Un formulaire de jugement publié dans le Dictionnaire de la justice militaire de Du Mesgnil, 1847
Jugement d’acquittement rendu par le 2e conseil de guerre permanent de la 6e division militaire.
Louis-Philippe, roi des Français, à tous présents et à venir, salut :
Ce jourd’hui, premier mai l’an mil huit cent quarante, etc.
Le deuxième conseil de guerre permanent de la sixième division militaire, créé en vertu des art. 19 et 20 de la loi du 18 vendémiaire an VI, jugeant d’après les dispositions de la loi du 27 fructidor an VI, prorogé par l’arrêté des consuls du 23 messidor an X, et composé conformément à la loi du 13 brumaire an V de :
MM. Alexandre, colonel du 39e régiment d’infanterie de ligne, président,
Dehon, chef de bataillon au 39e de ligne,
Bourrelly, capitaine au 39e de ligne,
Gerrard, capitaine d'état-major de place,
Vauthier, lieutenant au 6e régiment d’artillerie,
De Pothier, sous-lieutenant au 39e de ligne,
Lefèvre, sergent-major au 39e de ligne,
Juges
Langlois, capitaine au 76e régiment d’artillerie, faisant les fonctions de capitaine rapporteur, et Doré, capitaine au 39e régiment d’infanterie de ligne, faisant celles de commissaire du roi, tous nommés par M. Voirol, pair de France, lieutenant général commandant cette division, assisté du sieur Renaut, greffier, nommé par le rapporteur, dûment assermenté; lesquels, aux termes des art. 7 et 8 de la même loi, ne sont parents ou alliés ni entre eux, ni de l’accusé, au degré prohibé par la constitution.
Le conseil convoqué par l’ordre du commandant s’est réuni dans le lieu ordinaire de ses séances, place Saint-Paul, à l’effet de juger le nommé Fraumont (Jean), profession de cordonnier; né le quatre juin mil huit cent vingt-deux, à Strasbourg, canton de Strasbourg, département du Bas-Rhin, prévenu de vente d’effets d’habillement appartenant à l’Etat, le quatorze avril dernier.
La séance ayant été ouverte, le président a fait apporter par le greffier et déposer devant lui, sur le bureau, un exemplaire de la loi du 13 brumaire an V, et a demandé au rapporteur la lecture du procès-verbal d’information et de toutes les pièces tant à charge qu'à décharge envers le prévenu, au nombre de quatre.
Cette lecture terminée, le président a ordonné à la garde d’amener l’accusé, lequel a été introduit libre et sans fers devant le conseil, accompagné de son défenseur officieux.
Interrogé de ses nom, prénoms, âge, profession, lieu de naissance et domicile, a répondu se nommer Fraumont (Jean), âgé de vingt-six ans, profession de cordonnier, né à Strasbourg, département du Bas-Rhin, où il était domicilié avant son entrée au service, actuellement caporal à la 1re compagnie du 2e bataillon du 39e régiment d’infanterie de ligne, stationné à Besançon.
Après avoir donné connaissance au prévenu des faits à sa charge, lui avoir fait prêter interrogatoire par l’organe du président; avoir entendu publiquement et séparément les témoins à charge, qui ont déclaré n'être ni parents, ni alliés, ni serviteurs des parties, et qui ont préalablement prêter le serment de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité; avoir entendu la partie plaignante qui s’est présentée, ainsi que les témoins à décharge, qui ont aussi déclarés n'être non plus ni parents, ni alliés, ni serviteurs des parties, lesquels ont également prêté le serment de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité; avoir représenté la pièce à conviction tant au prévenu qu’aux témoins.
