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La santé mentale en prison

Soigner la souffrance psychique en prison aujourd'hui

Maris-Hélène Bonnet, Réseau pour la Psychanalyse à l'Hôpital

« 20 ans ferme ». Couverture de la bande dessinée de Sylvain Ricard et Nicoby

Source : Editions Futuropolis, 2012

Appareil à sismothérapie et boîte de médicaments neuroleptiques Lagarctil®

Source : Collection du musée de l’Hôpital Saint-Anne à Paris

Pour mieux soigner les malades, la psychiatrie du début du siècle se tourne tout d’abord vers la jeune science de la neurologie, ce qui donnera notamment naissance à la sismothérapie, utilisée à partir de 1938 sur un patient schizophrène par le neuro-psychiatre italien Ugo Cerletti. La diffusion des thèses avancées par Sigmund Freud puis Jacques Lacan apporte un nouveau regard sur la psychopathologie du criminel. Enfin, la découverte des vertus neuroleptiques du Largactil ® en 1952 par Jean Delay et Pierre Denicker à Ste Anne bouleverse les pratiques de la psychiatrie en France et dans le monde. Mais ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que les premières études révèlent l’ampleur de la détresse psychique des détenus en prison ou en service psychiatrique.

Le Dr Sigmund Freud (1856-1939). Photographie

Source : D.R.

« Je suis né en 1856 à Freiberg en Moravie, dans l’Empire d’Autriche. Après avoir suivi des études de médecine et m’être spécialisé en neurologie, j’ai collaboré avec le Dr Josef Breuer, avec lequel j’ai publié les « Etudes sur l’hystérie » en 1895. Arrivé à Paris en 1885, j’assiste aux présentations de malades hystériques du Dr Jean-Martin Charcot à l’hôpital de la Salpêtrière, puis j’abandonne progressivement la technique de la suggestion et de l’hypnose pour la « cure par la parole ».  En 1896, j’ai baptisé du nom de « psycho-analyse » une nouvelle méthode de traitement des symptômes psychiques, basée sur l’association libre des idées menant droit à la découverte du désir inconscient.

Sigmund Freud en 1909 entouré de disciples. Photographie

Source : D.R.

 « Dès 1908, j’ai créé la société viennoise de psychanalyse afin de former une nouvelle génération de psychanalystes respectueux de la théorie de l’inconscient. Mes idées se sont répandues dans toute l’Europe et ont eu un écho jusqu’aux Etats-Unis. Sur cette photo de 1909 je pose, avec ma canne, aux côtés de mon collègue américain Stanley Hall, assis à côté de Carl Gustav Jung, psychanalyste suisse avec qui j’ai finalement rompu en 1913. Derrière moi se tient l’américain Abraham Arden Brill, aux côtés de mon fidèle collègue anglais Ernest Jones, et tout à droite le psychanalyste hongrois Sandór Ferenczi qui sera écarté en 1929. Afin d’unifier la pratique de la psychanalyse, j’ai créé en 1910 l’Association Psychanalytique Internationale (IPA). Je me suis ensuite consacré à faire avancer la théorie psychanalytique, en introduisant la notion de la pulsion de mort notamment. En 1938, alors que j’étais menacé par le régime nazi, j’ai été contraint de m’exiler en Angleterre. » Il s’éteint le 23 septembre 1939 à Londres d’un cancer de la mâchoire.

Le divan de psychanalyse de Sigmund Freud. Photographie.

Source : Musée Sigmund Freud à Vienne

« Dans mon article intitulé « Quelques types de caractères dégagés par la psychanalyse », publié en 1916, je me suis intéressé aux « criminels par conscience de culpabilité » : j’avais en effet observé que des patients adultes en cure chez moi avaient commis des délits dans le seul but d’être punis, car le châtiment apaisait leur sentiment de culpabilité, d’origine inconnue. Voici mes conclusions concernant les sources de cette culpabilité poussant au crime :

« Cet obscur sentiment de culpabilité provient du complexe d’Œdipe, est une réaction aux deux grands desseins criminels,  mettre à mort le père et avoir un commerce avec la mère. Comparés à ces deux desseins, les crimes commis en vue d‘une fixation du sentiment de culpabilité sont assurément des soulagements pour le tourmenté. »

Texte extrait des Œuvres complètes psychanalyse tome XV, PUF, Paris, 1996, pp. 39-40.

Le Dr Jacques Lacan. Reproduction

Source : D.R.

 « Je suis né le 13 avril 1901 à Paris. J’ai entrepris des études de médecine et me suis spécialisé tout d’abord dans la neurologie. J’ai ensuite passé mon internat à l’hôpital Ste Anne dans le service du Dr Henri Claude. Intéressé par la criminologie, j’ai exercé une année à l’Infirmerie Spéciale des Aliénés de la Préfecture de Police de Paris sous la direction du Dr Gaëtan de Clérambault. En 1932, j’ai publié ma thèse de médecine consacrée au cas d’Aimée, une patiente paranoïaque internée à la suite d’une tentative d’assassinat sur une actrice célèbre. Cette patiente m’a véritablement ouvert la voie vers la psychanalyse, chemin que je n’ai plus jamais quitté. J’ai transmis et enrichi l’enseignement des concepts fondamentaux de Freud sous la forme d’un séminaire public mensuel pendant 24 ans. » Jacques Lacan est décédé à Paris le 9 septembre 1981.

