Lettre de Joseph Peyré à ses parents, 1931
Source : Réseau des médiathèques de la Communauté d'agglomérations Pau-Pyrénées - Bibliothèque Patrimoniale
Partout... Pour tous ! Détective!
« Soyez certain que je reste fidèle à moi-même, et qu’il ne me plaît pas de faire de l’épicerie par nécessité. […] Ce qui vous paraît de l’extérieur une dispersion n’est qu’une nécessité commerciale et de trésorerie, au bénéfice de ce qui compte. »
Gaston Gallimard, lettre à Paul Claudel, 28 janvier 1946
L’initiative
Joseph Kessel au soir de sa vie brode allègrement sur l’épisode de fondation : « Un jour, j’ai reçu la visite d’un homme qui s’appelait Ashelbé et qui dirigeait une petite agence de détective privé. […] il m’a apporté une feuille qui s’appelait Détective, qu’il dirigeait, et dans laquelle il publiait un certain nombre d’histoires tirées de ses expériences personnelles […] Or comme j’adorais les romans policiers, et qu’il n’y avait aucune concurrence dans ce domaine à l’époque (la Série noire n’existait pas), j’ai pensé qu’un hebdomadaire axé sur ce sujet pourrait avoir un succès considérable. J’allais immédiatement proposer l’idée à Gaston Gallimard qui l’a approuvée et qui deux jours plus tard a acheté Détective à Ashelbé. »
Lettre de Joseph Peyré à ses parents, 1931
Source : Réseau des médiathèques de la Communauté d'agglomérations Pau-Pyrénées - Bibliothèque Patrimoniale
Or les archives révèlent que l’initiative n’est pas venue de l’écrivain mais bien de son ami Gaston Gallimard, le plus légitime des éditeurs. Ce dernier a compris qu’il lui fallait compenser l’édition de livres exigeants soutenus par la prestigieuse Nouvelle Revue française par une politique éditoriale plus commerciale. Il a aussi constaté que les nouveaux hebdomadaires comme Candide créé en 1924 s’attachaient les meilleurs écrivains en leur offrant de mirobolants cachets pour des nouvelles ou des feuilletons. Une nouvelle rubrique de faits divers développée par André Gide à partir de 1926 dans la Nouvelle Revue française lui donne l’idée d’un journal à grand tirage sur le crime et les faits divers. Il prend alors lui-même contact avec le privé Ashelbé, alias Henri La Barthe (HLB sont ses initiales), dans l’idée de lui racheter sa feuille professionnelle restée jusque-là confidentielle.
Lettre de Joseph Peyré à ses parents, 1931
Source : Réseau des médiathèques de la Communauté d'agglomérations Pau-Pyrénées - Bibliothèque Patrimoniale
Mais le détective HLB, spécialiste des empreintes digitales, a aussi des aspirations à l’écriture – il effectuera au début des années trente une spectaculaire reconversion comme romancier (Pépé le Moko, 1931 ; Dédée d’Anvers, 1937) et scénariste. Plutôt que de vendre simplement son titre au prestigieux éditeur, il négocie aussi le droit d’insérer des publicités et même des articles dans l’hebdomadaire.
Coupe file de presse au nom de Joseph Peyré, 1931
Source : Réseau des médiathèques de la Communauté d'agglomérations Pau-Pyrénées - Bibliothèque Patrimoniale
« Jef » Kessel participe finalement moins au lancement de Détective qu’il ne croit s’en souvenir. Fort de ses relations avec la pègre comme avec l’avocat d’assises Henri Torrès, l’écrivain et reporter donnera quand même de grandes séries inédites comme Nuits de Montmartre. Mais c’est surtout son frère, Georges Kessel, également proche de Gaston Gallimard – il a été son secrétaire particulier –, qui tiendra un rôle important en dirigeant le magazine pendant plus de vingt-quatre mois.