Oui, le rapporteur dans son rapport et ses conclusions, et le prévenu dans ses moyens de défense, tant par lui que par son défenseur officieux, lesquels ont déclaré n’avoir rien à ajouter à leurs moyens de défense. Le président a demandé aux membres du conseil s’ils avaient des observations à faire; sur leur réponse négative, et avant d’aller aux opinions, il a ordonné au défenseur et au prévenu de se retirer. Le prévenu a été reconduit par son escorte à la prison; le rapporteur, le greffier et les assistants dans l’auditoire se sont retirés, sur l’invitation du président.
Le conseil délibérant à huis clos, seulement en présence du commissaire du roi, le président a posé la question ainsi qu’il suit :
Question unique. Le nommé Fraumont (Jean), qualifié ci-dessus, prévenu d’avoir, le quatorze avril dernier, vendu son pantalon, effet d’habillement appartenant à l’Etat, est-il coupable ?
Les voix recueillies séparément, en commençant par le grade inférieur, le président ayant émis son opinion le dernier, le deuxième conseil de guerre permanent, déclare à la majorité de cinq voix sur sept, que ledit Fraumont (Jean) n’est pas coupable.
Sur quoi le commissaire du roi ayant fait son réquisitoire pour l’application de la loi, le président a lu le texte de la loi, et après l’avis des juges pour l’application de la loi,
Le président ayant ordonné que la séance redevint publique, le rapporteur et le greffier ayant repris leurs places, il a fait inscrire au procès-verbal la décision du conseil sur la non-culpabilité du prévenu et a dit à haute voix, le deuxième conseil de guerre permanent, faisant droit sur ledit réquisitoire acquitte le nommé Fraumont (Jean), caporal à la 1re compagnie du 2e bataillon du 39e régiment d’infanterie de ligne, de la prévention, et le renvoie des fins de la plainte déposée contre lui, conformément à l’art. 31 de la loi du 13 brumaire an V, ainsi conçu, dont le président a de nouveau donné lecture :
Art. 31 : “Dans le cas où trois membres du conseil déclareraient que l’accusé n’est pas coupable, il sera mis sur-le-champ en liberté, et rendu à ses fonctions.”
En conséquence, ordonne qu’il sera mis en liberté s’il n’est retenu pour autre cause.
Enjoint au rapporteur de lire de suite le présent jugement à l’acquitté, en présence de la garde rassemblée sous les armes; et, au surplus, de faire exécuter le présent jugement dans tout son contenu.
Ordonne, en outre, qu’il en sera envoyé, dans les délais prescrits par l’art. 39 de la loi du 13 brumaire an V, à la diligence de MM. les président et rapporteur, une expédition, tant à M. le ministre de la guerre qu'à M. le lieutenant général commandant la division, et au conseil d’administration de l’acquitté.
Fait, clos et jugé sans désemparer, en séance publique, à Besançon, les jour, mois et an que dessus; et les membres du conseil ont signé, avec le rapporteur et le greffier, la minute du présent jugement.
Je certifie que le présent jugement a été lu, à l’acquitté, le premier mai mil huit cent quarante-six à une heure de relevée, en présence de la garde rassemblée sous les armes, étant assisté de notre greffier.»
Source : Dictionnaire de la justice militaire... par Du Mesgnil, Paris, J. Dumaine, 1847, p. 487-489.
Commentaire
La justice militaire avait été profondément remaniée dans les premiers temps de la Révolution, à la fois en accord avec les principes libéraux et démocratiques inspirant les révolutionnaires et pour prendre en compte le passage d’une armée de mercenaires qui était celle de l’Ancien régime à une armée non professionnelle composée de “défenseurs de la patrie”. La Législative mis sur pied une organisation de la justice militaire calquée sur celle de la justice civile, avec un double jury d’accusation et de jugement - tous les grades y étant représentés, du simple soldat à l’officier supérieur - et des juges non militaires, pris parmi les civils, avec une procédure garantissant les droits des accusés (procédure orale, contradictoire et publique). Ces tribunaux militaires adaptés à une armée de citoyens ne résistèrent pas aux guerres de conquêtes et à la professionnalisation de l’armée à partir du Directoire. Les officiers reprirent alors le contrôle de la justice militaire qu’ils avaient perdu depuis 1789. L’organisation de cette justice, fixée en novembre 1796, reprise sans modification par Napoléon Ier, resta la même pendant toute la première moitié du 19e siècle.