Christine et Léa Papin en 1933. Reproduction

Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Le 2 février 1933, Christine et Léa Papin, deux sœurs employées comme domestiques, assassinent sauvagement la maîtresse de maison et sa fille, leur arrachant les yeux, les frappant avec un marteau et les ciselant à l’aide d’un couteau de cuisine. Arrivés sur les lieux des faits, les policiers pensent avoir affaire à un acte d'aliéné. Ils trouvent les deux sœurs couchées dans le même lit et un marteau ensanglanté à côté de la porte.

« A-t-on condamné deux folles ? ». Article du 5 novembre 1933 du « Police Magazine »

Source : Gallica / Bibliothèque nationale de France

Les deux femmes avouent rapidement qu'elles ont tué leurs maîtresses, déclarant qu'il s'agissait d'un acte de défense. Sont-elles folles ou pleinement conscientes de leurs actes ? Pendant des mois, les experts en psychiatrie légale les examinent pour établir un diagnostic. L'instruction déclare finalement les sœurs Papin responsables de leurs actes. Mais cette affaire ouvre le débat sur l’omnipotence des expertises psychiatriques dans les décisions de justice.

« Cygnes se reflétant en éléphants ». Huile sur toile réalisée par Salvador Dali en 1937 conservée à la Cavalieri Holding, Co., Inc., à Genève (Suisse)

Source : D.R.

« Au moment où éclata le crime des sœurs Papin, j’étais très lié avec les surréalistes. Je fréquentais notamment Salvador Dali qui s’intéressait tout comme moi à la paranoïa, avec son approche d’artiste. Il a ainsi développé la « méthode paranoïaque-critique », basée sur l’objectivation critique et systématique des interprétations délirantes de la réalité par l’artiste, servant à l’apparition d’images doubles. En 1933, j’ai publié dans la revue surréaliste « Minotaure » mon analyse du passage à l’acte des sœurs Papin, dans un article intitulé « Motifs du crime paranoïaque : le double meurtre des sœurs Papin ». Voici en substance mon propos : Les sœurs Papin illustrent un cas de folie à deux, soit deux personnes partageant un même délire de persécution. Cette structure paranoïaque se caractérise par un désir inconscient d’autopunition. Une fois la pulsion assouvie dans le crime, le délire tombe tel un masque. Les sœurs Papin sont emprisonnées dans une relation fusionnelle, hautement aliénante.  Vraies âmes siamoises, elles forment un monde à jamais clos. Aucune distance n’est possible entre elles, qui partagent le même lit juste après le meurtre, pas même la distance qu’il faut pour se meurtrir. J’interprète donc le geste des sœurs Papin comme une tentative de s’atteindre elles-mêmes, de mettre fin à leur couple diabolique, à travers le meurtre de leurs maîtresses. » 

« 20 ans ferme ». Couverture de la bande dessinée de Sylvain Ricard et Nicoby

Source : Editions Futuropolis, 2012

Cette Bande Dessinée retrace l’histoire vraie d’un homme condamné à 20 ans de prison ferme en France dans les années 80. Ce récit témoigne de l’indignité du système carcéral en France et des souffrances qu’il engendre, tant sur le plan de la santé physique que mentale.

Pourcentage de détenus dépendants aux drogues et à l’alcool en France en 2003/2004. Graphique de statistiques

Source : CEMKA-Eval. Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues (CEMKA-Eval) de 2003/2004

Cette étude épidémiologique a été réalisée en 2003 et 2004, à la demande du Ministère de la Santé, en collaboration avec le Ministère de la Justice, sur la base d’un échantillon de 800 personnes détenues tirées au sort en tenant compte des différents types d’établissements pénitentiaires français. Elle révèle que plus de 35% des détenus en France en 2003/2004 sont dépendants aux drogues et plus de 25% des personnes incarcérées souffrent d’alcoolisme.

Pourcentage de détenus touchés par des troubles de l’humeur en France en 2003/2004. Graphique de statistiques

Source : CEMKA-Eval. Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues (CEMKA-Eval) de 2003/2004

37.4% des personnes détenues présentent un syndrome dépressif en France en 2003/2004.

Pourcentage de détenus atteints de troubles anxieux en France en 2003/2004. Graphique de statistiques

Source : CEMKA-Eval. Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues (CEMKA-Eval) de 2003/2004

Plus de 27% des personnes détenues en France en 2003/2004 souffrent d’une anxiété généralisée.

