Le régime de Vichy a multiplié les juridictions d’exception. Dès ses débuts, l'État français abroge la juridiction politique de la Haute-Cour pour créer, le 30 juillet 1940 une Cour suprême de justice, installée à Riom et destinée à juger les ministres et anciens ministres de la fin de la Troisième République pour faits de trahison. Léon Blum, Édouard Daladier, Pierre Cot et le général Gamelin sont parmi les principaux accusés.
Le procès de Riom, préservant les formes judiciaires, ne répond pas aux souhaits du gouvernement et sera suspendu. Une Cour martiale, créée par la loi du 24 septembre 1940, siège à Gannat (Allier), pour juger les “crimes et manœuvres commis contre l’unité et la sauvegarde de la patrie”. Sa composition (un président et quatre membre désignés par décret), sa procédure qu’elle règle elle-même et qui est très expéditive - statuant dans les deux jours, ses arrêts sont sans recours et exécutés dans les 24 heures - annoncent les traits d’une justice qui vise d’abord l’exemplarité pour maintenir l’ordre. Une Cour criminelle spéciale est instituée le 21 mars 1941 pour juger les infractions au ravitaillement (marché noir). La loi du 24 avril 1941 crée des Tribunaux spéciaux pour juger les auteurs d’agressions nocturnes, et celle du 14 août 1941 organise auprès des tribunaux militaires (en zone libre) et des cours d’appel (en zone occupée) les Sections spéciales chargées de réprimer toute activité commise dans une intention communiste ou anarchique. La compétence de ces juridictions multiples montre bien les difficultés et les résistances que rencontre le régime et sa volonté d’y remédier par la répression.
C’est dans le contexte de l'été 1941, alors que la résistance communiste se développe, stimulée par la rupture du pacte germano-soviétique, et que les difficultés de ravitaillent s’aggravent, qu’est adoptée la loi du 7 septembre 1941 créant le Tribunal d'État. Le texte de ce décret “exécuté comme loi d'État” montre un tribunal soumis à l’exécutif - par sa composition faisant appel à des magistrats non professionnels et par la saisine du conseil des ministres - , à la compétence très élargie et dont la procédure d’exception réduit à néant les garanties des accusés.
Le document
« Nous, Maréchal de France, chef de l’Etat français, - Le conseil des ministres entendu,
Décrétons :
Art. 1er. A titre temporaire et jusqu'à une date qui sera fixée ultérieurement par décret, il est institué un tribunal d’Etat.
2. Le conseil des ministres peut déférer au tribunal d’Etat les auteurs, coauteurs ou complices de tous actes, menées ou activités qui, quels que soient la qualification, l’intention ou l’objet, ont été de nature à troubler l’ordre, la paix intérieure, la tranquillité publique, les relations internationales ou, d’une manière générale, à nuire au peuple français.
3. Le tribunal d’Etat est composé d’un président, d’un vice-président et de douze juges désignés par décret et répartis entre deux sections. Deux magistrats sont, en outre, désignés pour suppléer éventuellement le président ou le vice-président empêchés.
Le siège respectif de chacune de ces sections est fixé par décret.
Pour délibérer valablement la présence dans chaque section de cinq membres au moins est nécessaire.
4. Le président et le vice-président du tribunal d’Etat sont choisis parmi les magistrats en activité ou en retraite. Les autres membres du tribunal d’Etat sont librement choisis.
5. Deux commissaires du Gouvernement nommés par décret soutiennent l’accusation; ils sont assistés de commissaires adjoints du gouvernement, également nommés par décret et répartis entre les deux sections.
6. Le greffier en chef du tribunal d’Etat et les greffiers attachés à chacune des deux sections sont désignés par arrêté du garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la justice.
7. Le tribunal d'État règle sa propre procédure, il a la faculté de désigner un de ses membres pour procéder en tout état de cause à toutes mesures d’information.
La loi du 8 décembre 1897 n’est pas applicable.
8. Il statue sans délai. La procédure de contumace telle qu’elle a été réglée par le décret du 20 mai 1940 est applicable.
9. En tout état de cause le président ou le vice-président ou le juge par l’un d’eux délégué peuvent, sur réquisition du commissaire du gouvernement, décerner mandat de dépôt ou d’arrêt.
10. A défaut du défenseur choisi par l’inculpé ou présent à l’audience, le président du tribunal d’Etat désigné immédiatement un défenseur d’office.
11. Les peines que prononce le Tribunal d'État sont :
La mort ;
Les travaux forcés à perpétuité ;
La déportation;
Les travaux forcés à temps ;
L’emprisonnement avec ou sans amende, sans que la peine prononcée puisse être inférieure à celle prévue par les dispositions retenues pour la qualification du fait poursuivi.
12. Les jugements rendus par le tribunal d’Etat ne sont susceptibles d’aucun recours ou pourvoi en cassation ; ils sont exécutoires immédiatement.
L’article 463 du Code pénal ni la loi du 26 mars 1891 ne sont applicables aux individus poursuivis.
13. L’action publique devant le tribunal d’Etat se prescrit par dix ans à dater de la perpétration des faits, même si ceux-ci sont antérieurs à la promulgation de la présente loi.
Jusqu'à jugement définitif, le gouvernement peut déférer au tribunal d’Etat les personnes visées à l’art. 2 de la présente loi, même si d’autres juridictions en sont saisies.
Les ordonnances de dessaisissement en vertu de la présente loi ne sont susceptibles d’aucun recours.
14. Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’Etat.»
Source : Journal Officiel, 10 septembre 1941, n° 252, p. 3850-3851.
Suggestion de plan
Un tribunal soumis au pouvoir
La composition : “Les autres membres du tribunal d'État sont librement choisis”
La saisine : “Le conseil des ministres peut déférer...”
Deux sections : Paris et Lyon
Une compétence élargie
De tout ce qui peut “nuire au peuple français”...
... à la répression politique
Une procédure d’exception
Le Tribunal règle sa propre procédure
Une justice expéditive visant à l’exemplarité
Bibliographie
Bancaud (Alain). Une exception ordinaire. La magistrature en France 1930-1950, Paris, Gallimard, 2002, 514 p.
Fillon (Catherine). Le Tribunal d'État, section de Lyon (1941-1944). Contribution à l’histoire des juridictions d’exception, Histoire de la Justice, 1997, n° 10, p. 193-222.
Fillon (Catherine). La section lyonnaise du tribunal d'État et la section spéciale près la cour d’appel de Lyon : l’exemplarité à l'épreuve des faits, Histoire de la Justice, n° 14, 2001, p. 75-99.
Sansico (Virginie). La Justice du pire. Les cours martiales sous Vichy, Paris, Payot, 2002, 258 p.