Les pays de l’Est ont suivi avec un certain retard les vogues successives du récit criminel durant la première moitié du XXe siècle. Mais après la Seconde Guerre mondiale, le développement du bloc soviétique et la méfiance des communistes à l’égard des imaginaires des industries culturelles a limité considérablement la production de récits policiers. Selon le dogme soviétique, le récit policier pervertit le goût de ses lecteurs, les démoralise et favorise les valeurs de la bourgeoisie.
6. L’Est face à l’Ouest
Plan du chapitre
Sans titre
Kondor Vilmos, A masik szarnyseged
La mort de Staline cependant, et plus encore l’arrivée de Krouchtchev au pouvoir, entraîne un dégel qui permet à une génération d’auteurs de se lancer dans le récit policier : Joanna Chmielewska en Pologne, en RDA, Hans Walldorf, en Roumanie, Bogomil Rainow, ou les frères Vaïner et Julian Semionov en URSS. Le cinéma n’est pas en reste, avec des films comme Pociag en Pologne (1959), A hannis Izabella en Hongrie (1966) ou Strach en Tchécoslovaquie (1964).
Kolozsi Lazlo, A farkas gyomraban
Le récit policier qui naît dans l’Europe de l’Est des années 1950-1960 illustre les transformations de l’attitude des pays sous domination soviétique à l’égard des industries culturelles, mais aussi leurs relations ambiguës avec cette culture étrangère. Conscients sans doute de la domination des imaginaires occidentaux et de l’efficacité avec laquelle les cultures de masse imposent leurs représentations à l’ensemble de la planète, les pays de l’Est en assimilent une partie du vocabulaire.
30 pripadu majora
Mais suivant une logique contre-hégémonique, ils le reconfigurent pour opposer leur vision du monde à celle du bloc de l’Ouest. Ainsi, le récit criminel met-il en valeur le modèle socialiste, le travail collectif de la police, et les périls que font peser sur la société les ennemis de l’État. C’est ce qui explique que les œuvres proposent souvent des intrigues d’espionnage, évoquant de la sorte la menace occidentale. Cette façon d’articuler imaginaires criminels et conflits internationaux n’est d’ailleurs pas propre aux pays de l’Est : dans les années 1960, en pleine guerre froide, toute l’Europe se passionne pour l’espionnage.
Rodica Ojog-Brasoveanu, Nopti albe pentru minerva
Le polar roumain
L’évolution du récit criminel roumain épouse celle du pays. Avant-guerre, le récit criminel se réduit à quelques tentatives isolées pouvant prendre des accents pittoresques (Mihail Sadoveanu), décadents (Mateiu Caragiale) ou sociaux (Liviu Rebreanu). Après une période durant laquelle le genre est interdit, il réapparaît dans les années 1960, oscillant entre espionnage et enquête (Haralamb Zincă, Horia Tecuceanu). Depuis la chute de Ceaușescu, le genre connaît un renouveau avec des auteurs comme G. Arion, C. Dobrescu, B. Hrib ou P. Berteanu.