Landmarks / Textes relatifs à l'organisation de la police /

Édit de création de l'office de Lieutenant de Police de Paris (15 mars 1667)

Transcription : Vincent DENIS

LOUIS par la grace de Dieu, Roy de France & de Navarre : A tous presens & à venir, Salut.

Notre bonne Ville de Paris étant la Capitale de nos Etats, & le lieu de notre séjour ordinaire, qui doit servir d’exemple à toutes les autres Villes de notre Royaume : Nous avons estimé que rien n'étoit plus digne de nos soins, que d’y bien régler la Justice & la Police ; & Nous avons donné notre application à ces deux choses. Elle a été suivie de tant de succez, & plusieurs défauts de la Police ont déjà été si heureusement corrigez, que chacun excité par les commoditez qu’il en reçoit, concourt et prête volontiers la main pour la perfection d’un si grand ouvrage : mais il est nécessaire que la réformation que Nous y apportons soit soutenue par des Magistrats. Et comme les fonctions de la Justice & de la Police sont souvent incompatibles, & d’une trop grande étendue, pour être bien exercées par un seul Officier dans Paris, Nous aurions résolu de les partager, estimans que l’administration de la Justice contentieuse et distributive, qui requier une présence actuelle en beaucoup de lieux, & une affiduité continuelle, soit pour regler les affaires des Particuliers, soit pour l’inspection qu’il faut avoir sur les personnes à qui elles sont commises, demandoit un Magistrat tout entier. Et que d’ailleurs la Police qui consiste à assurer le repos du Public & des Particuliers, à purger la Ville de ce qui causer les desordres, à procurer l’abondance & à faire vivre chacun selon sa condition & son devoir, demandoit aussi un Magistrat particulier qui pût être présent à tout.

A CES CAUSES, & autres considérations à ce Nous mouvans, de l’avis de notre Conseil, de notre certaine science, pleine puissance, & autorité Royale ; Nous avons éteint & supprimé, & par ces Présentes signées de notre main, éteignons & supprimons l’Office de Lieutenant Civil de notre Prévôté de Paris, dont étoit pourvu le feu Sieur d’Aubray ; sans que pour quelque cause, pretexte & occasion que ce soit, ledit Office puisse être cy-après rétabli, ni créé de nouveau : ce faisant, Nous avons créé, érigé & établi ; & par ces mêmes Presentes créons, érigeons & établissons en titre d’Offices formez, deux Offices de Lieutenants de notre Prévôt de Paris, dont l’un sera nommé et qualifié, notre Conseiller et Lieutenant Civil dudit Prevôt de Paris ; & l’autre notre Conseiller, & Lieutenant du Prévôt de Paris pour la Police ; pour être lesdites deux charges remplies & exercées par deux differens Officiers, & sans que cy-après elles puissent être jointes & réunies, pour quelque cause, & sous quelque pretexte que ce puisse être.

Et pour regler les fonctions desites Charges, Voulons, & Nous plaît, qu’au Lieutenant Civil appartienne la reception de tous les Officiers du Châtelet ; ensemble la connoissance de toutes actions personnelles, réelles & mixtes ; de tous Contrats, Testaments, Promessses, Matieres Beneficiales & Eccleasiastiques, de l’apposition des Cellez, confection des Inventaires, Tuetelles, Curatelles, avis de Parens, Emancipations, & de toutes autres maitères concernant la Justice contentieuse & distributive, dans l'étendue de la Ville, Prevôté & Vicomté de Paris, pour en faire les fonctions en la même forme & manière que les precedens Lieutenans Civils ont eu droit & pouvoir de ce faire, dans les mêmes Chambres & Sieges, & avec les mêmes Officiers ; à l’exception toutesfois des matieres concernant la Police ; précédera ledit Lieutenant Civil celui de Police, dans toutes les Assemblées generales & particulières, sans dépendance, néanmoins autorité, ni subordination de l’un à l’autre ; mais exerceront leurs fonctions separément & distinctement ; chacun en ce qui les concernera.

