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La prison de Bicêtre

La fin de la prison de Bicêtre

Laurence Guignard, Jean-Claude Farcy

Source : Façade de la la prison de Bicêtre, Paul Bru, Histoire de Bicêtre (hospice, prison, asile), Paris, 1890, p. 105, Gallica

A nouveau des prisonniers d'Etat

Source : AN F/7/6185/A

Les incarcérations sans jugement, à titre de suspects, avaient été nombreuses pendant la période de la Terreur. Les prisons d'Etat - officialisées par un décret du 16 juin 1808 - sont nombreuses sous le régime de Napoléon Bonaparte. Sans être considérée à ce titre, Bicêtre, comme les autres prisons de droit commun, accueille des prisonniers envoyés sur ordre ministériel ou de la Préfecture de police. Les opposants politiques sont d'ailleurs minoritaires parmi ces catégories de la population estimées dangereuses (tels des acquittés par les tribunaux, vagabonds, etc.) pour lesquelles le régime privilégie une répression policière. Dans leur pétition, les quatre prisonniers d'Etat demandent un aménagement de leur peine sous forme de mutation dans des établissements estimés moins rigoureux : Le Temple ou Charenton.

Au début de la Restauration, à Bicêtre pour propos séditieux

Source : AD Val-de-Marne, 2 Y 1-1. Extrait du registre des détenus par mesure administrative de Bicêtre, f° 67

Le nouveau régime semble annoncer dès son installation le désir de mettre un terme aux prisons d'Etat. Le Journal des Débats du 19 novembre 1814 peut ainsi annoncer que "Les substituts du PG près la cour royale de Paris visitent en ce moment toutes les maisons de détention afin de connaître les motifs de l'arrestation de chaque individu; à Bicêtre on a reconnu un grand nombre de personnes qui ne paraissaient détenues qu'en vertu d'ordres arbitraires délivrés le plus souvent par des blancs-seings". Si la répression des opposants, particulièrement bonapartistes, emprunte la voie de la justice d'exception (les cours prévôtales), les cris et propos séditieux, lourdement incriminés, occupent nombre des séances des tribunaux correctionnels. Parfois, à Paris, le Préfet de police se dispense de l'envoi en justice et préfère l'incarcération par mesure administrative à Bicêtre. Charles François Sabatier incarcéré "jusqu'à nouvel ordre" le 22 août 1815 ne sortira de Bicêtre que le 18 janvier 1817.

Au début de la Restauration, Bicêtre pour les cochers insolents

Source : AD Val-de-Marne, 2 Y 1-1. Extrait du registre des détenus par mesure administrative de Bicêtre, f° 98

La police de circulation a la charge de réguler le trafic des voitures et surtout le comportement des cochers de fiacres et cabriolets, lesquels sont souvent en indélicatesse avec leurs employeurs comme avec les clients. Les contraventions relevées par les agents sont passibles, au tribunal de simple police, de peines d'amende et d'un emprisonnement de 5 jours au maximum, comme pour toutes les contraventions. La Préfecture estime alors que ce n'est pas assez et conduit à Bicêtre les cochers les plus "insolents" pour… un mois. Incarcéré le 21 mars 1816, François Auguste Ruc, cocher de cabriolet de Saint-Denis à Paris, est libéré le 19 avril suivant.

Au début de la Restauration, à Bicêtre pour jeux interdits

Source : AD Val-de-Marne, 2 Y 1-1. Extrait du registre des détenus par mesure administrative de Bicêtre, f° 83 verso

Comme au XVIIIe siècle, Bicêtre accueille à la fin de l'Empire et au début de la Restauration les teneurs de jeux sur place, de jeux prohibés. De 1813 à 1817, 278 joueurs font connaissance avec cette peine de "prison", alors que l'infraction relève de la simple police. Quinze jours est la règle. Le préfet de police renoue avec la pratique du lieutenant de police du XVIIIe siècle, comme il le fait également en incarcérant dans un cabanon isolé de Bicêtre, les "pédérastes"…

Voleur connu mais ni prévenu ni jugé : à Bicêtre

Source : AD Val-de-Marne, 2 Y 1-1. Extrait du registre des détenus par mesure administrative de Bicêtre, f° 119

Avec les joueurs impénitents, les voleurs constituent la principale cible des internements administratifs à Bicêtre à la fin des années 1810 et au début de la décennie suivante. Il s'agit de voleurs "notés", connus de la police mais que celle-ci ne peut ni prendre sur le fait, ni traduire devant les tribunaux faute de preuves. Comme la police de sûreté est formée en partie d'anciens forçats (Vidocq), la bonne connaissance du milieu permet de trouver aisément des "rôdeurs de nuit" et autres "mauvais sujet" qui vont séjourner souvent plusieurs mois à Bicêtre, véritable prison de la Préfecture de police.

Le dépôt des condamnés. Le ferrement des forçats

Source : Ferrement des forçats à Bicêtre, Marekl/Langlois, BIU Santé

Une des plaintes continuelles de l'économe ou du concierge de Bicêtre est la présence dans l'établissement de condamnés aux travaux forcés arrivant de la Conciergerie ou d'autres maisons de justice de province après leur condamnation. La prison vit au rythme des arrivées et des départs de forçats. Le ferrage des forçats est annonciateur d'effectifs allégés pour quelque temps et d'un peu plus de tranquillité pour l'administration de la prison. A cette occasion la prison s'ouvre aux invités venus jouir du spectacle des forgerons de la chiourme en train de sertir à froid un collier de fer au cou de chaque condamné au bagne.

