapital felon) peuvent être condamnés à sept ans de transportation en Amérique du Nord. Ceux qui sont condamnés à mort et graciés (capital felon) peuvent être condamnés à quatorze ans. Le capitaine du navire convoyeur se rembourse directement en vendant ses «convicts » (forçats) aux colons américains. Ces derniers sont alors placés sous la dépendance de leurs maîtres qui s’en servent comme main-d’œuvre jusqu’à leur libération. Ce système a largement profité à des planteurs de Virginie et du Maryland et a entraîné l’envoi de près de 40 000 individus. Mais la Déclaration d’indépendance des États-Unis met un terme à ce système en juillet 1776.

La fin de la transportation en direction de l’Amérique du Nord aggrave les problèmes de surpopulation des prisons britanniques. Celles-ci, dont l’état est dénoncé avec vigueur par John Howard dans son célèbre ouvrage L’état des prisons, des hôpitaux et des maisons de force en Europe au XVIIIe siècle, présentent un tableau sans appel : insalubrité, épidémies, absence totale de soins et abandon des prisonniers à eux-mêmes forment le quotidien des prisons britanniques à cette époque. Face au surnombre, les autorités décident en 1776 de recourir à une mesure d’urgence en aménageant des pénitenciers flottants (hulks)À l’intérieur de ces pontons, les conditions de vie sont encore plus dures que dans les prisons régulières et ils inquiètent l’opinion publique, peu rassurée de voir se concentrer autant de criminels aux portes de Londres. Face à cette situation, les autorités décident d’opter pour la transportation pénale en direction de l’Australie, dont le site de Botany Bay a reçu la visite de l’explorateur James Cook en 1770.

L’augmentation de la population carcérale britannique est le fruit de profondes mutations qui secouent le Royaume-Uni durant les XVIIIe et XIXe siècles. L’accroissement général des biens en circulation, l’exode rural, la pression démographique due à une période de fort développement économique conduit, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, à une augmentation des crimes et des délits liés à la propriété. Ces illégalismes populaires entraînent un renforcement de la répression pénale à l’encontre des plus démunis. Le nombre des motifs emportant la peine capitale augmente de façon importante et le Code sanglant (Bloody Code) multiplie les condamnations à mort. Cette tendance conduit à une législation plus soucieuse de protéger la propriété privée que la vie humaine elle-même. Ce déplacement de la répression fait apparaître le vol comme la préoccupation majeure du système pénal britannique.

Le recours à la transportation pénale apparaît toutefois comme un des premiers jalons de la modernisation et de l’adoucissement de ce système. Elle constitue effectivement une alternative à la peine de mort et offre aux magistrats une latitude nouvelle dans le choix des sentences. Elle permet en outre à la Grande-Bretagne de se débarrasser de ses prisonniers tout en leur permettant de se réinsérer à force d’efforts sur un nouveau territoire. La transportation pénale se présente ainsi sous les atours d’une peine humaniste, comme le souligne Voltaire :

« Rarement les voleurs sont-ils punis de mort en Angleterre ; on les transporte dans les colonies. Il en est de même dans les vastes états de la Russie ; on n’a exécuté aucun criminel sous l’empire de l’autocratrice Elizabeth. Catherine II, qui lui a succédé, avec un génie très supérieur, suit la même maxime. Les crimes ne se sont point multipliés par cette humanité, et il arrive presque toujours que les coupables relégués en Sibérie y deviennent gens de bien. On remarque la même chose dans les colonies anglaises. Ce changement heureux nous étonne ; mais rien n’est plus naturel. Ces condamnés sont forcés à un travail continuel pour vivre. Les occasions du vice leur manquent : ils se marient, ils peuplent. Forcez les hommes au travail, vous les rendrez honnêtes gens. On sait assez que ce n’est pas à la campagne que se commettent les grands crimes, excepté peut-être quand il y a trop de fêtes, qui forcent l’homme à l’oisiveté, et le conduisent à la débauche. »

En outre, cette peine présente de multiples avantages : comme l'indique Thomas More, le produit du travail d’un homme est toujours plus profitable que sa mort. La transportation permet de maximiser les bénéfices de la peine par son effet préventif (caractère dissuasif) et présente un intérêt économique pour l’État.

En janvier 1787, le Premier Ministre William Pitt opte donc pour la transportation des convicts britanniques et irlandais à Botany Bay, en Australie. Désigné par lord Sydney, le gouverneur Arthur Phillip prend la tête d’une expédition qui lève l’ancre le 13 mai 1787 avec à son bord 757 convicts. Après 36 semaines de voyage, la flotte finit par arriver à destination et Sydney Town est fondée en janvier 1788. Sur place, Phillip a la charge de rapidement mettre en valeur la colonie. Les convicts peuvent être employés au service du gouverneur ou bien être assignés auprès de particuliers (comme sur les domaines de Woolmers ou de Brickendon, sur la Terre de Van Diemen). Ils sont rémunérés, peuvent porter plainte en cas de mauvais traitements et disposent de la possibilité d’être employés en dehors de leurs heures de travail légales.