Le document cité, reprenant une des formules présentées en annexe du Dictionnaire de justice militaire publié en 1847 par Du Mesgnil, chef de bataillon ayant une longue pratique des tribunaux militaires, présente un jugement tel qu’il pouvait être prononcé par un conseil de guerre dans les années 1840. Ce jugement type montre bien les particularités de l’organisation, de la compétence et de la procédure des conseils de guerre.
L’organisation du conseil de guerre
Un tribunal contrôlé par les officiers
Le jugement est prononcé par le “deuxième conseil de guerre permanent de la sixième division militaire”, indiquant la présence de deux conseils de guerre permanents par circonscription militaire. En fait, la loi du 13 brumaire an V (3 novembre 1796) à laquelle le jugement se réfère à plusieurs reprises et qui est le texte de base de la justice militaire pour toute la période antérieure à 1857 (parution du Code de justice militaire) n’avait établi qu’un conseil de guerre par division militaire. C’est la loi du 18 vendémiaire an VI (9 octobre 1797), qui, en créant les conseils de révision - pour réviser les jugements des conseils de guerre -, établit un second conseil de guerre permanent sur les mêmes bases que celles fixées dans la loi de brumaire an V. Initialement, ce second conseil devait connaître des affaires que le premier avait jugées mais qui avaient été annulées. La loi du 27 fructidor an VI (13 septembre 1798) donne à ce second conseil de guerre les mêmes droits et les mêmes pouvoirs que le premier conseil.
Le conseil de guerre siège au quartier général de la division militaire, soit à Besançon, pour la 6e division militaire jusqu'à 1848. Les articles 2 de la loi de brumaire an V, et 19 et 20 de la loi du 18 vendémiaire an VI fixent sa composition à sept juges dont le document donne la liste : un colonel remplissant les fonctions de président, un chef de bataillon (ou d’escadron), deux capitaines, un lieutenant, un sous-lieutenant et un sous-officier, ici un sergent-major. À ces sept juges s’ajoutent un capitaine “faisant les fonctions de capitaine rapporteur” qui instruit l’affaire et porte l’accusation, un capitaine “faisant celles de commissaires du roi”, chargé surtout de veiller à l’observation des formes et de requérir l’application de la loi, et un greffier. Ce dernier fait exception par sa désignation, étant “nommé par le rapporteur”. Tous les autres membres du tribunal militaire sont nommés par “le lieutenant général commandant cette division”, en respectant les règles d’incompatibilité - les juges ne devant être ni “parents ou alliés ni entre eux, ni de l’accusé” - et d'âge, l’usage prescrivant un âge minimum de 25 ans. Quand des officiers sont accusés, la présidence et la composition du conseil varient en fonction du grade de l’intéressé, le principe étant qu’il n’y ait aucun juge de grade inférieur à celui de l’officier à juger.
Le tribunal est permanent comme son nom l’indique, et n’est donc pas formé pour une affaire particulière. Mais les garanties offertes aux prévenus par cette permanence sont toutes relatives dans la mesure où le général commandant la division peut changer les membres du tribunal s’il le juge nécessaire pour le “bien du service” (article 55 de la loi du 13 brumaire an V). Si une telle modification ne peut, en principe, avoir lieu entre le moment de l’arrestation et celui du jugement d’un accusé, il arrive que des membres du conseil de guerre puissent être appelés à d’autres fonctions et qu’il faille pourvoir à leur remplacement, ce qui n’est pas alors considéré comme une violation de la loi.
