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15 avril 1954. Loi sur le traitement des alcooliques dangereux pour autrui

Titre Ier. - Prophylaxie et cure.

Art. 1er. - Tout alcoolique dangereux pour autrui est placé sous la surveillance de l'autorité sanitaire.

Art. 2. - Tout alcoolique présumé dangereux doit être signalé à l'autorité sanitaire par les autorités judiciaires ou administratives compétentes dans les deux cas suivants :
Lorsque à l'occasion de poursuites judiciaires, il résultera de l'instruction ou des débats des présomptions graves, précises et concordantes permettant de considérer la personne poursuivie comme atteinte d'intoxication alcoolique ;
Sur le certificat d'un médecin des dispensaires, des organismes d'hygiène sociale, des hôpitaux, des établissements psychiatriques.
L'autorité sanitaire peut également se saisir d'office à la suite du rapport d'une assistante sociale lorsque celle-ci se sera rendu compte du danger qu'un alcoolique fait courir à autrui.

Art. 3. - L'autorité sanitaire, saisie du cas d'un alcoolique signalé comme dangereux, fait procéder à une enquête complémentaire sur la vie familiale, professionnelle et sociale et simultanément à un examen médical complet de l'intéressé. Chaque fois que le maintien en liberté de l'alcoolique paraît possible, l'autorité sanitaire essaie par la persuasion de l'amener à s'amender. A cet effet, l'intéressé est placé sous la surveillance des dispensaires d'hygiène sociale ou des formations sanitaires diverses relevant d'organismes publics ou privés, secondés par les sociétés antialcooliques reconnues d'utilité publique.

Art. 4. - Quand le maintien en liberté ne paraît pas possible ou en cas d'échec de la tentative de persuasion prévue à l'article 3 et sur requête d'une commission médicale, l'alcoolique estimé dangereux par elle peut être cité par le procureur de la République devant le tribunal civil siégeant en chambre de conseil.
Le tribunal, s'il reconnaît que l'alcoolique est dangereux, peut ordonner son placement dans l'un des établissements visés à l'article 5. Dans le mois de la signification de cette décision, appel pourra être interjeté devant la cour d'appel statuant en chambre du conseil. L'appel n'est pas suspensif.

Art. 5. - Dans un délai de six mois à compter de la publication du règlement d'administration publique prévu à l'article 13, des centres de rééducation pour alcooliques devront être constitués auprès de hôpitaux existants. Dans tous les cas, ils seront dotés d'un régime particulier et adaptés à leur mission de rééducation.
Dans un délai de deux ans à compter de ladite promulgation, il sera créé des "centres de rééducation spécialisés" ayant pour but :
La désintoxication des alcooliques et leur rééducation ;
L'isolement de ceux d'entre eux qui constituent un danger pour eux-mêmes ou pour autrui ;
Un règlement d'administration publique déterminera les cas dans lesquels les départements seront tenus, avec l'aide de l'État, de prendre les mesures nécessaires pour permettre le placement des alcooliques dangereux dans l'un des établissements visés au présent article, soit en procédant eux-mêmes, dans un établissement départemental, aux constructions et aménagements nécessaires, soit en créant, à cet effet, un établissement départemental, soit en traitant avec un établissement public ou privé.

Art. 6. - Lorsqu'un alcoolique reconnu dangereux est en même temps atteint de troubles mentaux susceptibles de motiver son placement dans un hôpital psychiatrique, il lui est fait application des dispositions de la loi du 30 juin 1838. Toutefois, dès que le passage de l'internement volontaire ou d'office prévu par ladite loi au placement dans un centre de rééducation pour alcooliques est jugé possible par le médecin chef du service, l'autorité sanitaire est saisie et soumet le cas à l'avis de la commission médicale. Il est, ensuite, procédé conformément aux dispositions de l'article 4.
Lorsque l'alcoolique reconnu dangereux se trouve être détenu pour une raison quelconque, le placement dans un centre de rééducation spécialisé a lieu à l'expiration de la détention.

Art. 7. - Le placement est ordonné pour six mois. Il peut, dans les conditions prévues à l'article 4, être prolongé pour de nouvelles périodes inférieures ou égales à six mois. Il prend fin dès que la guérison paraît obtenue.
Pendant la durée du placement, des sorties d'essai pourront être autorisés par le médecin chef du centre de rééducation.
L'alcoolique peut toujours demander à la commission médicale du lieu de placement à comparaître à nouveau devant le tribunal en vue de mettre fin au placement.
La commission doit, dans la quinzaine de la réception de la demande, transmettre avec son avis motivé au procureur de la République qui saisit immédiatement le tribunal dans le ressort duquel se trouve le centre de rééducation spécialisé, dans les conditions prévues à l'article 4.
A sa sortie de l'établissement de cure, l'intéressé demeurera, pendant un an, sous la surveillance d'un dispensaire d'hygiène mentale ou, à défaut, d'hygiène sociale.

