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Loi du 24 juillet 1889

Loi sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés

TITRE PREMIER

Chapitre premier. — De la déchéance de la puissance paternelle.

Article premier. - Les père et mère et ascendants sont déchus de plein droit, à l'égard de tous leurs enfants et descendants, de 1a puissance paternelle, ensemble de tous les droits qui s’y rattachent, notamment ceux énoncés aux articles 108, 141, 148, 150, 151, 346, 361, 372 à 387, 389, 390, 391, 397, 477 et 935 du code civil, à l’art. 3 du décret du 22 février 1851 et à l’art. 46 de la loi du 27 juillet 1872 :
1° S’ils sont condamnés par application du paragraphe 2 de l’art 334 du code pénal;
2° S’ils sont condamnés soit comme auteurs, co-auteurs ou complices d’un crime commis sur la personne d’un ou plusieurs de leurs enfants, soit comme co-auteurs ou complices d’un crime commis par un ou plusieurs de leurs enfants;
3° S’ils sont condamnés deux fois comme auteurs, co-auteurs ou complices d’un délit commis sur la personne d’un ou plusieurs de leurs enfants;
4° S’ils sont condamnés deux fois pour excitation habituelle de mineurs à la débauche.
Cette déchéance laisse subsister entre les ascendants déchus et l’enfant les obligations énoncées aux articles 205, 206 et 207 du code civil.

Art. 2. — Peuvent être déclarés déchus des mêmes droits :
1° Les père et mère condamnés aux travaux forcés à perpétuité ou à temps, ou à la réclusion comme auteurs, co-auteurs ou complices d’un crime autre que ceux prévus par les articles 86 à 101 du code pénal;
2° Les père et mère condamnés deux fois pour un des faits suivants : séquestration, suppression, exposition ou abandon d’enfants, ou pour vagabondage;
3° Les père et mère condamnés par application de l’article 2, paragraphe 2, de la loi du 23 janvier 1873, ou des articles 1,2 et 3 de la loi du 7 décembre 1874;
4° Les père et mère condamnés une première fois pour excitation habituelle de mineurs à la débauche;
5° Les père et mère dont les enfants ont été conduits dans une maison de correction, par application de l’article 66 du code pénal ;
6° En dehors de toute condamnation, les père et mère qui, par leur ivrognerie habituelle, leur inconduite notoire et scandaleuse ou par de mauvais traitements compromettent soit la santé, soit la sécurité, soit la moralité de leurs enfants.

Art. 3. — L’action en déchéance est intentée devant la chambre du Conseil du tribunal du domicile ou de la résidence du père ou de la mère, par un ou plusieurs parents du mineur au degré de cousin germain ou à un degré plus rapproché, ou par le ministère public.

Art 4. — Le procureur de la République fait procéder à une enquête sommaire sur la situation de la famille du mineur et sur la moralité de ses parents connus, qui sont mis en demeure de présenter au tribunal les observations et oppositions qu’ils jugeront convenables.
Le ministère public ou la partie intéressée introduit l’action en déchéance par un mémoire présenté au président du tribunal, énonçant les faits et accompagné des pièces justificatives. Ce mémoire est notifié aux père et mère ou ascendants dont la déchéance est demandée.
Le président du tribunal commet un juge pour faire le rapport à jour indiqué.
Il est procédé dans les formes prescrites par les articles 892 et 893 du code de procédure civile. Toutefois, la convocation du conseil de famille reste facultative pour le tribunal.
La chambre du Conseil procède à l’examen de l’affaire sur le vu de la délibération du conseil de famille lorsqu’il a été convoqué, de l’avis du juge de paix du canton, après avoir appelé, s’il y a lieu, les parents ou autres personnes et entendu le ministère public dans ses réquisitions.
Le jugement est prononcé en audience publique. Il peut être déclaré exécutoire nonobstant opposition ou appel.

Art. 5. — Pendant l’instance en déchéance, la Chambre du Conseil peut ordonner, relativement à la garde et à l'éducation des enfants, telles mesures provisoires qu’elle juge utiles. Les jugements sur cet objet sont exécutoires par provision.