Le conseil de guerre juge en dernier ressort, sans appel, mais ses décisions peuvent être révisées quand le tribunal n’a pas été formé dans la manière prescrite par la loi, a outrepassé sa compétence ou s’est déclaré à tort incompétent, quand une forme prescrite n’a pas été respectée ou que le jugement n’est pas conforme à la loi dans l’application de la peine. Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, l’affaire est portée devant un conseil de révision permanent, institué dans chaque division, et composé de cinq membres (un officier général président, un colonel, un chef de bataillon ou d’escadron et deux capitaines), le rapporteur étant pris parmi eux. L’affaire annulée est renvoyée à celui des deux conseils de la division qui n’a pas connu l’affaire.
On a donc une justice qui émane entièrement de l’armée et qui est placée sous le contrôle des officiers, et, en premier lieu du commandement de chaque division militaire qui est maître de la composition des conseils de guerre.
Pour juger les militaires
Alors que dans les premiers temps de la Révolution, la compétence des tribunaux militaires avait été restreinte aux seuls délits de nature militaire (compétence ratione materiae), excluant tous les délits civils par méfiance envers toute juridiction d’exception, l’article 9 de la loi de brumaire an V marque un retour à une compétence liée à la qualité de militaire (compétence ratione personae) : “ Nul ne sera traduit au conseil de guerre que les militaires, les individus attachés à l’armée et à sa suite, les embaucheurs, les espions et les habitants du pays ennemi occupé par les armées de la République, pour les délits dont la connaissance est attribuée au conseil de guerre”. La jurisprudence va définir progressivement ce qu’il faut entendre par militaire (même les femmes, vivandières et blanchisseuses, travaillant pour l’armée seront passibles de la juridiction militaire) et va étendre la notion de délits “dont la connaissance est attribuée au conseil de guerre” à tout délit commis par un militaire, qu’il viole les lois militaires ou les lois ordinaires. Ce qui était admis en période de guerre, pour des raisons de maintien de la discipline, est donc étendu au temps de paix : tout délit commis par un militaire est de la compétence du conseil de guerre. C’est la “couleur du costume” qui fait la compétence, donnant à l’armée une juridiction privilégiée.
Dans l’exemple donné, le soldat Fraumont est prévenu d’avoir “vendu son pantalon, effet d’habillement appartenant à l’Etat”. Le vol d’effets militaires est courant. Sous l’Empire, il résultait souvent de la misère des soldats. C'était aussi un des rares moyens pour se procurer de l’argent afin d’acheter des vêtements civils pour déserter. En temps de paix, le délit était souvent commis peu avant le congé définitif, afin de se procurer un pécule à bon compte, et il est possible que ce soit le cas du soldat cité, dans la mesure où ce dernier, âgé de 26 ans, semble prêt d’avoir accompli son service militaire alors d’une durée de sept ans. Plus fréquents sont les vols d’objets appartenant aux camarades. Les autres délits militaires sont énumérés dans la loi du 21 brumaire an V qui porte la marque de la désorganisation des troupes à l'époque du Directoire : désertion à l’ennemi ou à l’intérieur, trahison, embauchage et espionnage; pillage, dévastation et incendie (pratiques fréquentes, et même encouragées par les officiers, dans les campagnes extérieures); maraude, insubordination. À partir de la Restauration, les délits militaires les plus fréquents sont les vols et l’insubordination (sentinelle endormie, abandon de poste, menaces, insultes et voies de fait à supérieur), plus rarement la désertion. Les délits civils sont pour la plupart commis hors de la caserne : vols, viols et surtout violences et homicides consécutifs à des rixes avec les civils, les tensions entre militaires et civils étant d’autant plus fortes que les soldats en “quartier libre” sont peu surveillés et que les officiers font preuve de beaucoup d’indulgence envers de tels débordements. Les conseils de guerre ayant à connaître de ces affaires font d’ailleurs preuve de la même compréhension.