Art. 8 . - Le malade qui se soustrait à l'examen médical visé à l'article 3 est passible d'une amende de 200 à 1.000 F ; en cas de récidive il pourra être condamné à huit jours d'emprisonnement au plus.
Le malade qui quitte sans autorisation l'établissement où il a été placé par le tribunal est passible de 200 à 1.000 F d'amende et de huit jours d'emprisonnement au plus ou de l'une de ces deux peines seulement.

Art. 9. - Les frais de placement sont couverts dans les mêmes conditions que pour les cas d'hospitalisation. Sont notamment applicable les lois sur la sécurité sociale et les lois sur l'assistance. Dans ce dernier cas, les dépenses résultant de l'application des présentes dispositions sont inscrites au budget départemental et sont réparties entre l'État, les départements et les communes dans les conditions fixées par le décret du 30 octobre 1935 sur l'unification et la simplification des barèmes en vigueur pour l'application des lois d'assistance.

Art. 10. - Les dispositions des articles 31 à 40 de la loi du 30 juin 1838 sont applicables aux personnes placées dans un des centres de rééducation spécialisés créés par l'article 5 de la présente loi.
Le tribunal, statuant en chambre du conseil, pourra également autoriser la femme à résider séparément, conformément à l'article 215 du code civil, fixer la contribution des époux aux charges du ménage et ordonner la saisie-arrêt d'une part du salaire, du produit du travail ou des revenus du conjoint défaillant, le jugement étant exécutoire par provision nonobstant opposition ou appel. Il pourra se prononcer sur le placement des enfants, le retrait du droit de garde et sur l'application de l'article 9 (§ 3) de la loi n° 46-1835 du 22 août 1946 organisant la tutelle des allocations familiales, ainsi que sur toutes les questions que pourraient poser les mesures de placement ou de retrait du droit de garde ou de surveillance qu'il a ordonnées.

Titre II. - Mesures de défense.

Art. 11. - Les officiers ou agents de la police administrative ou judiciaire doivent, lors de la constatation d'un crime, d'un délit ou d'un accident de la circulation, faire procéder, sur la personne de l'auteur présumé, aux vérifications médicales, cliniques et biologiques, destinées à établir la preuve de la présence d'alcool dans son organisme, lorsqu'il semble que le crime, le délit ou l'accident a été commis ou causé sous l'empire d'un état alcoolique. Dans le cas d'un accident matériel, il ne sera procédé à cet examen que si le ou les auteurs présumés semblent en état d'ivresse. Dans tous les cas où il peut être utile, cet examen est également effectué sur la victime.

Art. 12. - Lorsque le fait qui a motivé des poursuites en matière pénale peut être attribué, après avis de la commission médicale, à un état alcoolique chronique, la juridiction répressive saisie de la poursuite pourra interdire, à titre temporaire, à l'individu condamné, l'exercice des emplois des services publics ou concédés où la sécurité est directement en cause, ainsi que la délivrance du permis de chasse. En cas de récidive, l'interdiction pourra être prononcée à titre définitif.
Toute infraction aux interdictions prévues à l'alinéa précédent sera punie d'une amende de 12.000 à 50.000 F. En cas de récidive, l'amende pourra être portée au double, et une peine de prison de six mois à un an pourra être prononcée.

Art. 13. - Un décret pris en la forme d'un règlement d'administration publique déterminera :
Les modalités de l'examen médical de l'alcoolique présumé dangereux prévu à l'article 3 ;
La composition et l'organisation des commissions médicales prévues à l'article 4 ;
Les mesures qui devront être prises pour faciliter la pratique des examens prévus à l'article 11 pour établir les diagnostics concernant l'alcoolisme ;
Les conditions d'établissement et de fonctionnement des centres et sections de rééducation spécialisés prévus à l'article 5.

Art. 14. - Un règlement d'administration publique, pris après avis du Conseil économique, pour l'application des répercussions et conséquences de la présente loi sur les lois d'assistance et de solidarité sociale, déterminera les obligations auxquelles seront soumis les alcooliques reconnus dangereux qui bénéficient de ces lois, ainsi que les sanctions encourues en cas d'inexécution de ces obligations.

Art. 15. - Les conditions d'application des autres dispositions de la présente loi seront déterminées par un règlement d'administration publique.

Art. 16. - La présente loi est applicable dans les départements et territoires d'outre-mer, au Cameroun et au Togo. Un règlement d'administration publique y déterminera les modalités d'application et les adaptations nécessaires de la présente loi, notamment les articles 5 et 9. Les règlements d'administration publique prévus aux articles 13, 14 et 15 ne seront pas applicables dans ces territoires.

La présente loi sera exécutée comme loi de l'État.