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Jacob Law "... l'éternel torturé !"

Quand Jacob Law tire !

Philippe Collin

Photo obtenue par juxtaposions d’un cliché pris quelques instants après l’attentat et d’une image contemporaine

Source : Philippe Collin

Le dossier du procès a été détruit dans un incendie en 1974, il reste peu d’archives, de traces officielles et fiables des événements. Toutefois la presse de l’époque relate les faits dans de nombreux numéros et le procès sera suivi par la majorité des quotidiens. En relevant les dénominateurs communs à ces différents articles il est possible de retracer avec une relative précision le déroulé des événements et la trajectoire de la vie de Law[1].

En fonction des journaux, l’heure oscille entre 16h20 et 16h39, l’omnibus 142 qui assure la liaison entre la Bastille et la Madeleine débouche du boulevard du Temple sur la place de la République. C’est à ce moment que Jacob Law monte et va s’installer sur l’impériale entre le colonel De Ramel et un inconnu mystérieux, monté en même temps que lui, et qui disparaitra sans laisser de trace. A proximité, sur l’impériale, Monsieur Carlinot et sa femme. L’omnibus longe la place à laquelle Law fait maintenant face, il a le magasin de nouveautés « Au pauvre Jacques » dans son dos et la statue de la République en face de lui. Venant dans l’autre sens, une unité de cuirassiers croise l’omnibus, les chevaux sont au pas, l’omnibus est en train de ralentir pour la prochaine station. Law se lève vise et tire sur les cuirassiers. Dès le deuxième coup de feu le colonel De Ramel se lève et tente de stopper les tirs en le frappant au bras. Law parvient à tirer encore à trois reprises en braquant son arme, cette fois, vers le régiment d’infanterie en faction le long de la place. Monsieur Carlinot frappe alors à son tour, secondé par sa femme qui cogne frénétiquement avec son parapluie. Dès lors, Law désarmé est couché et reçoit une pluie ininterrompue de coups.


[1] Même si parfois une citation ne fait référence qu’à un journal, la plupart du temps nous relatons dans cet article les faits compilés dans plusieurs quotidiens (voir bibliographie).

« l’Illustration », n°3349 du 4 mai 1907

Source : Philippe Collin

Monsieur Sarda, dès les premiers coups de feu, s’est élancé vers l’omnibus, et s’est hissé sur l’impériale en prenant appui sur une roue, il terrasse Law « en lui administrant la raclée qu’il méritait » c’est-à-dire des coups de poings et de pieds au visage alors que Law est déjà quasi inconscient, il sera félicité par le président du tribunal. Cinq coups de feu sont tirés au total, l’arme est un revolver, possédant donc un barillet et conservant les douilles après le tir. Lors du procès l’expert, Monsieur Gastinne Renette[1], fait remarquer que dans le barillet a six logements, une balle donc restait à tirer. La marque de l’arme ni le calibre ne sont précisés, un seul journal évoque la marque Browning (ce qui est peu probable, cette marque est plutôt connue pour ses pistolets). L’expert précise au procès que cette arme possède tout de même une force de pénétration conséquente.


[1] Petit fils du célèbre armurier Gastinne et qui a épousé la fille de l’associé de son père, Monsieur Renette.

Un Anarchiste russe après avoir tiré cinq coups de revolver sur les Cuirassiers du haut de l'impériale d'un omnibus est arrêté par le Public et les Agents

Source : Philippe Collin

On apprendra plus tard qu’un seul homme a été réellement touché mais sans provoquer de blessure : la balle s’est écrasée sur le cuirassier Ollagnier (ou Aulagnier) provoquant un enfoncement de la cuirasse, sans dommage pour le cavalier. Une deuxième balle sectionne la dragonne du sabre d’un officier, une troisième traverse la tunique et le pantalon du fantassin Mauclair qui la retrouve dans sa chaussure ! Deux balles disparaissent dans la nature. Sur cinq tirs donc, il y a trois impacts, et deux balles se volatilisent. Une reste à tirer dans ce revolver à six coups. Il faut noter que dans sa main gauche Law, quand il tire, tient une poignée de balles (le chiffre varie de six à quatorze en fonction des journaux) et que dans sa poche on retrouvera une boîte contenant encore quelques munitions.

Le colonel De Ramel qui le premier a frappé Law pour le désarmer, ne participe pas au lynchage, il témoigne : « … le garantir efficacement était impossible à moins de couvrir son corps et de recevoir les coups qui lui étaient destinés. J’eus pendant quelques minutes le spectacle de ce que pouvait être le lynchage d’un criminel accompli par une foule surexcitée. Je me demande encore comment cet individu ne fut pas assommé : c’est un miracle qu’il ait survécu ! »

Dessin de Grandjouan dans « l’assiette au beurre », mai 1907

Source : Philippe Collin

Dès lors désarmé, Law est couché sur la plateforme de l’omnibus et tente de se dégager de cette foule hystérique qui se livre à un lynchage en bonne et due forme. L’impériale est envahie par de nombreux individus qui participent au massacre. Coups de pied, coups de poing, coups de canne et de parapluie, tout y passe et rapidement Law n’est plus qu’un pantin sanguinolent, fracture de la mâchoire, oreille partiellement arrachée, dents cassées, il est à demi conscient quand les premiers policiers arrivent vers lui. Pour autant les fonctionnaires poursuivent le matraquage et c’est un corps sans connaissance qui est de la manière la plus brutale descendu par l’escalier de l’omnibus (et non jeté du haut de l’impériale comme cela a été parfois rapporté).

Contrairement à ce que montre le dessin ci-contre et à ce que l’on peut trouver parfois dans la presse, Jacob Law n’est pas précipité du haut de l’omnibus. Il est descendu par l’escalier sous une pluie de coups.

Jacob Law descendu de l’omnibus est emmené à la caserne du Château d’Eau. « l’Illustration » N°3349 du 4 mai 1907

Source : Philippe Collin

Arrivés sur la place les policiers sont maintenant obligés de repousser la foule hystérique et tentent de protéger, avec plus ou moins de succès, Law des coups et d’une mort certaine. Ils le traînent jusqu’à la caserne du Château d’Eau. Là, ce sont les camarades des militaires visés par les tirs de Law qui poursuivent le lynchage. Dans la soirée, Law sera transféré à l’infirmerie du dépôt : « Nous l’avons vu, hier sur son lit de l’infirmerie spéciale du dépôt. Le peu qu’on aperçoit de sa face, à travers les bandelettes qui l’entourent est véritablement terrifiant à voir : le corps est couvert de meurtrissures, de contusions, de plaies : cette loque humaine est absolument incapable de faire le moindre geste … » (Gil Blas, 2 mai 1907)

Un récépissé de déclaration d’étranger trouvé sur lui a permis de connaître son identité. Il faudra plusieurs jours pour qu’il retrouve visage humain et puisse passer à l’anthropométrie. Il restera de longues semaines hospitalisé. Plus tard, au procès, le citoyen Combet témoigne : « … il a assisté à la scène où Law fut frappé par la foule, il qualifie d’odieux le lynchage. Des individus qui n’avaient pas vu tirer, venaient frapper comme des brutes : j’ai éprouvé, conclut-il, un sentiment de pitié tel, que si messieurs les jurés avaient été là, ils auraient eu le même sentiment que moi … » (l’Humanité, 9 octobre 1907)