Le rôle clé du capitaine rapporteur dans la procédure
Le “procès-verbal d’information” : l’instruction
L’instruction est faite par le capitaine rapporteur, sur l’ordre donné par le général commandant la division (art. 12 de la loi de brumaire an V). Dans le cas d’un délit militaire, la plainte du sous-officier ou officier qui connaît le premier du délit est transmise par voie hiérarchique commandement de la division. À ce niveau, une forme d’instruction officieuse est réalisée, pour vérifier la réalité des faits - pouvant être fortement exagérés par la partie plaignante quand il s’agit d’un fait de désobéissance - et éventuellement régler l’affaire par voie disciplinaire, estimée plus rapide, plus efficace et moins dispendieuse que celle du conseil de guerre. Le général placé à la tête de la division est seul juge de l’opportunité des poursuites. Dans l’hypothèse d’un délit civil commis par des militaires, les premiers procès-verbaux sont faits par un officier de police judiciaire et le tribunal civil apprécie - après instruction éventuelle - sa compétence, la décline et remet le dossier au commandement. Ce dernier nomme un capitaine juge rapporteur pour instruire l’affaire.
Le capitaine rapporteur a tous les pouvoirs d’un juge d’instruction et procède comme lui. Il rédige des procès-verbaux constant le délit et ses circonstances, saisit les preuves matérielles (pièces à conviction) et fait arrêter le prévenu dans le cas d’un délit prévenu, tout ou partie de ces opérations ayant déjà été réalisée par des magistrats dans le cas d’un délit civil. Puis il auditionne les témoins, dans les mêmes règles que pour la justice ordinaire, chaque déposition étant inscrite sur un seul procès-verbal d’information. Il procède ensuite à l’interrogatoire du prévenu, après lui avoir indiqué le chef d’accusation et présenté les pièces de la procédure et preuves à charge contre lui. Après avoir avancé ses arguments (négation des faits, excuses de l’ivresse ou de la méconnaissance de la loi, etc.) le prévenu signe, s’il le sait, son procès-verbal d’audition. Il est alors invité à désigner un défenseur qui peut être choisi dans toutes les classes de la société et n’est donc pas forcément un militaire. En fait, très souvent intimidé par cet appareil de justice, le simple soldat laisse le capitaine rapporteur lui désigner d’office un militaire comme avocat.
L’audience
Son rapport terminé, le capitaine informe le général commandant la division que l’instruction est close et ce dernier convoque le conseil de guerre permanent. Le formulaire type de jugement que nous avons, forcément respectueux des formes prescrites par les lois déjà évoquées, permet de décrire dans le détail le déroulement de l’audience.
Hormis pendant le délibéré qui se fait à huis clos, le conseil de guerre siège publiquement, mais selon l’article 24 de la loi du 13 brumaire an V, le nombre de spectateurs ne peut excéder le triple de celui des juges. L’effectif des “assistants dans l’auditoire” ne dépasse donc pas la trentaine. D’autre part, le tribunal siège “sans désemparer”, sans interruption de séance, avec report à un autre jour de la même affaire. Si la doctrine admet qu’un procès compliqué puisse être jugé sur plusieurs jours consécutifs, cette disposition procède de la nécessité de juger rapidement les atteintes à la discipline de l’armée et vont dans le sens, pour l’opinion, d’une justice expéditive.
Mais les formalités sont nombreuses et le prévenu bénéficie des garanties identiques à celle d’un procès devant la justice correctionnelle. Pour rappeler aux juges qu’ils doivent résister à toute tentation d’un jugement pris dans le seul intérêt du corps - tentation induite par le privilège de juridiction dont bénéficie l’armée - il est ainsi demandé de faire apporter “un exemplaire de la loi du 13 brumaire an V” qui règle la procédure du tribunal. L’audience suit toutes étapes prescrites par cette loi et montre le rôle important du capitaine rapporteur qui tient le rôle d’accusateur après avoir rempli auparavant celui de juge d’instruction. C’est lui qui est chargé de la lecture de son procès-verbal d’information et de toutes les pièces “tant à charge qu'à décharge contre le prévenu”, avant même que ce dernier soit introduit dans le tribunal.