Art. 6. — Les jugements par défaut prononçant la déchéance de la puissance paternelle peuvent être attaqués par la voie de l’opposition dans le délai de huit jours à partir de la notification à la personne et dans le délai d’un an à partir de la notification à domicile. Si, sur l’opposition, il intervient un second jugement par défaut, ce jugement ne peut être attaqué que par la voie de l’appel.

Art. 7. — L’appel des jugements appartient aux parties et au ministère public. Il doit être interjeté dans le délai de dix jours, à compter du jugement s’il est contradictoire, et, s’il est rendu par défaut, du jour où l’opposition n’est plus recevable.

Art. 8. — Tout individu déchu de la puissance paternelle est incapable d'être tuteur, subrogé-tuteur, curateur ou membre du Conseil de famille.

Art. 9. — Dans le cas de déchéance de plein droit encourue par le père, le ministère public ou les parents désignés à l’article 3 saisissent sans délai la juridiction compétente, qui décide si, dans l’intérêt de l’enfant, la mère exercera les droits de la puissance paternelle tels qu’ils sont définis par le Code civil. Dans ce cas, il est procédé comme à l’article 4. Les articles 5, 6 et 7 sont également applicables.
Toutefois, lorsque les tribunaux répressifs prononceront les condamnations prévues aux articles 1 et 2, paragraphes 1, 2, 3 et 4, ils pourront statuer sur la déchéance de la puissance paternelle dans les conditions établies par la présente loi.
Dans le cas de déchéance facultative, le tribunal qui la prononce statue par le même jugement sur les droits de la mère à l'égard des enfants nés et à naître, sans préjudice, en ce qui concerne ces derniers, de toute mesure provisoire à demander à la Chambre du Conseil, dans les termes de l’article 5, pour la période premier âge.
Si le père déchu de la puissance paternelle contracte un nouveau mariage, la nouvelle femme peut, en cas de survenance d’enfants, demander au tribunal l’attribution de la puissance paternelle sur ces enfants.


Chapitre II. — De l’organisation de la tutelle en cas de déchéance de la puissance paternelle.

Art. 10. — Si la mère est prédécédée, si elle a été déclarée déchue ou si l’exercice de la puissance paternelle ne lui est pas attribué, le tribunal décide la tutelle sera constituée dans les termes du droit commun, sans qu’il y ait, toutefois, obligation pour la personne désignée d’accepter cette charge.
Les tuteurs institués en vertu de la présente loi remplissent leurs fonctions sans que leurs biens soient grevés de l’hypothèque légale du mineur.
Toutefois, au cas où le mineur possède ou est appelé à recueillir des biens, le tribunal peut ordonner qu’une hypothèque générale ou spéciale soit constituée jusqu'à concurrence d’une somme déterminée.

Art. 11. — Si la tutelle n’a pas été constituée conformément à l’article précédent, elle est exercée par l’assistance publique, conformément aux lois des 15 pluviôse an XIII et 10 janvier 1849, ainsi qu'à l’article 24 de la présente loi. Les dépenses sont réglées conformément à la loi du 5 mai 1869.
L’assistance publique peut, tout en gardant la tutelle, remettre les mineurs à d’autres établissements et même à des particuliers.

Art. 12. — Le tribunal, en prononçant sur la tutelle, fixe le montant de la pension qui devra être payée par les père et mère et ascendants auxquels des aliments peuvent être réclamés, ou déclare qu'à raison de l’indigence des parents il ne peut être exigé aucune pension.

Art. 13. — Pendant l’instance en déchéance, toute personne peut s’adresser au tribunal par voie de requête, afin d’obtenir que l’enfant lui soit confié.
Elle doit déclarer qu’elle se soumet aux obligations prévues par le paragraphe 2 de l’article 364 du Code civil, au titre de la tutelle officieuse.
Si le tribunal, après avoir recueilli tous les renseignements et pris, s’il y a lieu, l’avis du Conseil de famille, accueille la demande, les dispositions des articles 365 et 370 du môme code sont applicables.
En cas de décès du tuteur officieux avant la majorité du pupille, le tribunal est appelé à statuer de nouveau, conformément aux articles 11 et 12 de la présente loi.
Lorsque l’enfant aura été placé par les administrations hospitalières ou par le directeur de l’Assistance publique de Paris chez un particulier, ce dernier peut, après trois ans, s’adresser au tribunal et demander que l’enfant lui soit confié dans les conditions prévues aux dispositions qui précèdent.