Et quant au Lieutenant de Police, il connoîtra de la sûreté de la Ville, Prevôté & Vicomté de Paris, du port des armes prohibées par les Ordonnances, du nettoyement des Rues & Places publiques, circonstances & dépendances ; donnera les ordres nécessaires en cas d’incendie, d’inondation, connoîtra pareillement de toues les provisions necessaires pour la subsistance de la Ville, amas & magasins qui en pourront être faits, du taux & prix d’icelles ; de l’envoy des Commissaires et autres Personnes nécessaires sur les Rivieres ; pour le fait des amas de foin, bottelage, conduite & arrivée d’icelui à Paris, comme faisoit cy-devant le Lieutenant Civil exerçant la Police ; reglera les Etaux des Boucheries & adjudication d’iceux ; aura la visite des Halles, Foires & Marchez, des Hôtelleries, Auberges, Maisons garnies, Brelands, Tabacs & lieux mal famez ; aura la connoissance des Assemblées illicites, tumultes, seditions, & desordres qui arriveront à l’occasion d’icelles : des Manufactures & dependances d’icelles : des Elections des Maîtres & Gardes des six Corps des Marchands, des Brevets d’Apprentissage, & Reception des Maîtres, de la reception des Rapports, des Visites desdits Gardes, & de l’exécution de leurs Statuts & Réglemens, & des Renvois des Jugemens ou Avis de notre Procureur sur le fait des Arts et Metiers, & ce en la même forme & manière que les Lieutenans Civils exerçans la Police, en ont cy-devant bien & duement usé. Pourra étalonner les poids et balances de toutes les Communautez de la Ville & Fauxbourgs d’icelle, à l’exclusion de tous autres Juges ; Connôitra des contraventions qui seront commises à l’execution des Ordonnances, Statuts, & Reglemens faits pour le fait de l’Imprimerie par les Imprimeurs, en l’impression de Livres & Libelles défendus ; & par les Colporteurs en la vente & distribution d’iceux. Les Chirurgiens seront tenus de lui donner les déclarations de leurs blessez, & qualitez d’iceux. Pourra connoître de tous Delinquans & trouvez en flagrant délit, en fait de Police, leur faire & parfaire leur procez sommairement, & les juger seul, sinon ès cas où il s’agira de peines afflictives et audit cas, en fera son rapport au Présidial en la manière accoutumée. Et généralement appartiendra au dit Lieutenant de Police l’exécution de toutes les Ordonnances, Arrêts et Reglemens concernant le fait d’icelles, circonstances et dépendances, pour en faire les fonctions en la même forme et manière qu’ont fait, ou eu droit de faire les cy-devant pourvus de la charge de Lieutenant Civil exerçant la Police. Le tout sans innover ni préjudicier aux droits et Jurisdictions que pourraient avoir, ou possession en laquelle pourraient être les Lieutenants Criminel, Particulier, et notre Procureur audit Châtelet, mêmes les Prévôts des Marchands et Echevins de ladite Ville, de connaître des matières cy-dessus mentionnées : ce qu’elles continueront de faire bien et deüement, comme ils auraient pu faire auparavant. Seront tenus les Commissaires du Châtelet, Huissiers et Sergents, d’exécuter les Ordres et Mandements desdits lieutenants Civil et de Police, même les Chevalier du Guet, Lieutenant Criminel de Robe-Courte, et Prévôt de l’Ile ; comme aussi les Bourgeois de prêter main-forte à l’exécution des ordres et mandements toutes fois et quantes qu’ils en seront requis.

Aura ledit Lieutenant de Police son siège ordinaire et particulier dans le Châtelet, en la Chambre présentement appelée la Chambre Civile ; et entendra en icelles les Rapports des Commissaires , et y jugera sommairement toutes les matières de Police les jours de chacune Semaine, ou à tels jours qu’il jugera nécessaire ; et aura en outre la disposition d’une autre petite Chambre à côté, jusqu'à ce qu’il ait été par nous pourvu sur le fait desdites Chambres. Jouiront lesdits Lieutenants Civil et de Police, chacun à leur égard, des mêmes droits, avantages, honneurs, et prérogatives qui ont appartenu, et dont ont bien et deüment joui, ou dü jouir les cy-devant Lieutenants Civils en l’une et l’autre desdites fonctions ; et sera procédé à leur Réception esdites charges au Parlement, et Installation en leurs Sièges en la manière accoutumée ; Nous reservant au surplus la libre et entière disposition desdites Charges, pour en disposer toutes fois et quantes que bon Nous semblera, en remboursant à ceux qui seront pourvus d’icelles, les sommes convenues pour raison de ce, suivant leurs consentement cy-attachés, sons le contre-scel de notre Chancellerie.

SI DONNONS EN MANDEMENT à nos amez et feaux Conseillers, les Gens tenant notre Cour de Parlement à Paris, que ces Présentes ils aient à faire registrer, et icelles exécuter selon leur forme et teneur : cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements qui pourraient être donnés, nonobstant tous Edits, Déclarations, et autres choses à ce contraires, ausquelles Nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes : CAR tel est notre plaisir. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, Nous avons fait mettre notre Scel à ces dites Presentes.

DONNEES à Saint-Germain en Laye au mois de Mars l’an de grace mil six cent soixante-sept, et de notre Regne le vingt-quatrième.
Signé : LOUIS.

[Et plus bas]

Par le Roy, DE GUENEGAUD. Et scellées sur lacs de soye du grand Sceau de cire verte. Et ensuite est écrit : Registrées, ouy et ce requérant le Procureur général du Roy, pour être exécutées selon leur forme et teneur, aux charges portées par l’Arrêt de ce jour, à Paris en Parlement ce quinzième Mars mil six cent soixante-sept.
Signé : DU TILLET.

Reproduit dans Nicolas Delamare, Traité de la Police, 1722, Livre I, Titre IX, pp 147-148.