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4. Béatrice Koeppel : La fin des normes idéologiques dans l’éducation des filles (1993)

4. Béatrice Koeppel : La fin des normes idéologiques dans l’éducation des filles
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Béatrice Koeppel : La fin des normes idéologiques dans l’éducation des filles
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AH-PJM

Journées d'études « En 1968 à Bourges, du Bon Pasteur au complexe éducatif » (21 et 22 octobre 1993)

Alors psychologue chercheur au centre de recherche interdisciplinaire de Vaucresson (CRIV), l’auteure rappelle que les institutions, telles que l’IPES de Bourges, ne se créent pas par hasard. L’histoire des idées éclaire le contexte dans lequel peut surgir une innovation. Ainsi elle distingue trois périodes marquantes dans l’histoire de la rééducation des filles, avec trois idéaux différents, générant trois types d’établissements :

- 1 : 1850-1895 : le tout répressif,

- 2 : 1895-1947/50 : le tout correctionnel,

- 3 : 1950-1968/70 : phase de transition avec la modernité.

1 : La deuxième moitié du XIXe siècle est une période de coercition et d’exclusion pour les mineures placées par décision d’un tribunal, de l’Assistance publique ou par correction paternelle.

Dans le secteur privé, c’est l’âge d’or des congrégations féminines. Celle de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur, avec celle du Refuge dont elle est issue, détient la quasi-totalité des établissements pour « filles perdues », enfermées dans la clôture avec les religieuses. On considère que, même si ces filles sont inscrites dans une histoire génétique de « dégénérées », on peut espérer les « sauver » par la religion.

Dans le secteur public, l’enfermement des femmes et des filles est aussi de rigueur, avec la grande prison pour femmes dites criminelles ou prostituées de Saint-Lazare, à Paris. Majeures et mineures vivent dans la promiscuité. Les filles atteintes de la syphilis sont reléguées dans « l’Infirmerie » de Saint-Lazare, véritable laboratoire où les hygiénistes les prennent comme objets d’étude, sous le prétexte d’enrayer le fléau syphilitique.

Les théories régnantes sur le déterminisme biologique et la dégénérescence n’incitent pas l’État à faire de grandes dépenses pour ces enfants filles puisque, selon les criminologues, aucune amélioration n’est possible. Il faut au contraire les mettre à l’écart par peur de la contamination et de la « dégénération de la race ». Cependant, des philanthropes commencent à s’émouvoir et, en 1870 est fondée l’œuvre des Libérées de Saint-Lazare. Une commission d’enquête parlementaire produit un rapport critique (1872) concernant les enfants mineurs détenus. La cellule solitaire, l’imposition du silence, le froid intense, la maladie et la mortalité y sont dénoncés ; on considère que les établissements congréganistes sont encore les mieux adaptés pour les filles.

2 : À la fin du XIXe siècle, l’État a tenté de créer ses propres établissements pour filles. La majorité d’entre elles reste cependant dans les Bons Pasteurs qui maintiennent leur monopole, malgré les critiques des parlementaires, notamment sur le travail intensif des enfants détenus, et les lois anti-congréganistes qui en découlent (début du 20e siècle). Plusieurs créations par l’Etat de nouveaux établissements pour filles - écoles de préservation, maisons de correction, maisons d’Éducation surveillée -, sont lancées sans grand succès. Trois durent quelque temps toutefois : Doullens (Somme), Clermont de l’Oise (Oise), Cadillac (Gironde), qui sont installées dans d’anciennes maisons centrales pour femmes. Selon les théories médicales en cours, on considère qu’il faut une éducation sévère pour les filles, car si on les corrige on aura des chances d’en faire quelque chose. L’enfermement y est plus que jamais de rigueur et la rupture avec les familles, jugées nocives a priori, est la règle. Les filles sont gardées par des surveillantes pénitentiaires. Il s’agit d’une éducation corrective, au mérite, avec système progressif, où les punitions sont beaucoup plus nombreuses que les récompenses, l’amendement étant jugé selon l’obéissance à la punition. Les années 1930 sont pourtant celles de campagnes de presse contre les « bagnes d’enfants », campagnes où les filles font figure de parentes pauvres.

3 : Le symbole de la période de transition avec la modernité est l’ipes de Brécourt (Seine et Oise), créé par la directrice Dominique Riehl, qui part de Cadillac en 1947 pour la région parisienne avec les plus « méritantes » de l’ipes girondin. Ce nouvel établissement pour filles se veut la vitrine de l’Éducation surveillée, service du ministère de la Justice dont la création date de 1945. Les « inéducables », « inamendables », les plus « perverses » ou les plus « vicieuses », sont laissées à l’IPES de Cadillac, fermé d’autorité en 1951 après deux suicides de jeunes filles placées (dont Marguerite B., voir la bibliographie). Dans l’Après-guerre aussi, les Bons Pasteurs connaissent une période d’entrouverture sous l’impulsion d’une supérieure générale qui introduit des notions de loisirs pour les filles par le biais du scoutisme féminin, la création de centres d’observation, de homes de semi liberté, comme ceux créés dans les établissements publics.

Les filles placées sont considérées désormais comme rééducables à condition de les éloigner de leurs familles « mauvaises » et de leur présenter un modèle d’identification de « bonne mère » en la personne de l’éducatrice. On fait venir des institutrices et on crée de la formation professionnelle « féminine ». Pourtant les gros internats font l’objet de critiques et, vingt ans après sa fondation, l’ipes de Brécourt est dénoncé à son tour comme lieu de répression, d’enfermement, au grand dam de l’Éducation surveillée qui pensait avoir enfin trouvé son modèle pour les filles. L’ipes de Bourges qui fut ouvert dans ce contexte par Renée Prétot, directrice novatrice, opposée avant tout à l’enfermement, n’aurait pas pu exister sans toute cette lente progression préalable, faite d’oscillations constantes entre mouvements de pesanteur et mouvements novateurs.

Gisèle Fiche et Claire Dumas

Pour en savoir plus, voir la présentation de la journée d'étude et de ses 9 séquences vidéos.

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Éducation surveillée Bon Pasteur