Art. 14. — En cas de déchéance de la puissance paternelle, les droits du père et, à défaut du père, les droits de la mère, quant au consentement au mariage, à l’adoption, à la tutelle officieuse et à l'émancipation, sont exercés par les mômes personnes que si le père et la mère étaient décédés, sauf les cas où il aura été décidé autrement en vertu de la présente loi.


Chapitre III. — De la restitution de la puissance paternelle.

Art. 15. — Les père et mère frappés de déchéance dans les cas prévus par l’article 1er et par l’article 2, paragraphes 1,2, 3 et 4, ne peuvent être admis à se faire restituer la puissance paternelle qu’après avoir obtenu leur réhabilitation.
Dans les cas prévus aux paragraphes 5 et 6 de l’article 2, les père et mère frappés de la déchéance peuvent demander au tribunal que l’exercice de la puissance paternelle leur soit restitué.
L’action ne peut être introduite que trois ans après le jour où le où le jugement qui a prononcé la déchéance est devenu irrévocable.

Art. 16. — La demande en restitution de la puissance paternelle introduite sur simple requête et instruite conformément aux dispositions des paragraphes 2 et suivants de l’article 4. L’avis du conseil de famille est obligatoire.
La demande est notifiée au tuteur, qui peut présenter, dans l’intérêt de l’enfant, ou en son nom personnel, les observations et oppositions qu’il aurait à faire contre la demande. Les dispositions des articles 5, 6 et 7 sont également applicables à ces demandes.
Le tribunal, en prononçant la restitution de la puissance paternelle, fixe, suivant les circonstances, l’indemnité due au tuteur, ou déclare qu'à raison de l’indigence des parents il ne sera alloué aucune indemnité. La demande qui aura été rejetée ne pourra être réintroduite, si ce n’est par la mère, après la dissolution du mariage.


TITRE II. De la protection des mineurs placés avec ou sans l’intervention des parents.

Art. 17. — Lorsque des administrations d’assistance publique, des associations de bienfaisance régulièrement autorisées à cet effet, des particuliers jouissant de leurs droits civils ont accepté la charge de mineurs de seize ans que des pères, mères ou des tuteurs autorisés par le conseil de famille leur ont confiés, le tribunal du domicile de ces pères, mères ou tuteurs peut, à la requête des parties intéressées agissant conjointement, décider qu’il y a lieu, dans l’intérêt de l’enfant, de déléguer à l’Assistance publique les droits de puissance paternelles abandonnés par les parents et de remettre l’exercice de ces droits à rétablissement ou au particulier gardien de l’enfant.
Si des parents ayant conservé le droit de consentement au mariage d’un de leurs enfants refusent de consentir au mariage en vertu de l’article 148 du Code civil, l’Assistance publique peut les faire citer devant le tribunal, qui donne ou refuse le consentement, les parents entendus ou dûment appelés, dans la Chambre du Conseil.

Art. 18. — La requête est visée pour timbre et enregistrée gratis. Après avoir appelé les parents ou tuteur, en présence des particuliers ou des représentants réguliers de l’administration ou de l'établissement gardien de l’enfant, ainsi que du représentant de l’Assistance publique, le tribunal procède à l’examen de l’affaire en Chambre du Conseil, le ministère public entendu.
Le jugement est prononcé en audience publique.

Art. 19. — Lorsque des administrations d’assistance publique, des associations de bienfaisance régulièrement autorisées à cet effet, des particuliers jouissant de leurs droits civils ont recueilli des enfants mineurs de seize ans sans l’intervention des père et mère ou tuteur, une déclaration doit être faite dans les trois jours au maire de la commune sur le territoire de laquelle l’enfant a été recueilli, et à Paris au commissaire de police, à peine d’une amende de cinq à quinze francs.
En cas de nouvelle infraction dans les douze mois, l’article 482 du Code pénal est applicable.
Est également applicable aux cas prévus par la présente loi le dernier paragraphe de l’article 463 du même Code.
Les maires et les commissaires de police doivent, dans le délai de quinzaine, transmettre ces déclarations au préfet, et dans le département de la Seine au préfet de police. Ces déclarations doivent être notifiées dans un nouveau délai de quinzaine aux parents de l’enfant.