Coupe file de presse au nom de Joseph Peyré, 1931
Source : Réseau des médiathèques de la Communauté d'agglomérations Pau-Pyrénées - Bibliothèque Patrimoniale
Un lancement préparé chez Gallimard
Pour cette opération, Gallimard s’associe pour la première fois avec le diffuseur Hachette qui lui garantit l’accès aux kiosques de gare et qui parie d’emblée sur un tirage d’au moins 100 000 exemplaires.
Mais Gallimard ne souhaite pas apparaître comme le promoteur principal. Il crée donc Zed éditions, une société par actions, filiale de la société Gallimard, dotée d’un capital de 700 000 francs. Parmi les principaux actionnaires on retrouve Gaston Gallimard et son frère Raymond ainsi que des proches, le détective Ashelbé, Georges Kessel, et l’imprimeur Lang. Gaston Gallimard garde sur la rédaction une emprise solide, sinon parfois dictatoriale, comme en témoigne la correspondance avec les deux directeurs Georges Kessel puis Marius Larique.
Annoncé dans beaucoup de quotidiens, le premier numéro de seize pages sort le 1er novembre 1928 à un prix exceptionnel de 75 centimes. L’illustration de couverture qui montre une rue envahie par la foule prise en plongée est éclairée par le titre « Chicago, Capitale du crime ». L’éditorial « Partout, pour tous » promet de « poursuivre la trace du criminel, de suivre la piste du policier ». Détective annonce aussi les plus belles photographies reproduites en héliogravure.
Carte de visite de Georges Kessel, vers 1930
Source : Réseau des médiathèques de la Communauté d'agglomérations Pau-Pyrénées - Bibliothèque Patrimoniale
Une opération juteuse
Tiré à 250 000 exemplaires six semaines après son lancement le 25 octobre 1928, revendiquant 500 000 lecteurs après six mois, Détective permet à ZED de dégager dès son deuxième exercice un bénéfice de plus de quatre millions de francs. Ce succès entraîne la création de deux autres journaux Gallimard : Voilà, l’hebdomadaire du reportage créé le 28 mars 1931 et Marianne, le grand hebdomadaire littéraire de gauche qui sera confié à Emmanuel Berl et qui paraît le 26 octobre 1931. À six reprises les publications ZED accordent des prêts très avantageux à Gallimard en 1930 et 1931 et l’on peut dire que Détective a permis à la librairie de traverser la crise des années trente sans trop de dommages, malgré le dédain affiché du grand patron. Marius Larique, mi-figue mi-raisin, lui écrira vers 1932 : « J’ai bien compris que Marianne était votre enfant chéri mais je pense qu’il faudrait convenir que si Détective est un enfant disgracié, ni beau dans sa tournure, ni brillant dans le « monde », c’est un soutien de famille, tout de même, rude et bon travailleur, sans caprices, sans frénésie érotique et qui ramène de bonnes semaines à la maison ».
Gaston Leroux, Les étranges noces de Rouletabille (Pierre Lafitte, 1918)
Source : Gallica
L’imaginaire du détective
Détective souhaite mobiliser l’imaginaire historique glorieux du détective comme le montrent les allusions récurrentes à Sherlock Holmes, au Dupin d’Edgar Poe, à l’inspecteur Lecoq de Gaboriau ou encore à de vrais détectives anglo-saxons comme Ashton-Wolfe ou Allan Pinkerton – les quatre derniers servent même à créer des pseudonymes pendant une dizaine d’années. Mais le métier de détective en France n’a pas très bonne presse dans l’entre-deux-guerres et la profession reste en grande partie cantonnée à la « brigade des cocus ». C’est pourquoi sans doute Détective abandonne ce symbole pour celui du « reporter-détective » à la Rouletabille, voire du reporter tout court.
Almanach Détective, 1930
Source : Bilipo
LES OBJETS DÉTECTIVE
Parmi les objets dérivés du magazine, on trouve l’almanach. Issu d’une longue tradition populaire, la publication d’un almanach en janvier permet à Détective de répertorier les affaires notables et les grands procès de l’année. Des articles de fonds sont aussi proposés aux lecteurs, mais c’est avant tout une démarche commerciale, abandonnée au bout de deux années.