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8. Comment s’y prendre avec les filles ? L’invention d’une pédagogie individualisée (témoignages) (1993)

8. Comment s’y prendre avec les filles ? L’invention d’une pédagogie individualisée (témoignages)
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Comment s’y prendre avec les filles ? L’invention d’une pédagogie individualisée (témoignages)
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AH-PJM

Journées d'études « En 1968 à Bourges, du Bon Pasteur au complexe éducatif » (21 et 22 octobre 1993)

Ce film présente un entrecroisement de témoignages des rencontres entre les jeunes filles de l’ipes et certaines éducatrices ainsi que quelques éducateurs. Une grande place est donnée au témoin Jean-Charles Fabre, éducateur chargé de sport, recruté délibérément en tant qu’homme dans un milieu féminin, par la directrice Renée Prévaud. L’éducation physique, dite aussi « corporelle », dispensée par un éducateur, était un des atouts avancés par elle pour que les adolescentes retrouvent un rapport apaisé à leurs corps, ce qui apparaissait plutôt audacieux dans le contexte de l’époque.

Madeleine Souchet, sous-directrice, évoque avec enthousiasme le premier camps de vacances réalisé, dès l’ouverture en août 1968, avec une douzaine d’élèves restées après le départ des religieuses.

Jean-Charles Fabre, éducateur chargé d’éducation physique et sportive, se souvient que pour se faire respecter, il fallait se faire aimer des élèves, et donc « trouver autre chose que les rapports de force ». Il avait « carte blanche » de la directrice pour prendre des initiatives, ce qui l’a conduit à la création d’une association pouvant facturer certaines dépenses sportives et dépasser ainsi quelques tensions avec l’économe.

Pierre Pegeon, chef de service éducatif, évoque la liberté laissée aux élèves quant à la formation qu’elles souhaitaient entreprendre. Avec le « pourquoi pas ? » de la direction, on privilégiait tout ce qui pouvait contribuer à sortir les filles des stéréotypes d’une éducation sclérosante, dont les métiers traditionnellement féminins (couture, ménage, puériculture, cuisine, etc.).

Des personnels éducatifs se souviennent. Ainsi, Gisèle Fiche décrit les relations entre elle, jeune éducatrice en formation, et les élèves qui connaissaient parfaitement tous les recoins de l’internat mais ne savaient pas traverser une rue sans se mettre en danger ni effectuer seules le moindre achat ! Elle tentait de leur apprendre comment se comporter en ville – le thème du « dedans et du dehors » étant particulièrement travaillé par l’équipe éducative –. La diversité des statuts professionnels est présentée comme un avantage par Monique Cassonnet, maîtresse d’atelier de confection. Marina Le Gall, éducatrice titulaire, se souvient des nombreuses sorties organisées pour les filles, en exploitant toutes les possibilités d’ouverture sur l’extérieur. De façon paradoxale, certaines élèves continuaient à se plaindre encore de l’enfermement (consulter le témoignage de Marie-Claire)… Christiane Clermont rappelle l’atout très novateur de la présence dans l’établissement, en 1970, d’une antenne du Planning familial. Elle témoigne enfin de la remise en cause que chaque éducatrice avait à faire pour elle-même quant à ses propres références d’éducation personnelle.

Un débat s’installe ensuite entre Joseph Villier, psychologue mandaté par le centre de recherche de Vaucresson et Renée Prétot, sur les pathologies que présentaient les adolescentes et la spécificité des manifestations de leurs souffrances (les filles créant de la division sans qu’on en prenne toujours conscience). Dans les réunions d’étude d’évolution, on insistait sur la vie fantasmatique des filles : dans ce qu’elles racontaient il fallait savoir faire la part du vrai et de leurs fantasmes.

Enfin Madeleine Bailly et Nicole Pegeon, toutes deux éducatrices chargées de l’accueil des filles, échangent autour des modalités évolutives de cette structure, mise en place pour favoriser l’écoute individualisée à l’arrivée de chaque mineure afin de faciliter la construction de l’action éducative à mener ensuite.