Art. 20. — Si, dans les trois mois à dater de la déclaration, les père et mère ou tuteur n’ont point réclamé l’enfant, ceux qui l’ont recueilli peuvent adresser au président du tribunal de leur domicile une requête afin d’obtenir que, dans l’intérêt de l’enfant, l’exercice de tout ou partie des droits de la puissance paternelle leur soit confié.
Le tribunal procède à l’examen de l’affaire en chambre du conseil, le ministère public entendu. Dans le cas où il ne confère au requérant qu’une partie des droits de la puissance paternelle, il déclare, par le même jugement, que les autres, ainsi que la puissance paternelle, sont dévolus à l’Assistance publique.

Art. 21. — Dans les cas visés par l’article 17 et l’article 19, les père, mère ou tuteur qui veulent obtenir que l’enfant leur soit rendu s’adressent au tribunal de la résidence de l’enfant, par voie de requête visée pour timbre et enregistrée gratis.
Après avoir appelé celui auquel l’enfant a été confié et le représentant de l’Assistance publique, ainsi que toute personne qu’il juge utile, le tribunal procède à l’examen de l’affaire en chambre du Conseil, le ministère public entendu.
Le jugement est prononcé en audience publique.
Si le tribunal juge qu’il n’y a pas lieu de rendre l’enfant au père, mère ou tuteur, il peut, sur la réquisition du ministère public, prononcer la déchéance de la puissance paternelle ou maintenir à l'établissement ou au particulier gardien les droits qui lui ont été conférés en vertu des articles 17 ou 20. En cas de remise de l’enfant, il fixe l’indemnité due à celui qui en a eu la charge, ou déclare qu'à raison de l’indigence des parents il ne sera alloué aucune indemnité.
La demande qui a été rejetée ne peut plus être renouvelée que trois ans après le jour où la décision de rejet est devenue irrévocable.

Art. 22. — Les enfants confiés à des particuliers ou à des associations de bienfaisance, dans les conditions de la présente loi, sont sous la surveillance de l'État, représenté par le préfet du département.
Un règlement d’administration publique déterminera le mode de fonctionnement de cette surveillance, ainsi que de celle qui sera exercée par l’Assistance publique.
Les infractions audit règlement seront punies d’une amende de vingt-cinq à mille francs.
En cas de récidive, la peine d’emprisonnement de huit jours à un mois pourra être prononcée.

Art. 23. — Le préfet du département de la résidence de l’enfant confié à un particulier ou à une association de bienfaisance, dans les conditions de la présente loi, peut toujours se pourvoir devant le tribunal civil de cette résidence afin d’obtenir, dans l’intérêt de l’enfant, que le particulier ou l’association soit dessaisi de tout droit sur ce dernier et qu’il soit confié à l’Assistance publique.
La requête du préfet est visée pour timbre et enregistrée gratis. Le tribunal statue, les parents entendus ou dûment appelés.
La décision du tribunal peut être frappée d’appel, soit par le préfet, soit par l’association ou le particulier intéressé, soit par les parents.
L’appel n’est pas suspensif.
Les droits conférés au Préfet par le présent article appartiennent également à l’Assistance publique.

Art. 24. — Les représentants de l’Assistance publique pour l’exécution de la présente loi sont les inspecteurs départementaux des enfants assistés et, à Paris, le directeur de l’Administration générale de l’Assistance publique.

Art. 25. — Dans les départements où le Conseil général se sera engagé à assimiler, pour la dépense, les enfants faisant l’objet des deux titres de la présente loi aux enfants assistés, la subvention de l'État sera portée au cinquième des dépenses tant extérieures qu’intérieures des deux services, et le contingent des communes constituera pour celles-ci une dépense obligatoire conformément à l’article 136 de la loi du 5 avril 1884.

Art. 26. — La présente loi est applicable à l’Algérie ainsi qu’aux colonies de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion.

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés sera exécutée comme loi de l'État.


Fait à Paris, le 24 juillet 1889.

CARNOT

Par le Président de la République

Le Ministre de l’intérieur CONSTANS