Le dépôt des condamnés. Le ferrement des forçats

Source : Maurice Alhoy Les bagnes, histoire, types, moeurs, mystères, Paris, G. Havard, 1845, p. 154, Internet archive

Le dépôt des condamnés. Le ferrement des forçats

Le dépôt des condamnés. Le ferrement des forçats

Source : Albert Laurent, Les prisons du vieux Paris, 1893, p. 223, Gallica

Le dépôt des condamnés. Le ferrement des forçats

Le dépôt des condamnés. Le départ pour le bagne

Source : Départ des forçats pour le bagne, Paris, Maison parisienne Neurdein, BIU Santé

Dans la cour de la prison, les chaînes sont disposées prêtes à arrimer les forçats en partance. Depuis le milieu du XVIIe siècle, le passage de la chaîne attire tout au long du voyage les spectateurs jusqu'aux bagnes des ports (Brest, Rochefort, Lorient, Toulon). Il y est mis un terme en 1836, en même temps que Bicêtre perd sa fonction de prison.

Le dépôt des condamnés : en attendant l'exécution

Source : V. Hugo, Claude Gueux, Le dernier jour d'un condamné, Gallica

Dans le Dernier jour d'un condamné (1829) Victor Hugo évoque longuement les séjours du condamné à mort dans deux prisons : la Conciergerie en attente du jugement, et Bicêtre où les condamnés sont transférés avant l'exécution en place de Grève. Bicêtre fera également l'objet d'un chapitre pour les deux condamnés présents dans les Mystères de Paris d'Eugène Sue.

Le dépôt des condamnés : en attendant l'exécution

Source : V. Hugo, Claude Gueux, Le dernier jour d'un condamné, Gallica

Bicêtre, prison temporaire des surveillés de haute police

Source : Circulaire de la Préfecture de Police (signée Gisquet) du 15 août 1833, APP, DB 143

A partir des années 1820, si la prison reste un dépôt important de condamnés, la détention administrative tend à diminuer et à se concentrer sur une seule cible, celle des condamnés libérés et placés sous la surveillance de haute police. Le Code pénal de 1810 a durci les mesures  prises à leur égard depuis le Consulat. L'article 44 met à la disposition du gouvernement les libérés en leur interdisant certaines villes (Paris, Lyon) et en fixant le lieu de leur résidence. En cas de rupture de ban, l'article 45 donne le droit au gouvernement de faire arrêter et détenir le surveillé. En vertu de cet article, la Préfecture de police de Paris incarcère à Bicêtre ceux qui demandent (faute de pouvoir payer une caution qui les libérerait définitivement) une dérogation pour résider à Paris, pendant la durée d'instruction de leur dossier et tous ceux qui, éloignés de la capitale, y sont revenus. Rendant impossible la réinsertion des libérés, ce système est réformé dans un sens plus libéral par la loi du 28 avril 1832 qui met fin aux résidences obligées et aux détentions administratives. Plus d'un an après la loi, la circulaire du préfet de police donne les directives pour sa mise en application.

Bicêtre, une des principales prisons de la Seine

Source : Répartition des effectifs des détenus dans les prisons de la Seine au 1er janvier 1820

Bicêtre avait déjà, au 18e siècle et pendant la Révolution, l'un des effectifs les plus importants de prisonniers de la capitale. Cela reste vrai au seuil des années 1820, avec plus d'un prisonnier sur cinq (pour 840 détenus). La Force serait comparable, mais alors encore divisée entre Grande Force pour les hommes et Petite Force pour les femmes. La maison de répression de Saint-Denis, qui a des effectifs équivalents, est à mettre à part pour la population spécifique qu'elle accueille, aspirant à être une maison de travail pour les mendiants.

Des effectifs sur le déclin dès les années 1820

Source : Évolution des effectifs de Bicêtre (au 1er janvier et en nombre d'entrées annuelles) de 1817 à 1827

Les effectifs élevés des années 1810 tendent à s'amenuiser dans la décennie suivante, alors que dans le même temps la rotation des effectifs est de plus en rapide comme en témoigne la progression du nombre des entrées. C'est le signe que la détention administrative - visant les surveillés de la haute police - tend à prendre, relativement, de plus en plus d'importance. L'évolution est appelée à se maintenir au début des années 1830 avec la réforme de la surveillance et le transfert des détenus dans les nouvelles centrales (Melun) ou prisons pour condamnés correctionnels (Poissy). Ainsi en 1832, Bicêtre (avec 434 détenus) est désormais dépassée par La Force (778 détenus), Saint-Lazare (1035) et Saint-Denis (488).

La fin de la prison (décembre 1836)

Source : Gazette des tribunaux, Lundi 26 et mardi 27 décembre 1836, n° 3521, p. 196, ENAP Médiathèque Gabriel Tarde

La prison fermée, en même temps que la chaîne est supprimée, un terme est mis à la dualité tant controversée de Bicêtre. Le temps de la réunion en un même asile du crime et de l'indigence est terminé. En brumaire an III, on dénonçait au Comité de sûreté générale la fermeture de toutes les issues de la maison lorsque la chaîne était sur le point de partir : "la demeure des respectables indigents est comme transformée en un repaire de brigands" (AN, F/7, 3299/5, rapport du 9 brumaire an 3). Mais longtemps après 1836, le stigmate restera, d'autant plus aisément que l'association pauvreté et crime est un des ressorts majeurs des représentations de la criminalité associant classes dangereuses et classes laborieuses. Bicêtre y ajoutait aussi l'arbitraire, la Préfecture de police en faisant sa prison administrative, renouant avec les pratiques de la lieutenance de police de l'ancien régime. Bicêtre, jusqu'à sa fermeture, gardait l'empreinte de l'hôpital général.