 

Publications

Articles et rapports :

- Portail Enfants en Justice, rubriques « Rééducation des filles » et « Bon Pasteur de Bourges » dans Congrégations religieuses + bibliographie. http://enfantsenjustice.fr/?Bon-Pasteur-de-Bourges

- Renée Prévaud, « Évolution des internats d’observation et de rééducation », Rééducation, n° 41, 1952, p. 11 et p. 20. (disponible à l’ENPJJ)

- Dominique Riehl, « Réponse de Mademoiselle Riehl à l’évolution des internats d’observation et de rééducation », Rééducation, n° 41, 1952,  p. 20-24. (disponible à l’ENPJJ)

- Andrée Algan et Monique Néry, « L’image de soi chez l’adolescente délinquante - étude bibliographique », Annales de Vaucresson, 1968, p. 141-197. (disponible à l’ENPJJ)

- Andrée Algan, M. Néry, Pierre Segond, Rapport des journées d’études portant sur la rééducation des adolescentes inadaptées, Vaucresson, 6 et 7 mai 1971, Bibliothèque CFRES Vaucresson, juin 1971, n° 20.713.

- Jacques Bourquin, Mémoire de 1969 sur 55 mineures incarcérées au quartier des mineures de la prison de Fresnes : https://enfantsenjustice.fr/IMG/pdf/reeducation-2.pdf

- Claire Dumas, "L'enfermement vu de l'intérieur (XXe siècle)", Criminocorpus, "Mauvaises filles", Déviantes et délinquantes XIXe-XXe siècles, mis en ligne le 27 mars 2018.

- Lucien Prétot, Projet d’établissement de filles à Nantes, rapport d’inspection, 27 février 1970, compte-rendu de Mesdames Beaulu, Pavone, Prévaud. (Consulter le document).

- Renée Prétot, « Réponses possibles aux besoins des adolescentes : formules d’accueil, méthodes d’intervention, structures de vie », Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, n°31, mars-septembre 1976, p. 409-414.

- Anne Thomazeau, « Entre éducation et enfermement : le rôle de l’éducatrice en internat de rééducation pour filles, de la Libération au début des années 60 », RHEI, n° 7, Vaucresson, CNFE-PJJ, 2005, p. 147-173.

- Marie-Odile Supligeau, « À propos de l’ouvrage Filles de Justice, lecture d’une praticienne », VST, n° 106, « Que faire avec les filles ? », 2010, p. 20-28.

- Gisèle Fiche et Claire Dumas, « Passer la main. La laïcisation de trois établissements congréganistes (les Bon Pasteurs de Bourges et de Saint-Omer, le Refuge de Versailles) », VST,  n° 106, « Que faire avec les filles ? », 2010, p. 38-48.

- Leïla Djitli, Mémoire de mauvaises graines, quand les anciennes pensionnaires du Bon Pasteur de Bourges se souviennent, émission France culture « sur les docks », 2 mai 2013.

- Lettre manuscrite de Marie-Claire, ancienne élève de l’IPES, écrite en 1993 pour les journées d’études d’octobre : http://enfantsenjustice.fr/IMG/pdf/lettre-4.pdf

Livres :

- Sophie Mendelsohn, Vagabondes, les écoles de préservation pour les jeunes filles de Cadillac, Doullens et Clermont, Paris, Édition L’Arachnéen, 2015.

- Véronique Blanchard, David Niget, Mauvaises filles, incorrigibles et rebelles, Paris, Éditions Textuel, 2016.

- Véronique Blanchard, Mathias Gardet, Mauvaise graine, deux siècles d’histoire de la justice des enfants, Paris, Éditions Textuel, 2017.

Postface

Ces échanges entre les témoins du tournant de 1968, à Bourges, peuvent être utilement complétés par la lecture des divers documents mentionnés. Une partie de ceux-ci évoquent l'époque où les administrateurs de l'Éducation surveillée étaient en panne pour prendre en charge les filles et font entrevoir combien l'expérience de Bourges était observée par l'administration en recherche de solutions pour les mineures de Justice.L'équipe pédagogique de Bourges a réfuté l'opinion qu'il fallait des établissements encore plus spécialisés pour les adolescentes les plus difficiles, dites aussi “incasables”. L'ipes se devait de les accueillir toutes, y compris ces soi-disant “incasables” pour lesquelles les anciens dispositifs de relégation et coercition avaient échoué, ne faisant qu'enkyster leur mal-être et leurs manifestations de rébellion.

 

Claire Dumas et Gisèle Fiche

 

Pour en savoir plus, voir la présentation de la journée d'étude et de ses 9 séquences vidéos.

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Éducation surveillée Bourges (Cher, France) congrégations religieuses Bon Pasteur institutions publiques d'Éducation surveillée (IPES)