Part des détenus touchés par la psychose en France en 2003/2004. Graphique de statistiques

Source : CEMKA-Eval. Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues (CEMKA-Eval) de 2003/2004

Plus de 20% de la population carcérale en France souffre de psychose en 2003/2004. La schizophrénie touche 8% de l’ensemble des détenus. Elle est la forme de psychose la plus représentée en prison puisqu’elle concerne 36% des personnes incarcérées malades.

Taux de suicide pour 10 000 détenus dans 23 pays du Conseil de l’Europe en 2010/2011. Graphique de statistiques.

Source : Rapport SPACE I 2011 publié à Strasbourg par l’organisation paneuropéenne, basé sur les chiffres des années 2010/2011

En France, en 2010/2011, le taux de suicide dans les prisons est deux fois supérieur à la moyenne constatée dans les 47 pays membres du Conseil de l’Europe. Les suicides interviennent en majorité en début de détention : un quart des suicides a lieu dans les deux mois qui suivent l’incarcération et la moitié dans les six premiers mois. Les prévenus, plus récemment incarcérés et en attente de leur jugement, se suicident deux fois plus que les condamnés. Le taux de suicide augmente avec la gravité de l’infraction. Si la sévérité des troubles psychiatriques affectant les détenus peut expliquer en partie ce fort taux de suicide, ceux-ci ne sont pas induits uniquement par les conditions de vie carcérale : la vulnérabilité psychique des personnes à leur entrée en prison est également à prendre en compte.

Vue générale de la prison de Fresnes. Reproduction

Source : Ecomusée du Val de Bièvre

Le Service Médico-Psychologique Régional de Fresnes (SMPR), rattaché à l’hôpital Paul Guiraud, dépiste le risque suicidaire ainsi que les troubles mentaux présentés par les détenus dans un entretien d’accueil, au moment de leur admission à la prison de Fresnes. Il dispense les psychotropes et réalise des consultations psychothérapiques au long cours au sein de la prison avec les patients volontaires. Il a autorité pour hospitaliser d’office en psychiatrie les détenus présentant des troubles graves et refusant les soins. Ce service accentue ses efforts auprès des toxicomanes, des auteurs d’agressions sexuelles, et dans la prévention du suicide en détention. Enfin, le SMPR assure le suivi psychologique des personnes ex-détenues, avec et sans injonction de soins, au sein de sa consultation externe à Paul Guiraud.

Mur d’enceinte entourant l’UHSA de Villejuif. Photographie

Source : Archives de l’hôpital Paul Guiraud

L’Unité Hospitalière Spécialement Aménagée (UHSA) de l’hôpital Paul Guiraud est un hôpital à part entière situé dans une enceinte sécurisée, surveillée par des personnels pénitentiaires. Sa capacité est de 60 lits. Elle accueille les personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques nécessitant une hospitalisation à temps plein, avec ou sans consentement, issues de toute l’Ile-de-France.

Les chambres d’un étage de l’UHSA de Villejuif. Photographie

Source : Archives de l’hôpital Paul Guiraud

L’Unité Hospitalière Spécialement Aménagée (UHSA) est répartie en 3 structures de soin, suivant l’évolution de l’état psychique du patient, depuis son entrée jusqu’à sa réhabilitation en vue de son retour en cellule ou en secteur psychiatrique : le rez-de-chaussée reçoit les 20 patients les plus en souffrance, principalement hospitalisés d’office, le 1er étage 20 autres patients entrants consentants aux soins, et le 2e étage les patients en voie de stabilisation, qui se préparent pour la sortie. La prise en charge thérapeutique repose sur les 3 S : soins, surveillance et sécurité. Dans un cadre contraignant, des activités de groupe relevant de projets thérapeutiques sont proposées, telles que l’ergothérapie, la relaxation.

L’équipe des cliniciens du Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital (RPH) en 2013. Photographie

Source : Olia Maruani. Archives du RPH

Le Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital - Ecole de psychanalyse, fondé en 1991, forme celles et ceux qui se destinent à occuper la position de psychothérapeute et de psychanalyste. Tous les cliniciens du RPH diplômés d’un titre universitaire, ils sont en psychanalyse personnelle et suivent un enseignement théorico-clinique, dans la tradition des travaux de Sigmund Freud et de Jacques Lacan. Ils reçoivent toute personne en souffrance (enfant, adolescent, adulte), quels que soient ses moyens financiers, dans les Consultations Publiques de Psychanalyse (CPP) situées à Paris, Nanterre et Fresnes. En 2014, ces dispositifs ont assuré plus de 26 000 consultations, parmi lesquelles celles de personnes ex-détenues qui souhaitaient poursuivre leurs traitement psychothérapique au-delà des murs de la prison. Par son action, le RPH vise ainsi à prévenir le passage à l’acte criminel par un meilleur accès aux soins psychiques et à favoriser une amélioration des conditions de vie psychique, affective, sociale et économique des personnes sortant de prison. Plus d’informations sur : www.rphweb.fr