Ce système s’accompagne d’une possibilité de libération conditionnelle (ticket-of-leave) qui permet au convict d’atteindre plus vite le statut de colon. En cas de bonne conduite, il peut bénéficier d’une libération conditionnelle. Il a alors la possibilité de rechercher un employeur mais n’a pas le droit de quitter son district sans autorisation. Il peut également acquérir une propriété, se marier ou bien faire venir sa famille sur place. S’il respecte les conditions fixées par sa libération conditionnelle et qu’il a effectué au moins la moitié de son temps de peine, il peut ensuite bénéficier d’une grâce conditionnelle (conditional pardon). Il dispose de la possibilité de s’installer où il le souhaite dans la colonie mais il lui est interdit de la quitter. Enfin, une fois sa peine achevée, le convict peut bénéficier d’une grâce absolue (absolute pardon) qui lui permet de quitter la colonie s’il le souhaite. Ce système cherche essentiellement à soulager les finances de la Grande-Bretagne et à encourager la réinsertion du convict qui, en cas d’impair, est immédiatement réintégré au service du gouverneur. Ceux qui persévèrent dans leur « mauvaise conduite » ou qui sont condamnés sur place s'exposent à une incarcération dans des pénitenciers ou sur des chantiers de travail au régime extrêmement sévère, comme ceux de Port Arthur, Coal Mines, Port Macquarie (Macquarie Harbour), l'île du Cacatoès (Cockatoo Island), l'ancienne Grande Route du Nord (Old Great North Road), ou l'île de Norfolk (Norfolk Island).

Les premiers temps d’installation de la colonie pénale sont néanmoins très difficiles. Son implantation souffre d’un manque de moyens, de l’éloignement de la Métropole et les colons connaissent la faim et les restrictions. En parallèle, l’arrivée de nouveaux convois entraîne un accroissement constant de la population pénale qui se concentre essentiellement en Nouvelle-Galles du Sud (New South Wales) et sur la Terre de Van Diemen (Van Diemen’s Land), notamment à Hobart. Les femmes sont, elles, hébergées provisoirement dans des usines (factories), comme celle de Cascades (Cascades Female Factory) sur la Terre de Van Diemen ou celle de Parramatta, proche de Sydney, qui accueille également à partir de 1790 la demeure des gouverneurs de la colonie.

Arrivé en 1809, le gouverneur Lachlan Macquarie souhaite favoriser la réinsertion des convicts. Pour ce faire, il décide de faire construire une caserne à Sydney (Hyde Parks Barracks) pour assurer l'hébergement de nuit de ceux employés par ses services. Puis il encourage les placements en assignation, multiplie les grâces et mène une politique de grands travaux. Mais ces adoucissements apportés au régime des convicts entraînent une sévère réplique de Londres. En 1819, John Thomas Bigge vient enquêter sur la situation des forçats en Australie. Bigge reproche à Macquarie le sort trop doux réservé aux convicts et l’amoindrissement concomitant de la fonction expiatrice du bagne. Pour Londres, il est urgent que cette peine retrouvre son caractère dissuasif et que le traitement infligé aux convicts soit plus rigoureux. Les conclusions du rapporteur Bigge sont sans concession et le régime est durci.

En 1838, une commission spéciale désignée à la demande du Parlement britannique et présidée par Sir William Molesworth dépose un rapport d’enquête sur la transportation en Australie. D’inspiration ouvertement abolitionniste, cette commission préconise l’abandon du système de l’assignation. Ses membres dépeignent l’Australie sous les traits d’une colonie rongée par les crimes et les délits et insistent plutôt sur l’encouragement de l’émigration libre. Entravant la liberté de travail, et constituant en cela une forme d’esclavagisme intolérable, la transportation doit être abolie au profit de l’enfermement cellulaire, système promu notamment par Jeremy Bentham, adversaire acharné de la transportation en Grande-Bretagne. Le système de l'assignation est aboli en 1842 et est remplacé par un système de probation appliqué dans des établissements spéciaux, comme celui de Darlington sur la Terre de Van Diemen. En parallèle, Londres décide d’abolir en mai 1840 la transportation en Nouvelle-Galles du Sud. Suivront ensuite la Terre de Van Diemen en 1853 (qui prend le nom de Tasmanie en 1856), l’île de Norfolk en 1854 et l’Australie Occidentale en 1868.