C’est donc à la lecture de ces pièces écrites que le président, après avoir fait amener l’accusé, interroge ce dernier, en commençant, comme dans un tribunal ordinaire, par l’interrogatoire d’identité. Puis il lui “donne connaissance ... des faits à sa charge”, fait entendre les “témoins à charge”, la “partie plaignante”. L’accusé et son “défenseur officieux” (avocat) répondent à l’accusation, le président pouvant donner la parole aux juges souhaitant obtenir des éclaircissements de la part de l’accusé ou des autres intervenants au débat.
Celui-ci achevé, le capitaine rapporteur fait “rapport”. Dans cette sorte de résumé des débats - qui rappelle le résumé du président des assises - il analyse l’instruction faite à l’audience, relève les circonstances du débat qui lui ont paru confirmer l’accusation, les réponses du prévenu et de son défenseur. Non prescrit comme obligatoire dans la loi du 13 brumaire an V, ce rapport est considéré comme nécessaire pour éclairer les juges. Il termine en donnant “ses conclusions” quant à la culpabilité de l’accusé.
La délibération du conseil se fait à huis clos, le capitaine rapporteur et le greffier étant invités, ainsi que les assistants, à se retirer. Le commissaire du roi, chargé de veiller à l’application de la loi, est présent à la délibération mais sans le droit de voter. Les juges votent sur la ou les questions posées par le président en commençant par le grade inférieur (Lefèvre, sergent-major), pour éviter que les militaires de grade inférieur ne subissent la pression de leurs collègues, en vertu du principe d’obéissance hiérarchique en vigueur dans l’armée. La décision est acquise à la majorité, soit au minimum quatre voix sur sept. Le commissaire du roi fait alors son “réquisitoire pour l’application de la loi” (acquittement ou disposition pénale emportant condamnation), puis le président lit le texte de loi concerné, et, en cas de condamnation, les juges délibèrent à nouveau sur l’application de la peine, à la majorité de cinq voix cette fois.
Les portes du conseil de guerre sont ouvertes, le capitaine rapporteur et le greffier reprennent leur place et le président donne lecture de l’article de la loi reconnu applicable (art. 31 sur l’absence de culpabilité, l’accusé ayant obtenu au moins trois voix) et en fait l’application au nom du conseil. Il charge le capitaine rapporteur de “lire de suite le présent jugement à l’acquitté, en présence de la garde assemblée sous les armes”, cérémonial qui vise à renforcer le corps et sa discipline. Dans le cas d’une condamnation, le condamné dispose d’un délai de 24 h pour se pourvoir en révision.
Conclusion
L’exemple de ce cordonnier de profession, simple militaire du rang (caporal), est représentatif des militaires traduits en conseil de guerre en temps de paix dans le premier 19e siècle, pour des délits militaires principalement - ici un vol d’effets militaires - mais également pour des crimes ou délits commis hors de la caserne lors de rixes de cabaret. Car l’armée se réserve le droit de juger tous les militaires, quelle que soit la nature du délit commis par ses membres. Ce privilège de juridiction vise d’abord au maintien de la discipline. On le voit dans les délits les plus fréquents qui viennent à la connaissance des conseils de guerre. On le constate également dans l’organisation et le fonctionnement des conseils de guerre que le jugement type nous donne à voir. Leur saisine par le général qui est maître de leur composition comme le rôle dominant du capitaine rapporteur, à la fois juge d’instruction et accusateur, montrent que l’on a une justice au service du commandement, contrôlée par les officiers. La cérémonie de lecture du jugement par le capitaine rapporteur, en présence de la garde sous les armes a, de ce point de vue, valeur de symbole.
Jean-Claude FARCY
Bibliographie
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