Exhibitions / Du gibet au palais. Les lieux de justice dans l'Ain /
Du gibet au palais. Les lieux de justice dans l'Ain

Première partie. Moyen-Age - 1601

Archives départementales de l'Ain

Vitrail de la chaste Suzanne, allégorie de la bonne justice, Monastère Royal de Brou, Bourg-en-Bresse

Source : © M. Damien

Dans le portail sud de l’église de Brou, une verrière est consacrée à l’histoire de Suzanne. C’est le seul vitrail qui se réfère à l’Ancien Testament. Le livre de Daniel raconte l’histoire de cette chaste femme épiée par deux vieillards alors qu’elle prend son bain. Elle refuse de leur céder : ils l’accusent alors d’adultère et elle est condamnée à mort. Le vitrail de Brou présente l’épisode judiciaire qui réhabilite Suzanne, avec les mauvais juges et le bon juge, le prophète Daniel, qui rétablit la vérité.

Le château de Conflans, à Corveissiat, qui fut le siège du pouvoir administratif et judiciaire de la famille seigneuriale Chambut, jusqu’au 16e siècle

Source : AD Ain, 2 Fi 149

Au Moyen Age, c’est l’empereur ou le roi qui exerce la justice. Ce pouvoir, comme ses autres pouvoirs, est réputé lui être confié par Dieu. Dans le cadre de la société féodale, une part des prérogatives de l’Etat, comme l’action militaire, la réglementation économique, la justice… a été cédée aux seigneurs, qui administrent chacun une partie du territoire.

Une mosaïque de justices

La zone de l’actuel département de l’Ain est gouvernée par le comte de Savoie (devenu duc en 1416), sous la souveraineté lointaine de l’empereur du Saint Empire romain germanique. La principauté de Savoie est elle-même divisée en une multitude de seigneuries, où chaque seigneur détient une part du pouvoir judiciaire.

La justice fait l’objet de nombreuses discussions entre les différents pouvoirs. Quand un délit est jugé, il peut l’être selon le lieu où il a été commis mais aussi selon le statut des personnes concernées. Au 14e siècle, un nommé Cotet de Chandée vole une bûche devant l’église de Polliat : le lieu dépend du seigneur de Chandée, qui veut donc juger l’affaire. Mais Cotet est « l’homme » du comte de Savoie, c’est-à-dire qu’il est placé sous sa sauvegarde personnelle : le châtelain de Bourg, représentant du comte, appelle donc l’affaire devant sa juridiction. Il s’ensuit un contentieux de près de 20 ans…

Les institutions religieuses défendent le droit pour les personnes de statut ecclésiastique, comme les prêtres ou les moines, d’être jugés uniquement par le tribunal de l’évêque, y compris pour les affaires civiles et les crimes.

Certaines catégories de personnes, comme les habitants des villes franches (Bourg, Seyssel, Gex…) bénéficient de privilèges particuliers, par exemple la garantie de ne pas être arrêté si on peut payer une caution ou de ne jamais comparaître devant un tribunal extérieur à sa localité.

Duel judiciaire entre Othon de Grandson et Gérard d’Estavayer, sur la place des Lices de Bourg-en-Bresse en 1397

Source : Diebold Schilling, Amtliche Berner Chronik, vol. 1 - Bibl. de Berne, Mss.h.h.l.1, fol.278

Une justice sans architecture

Le siège du pouvoir est le château du prince ou du seigneur, où se trouve toujours une prison mais pas d’autre lieu spécialement dévolu à l’exercice de la justice. C’est le prince ou le seigneur, où qu’il soit, qui suffit à représenter la justice. Le tribunal peut prendre place n’importe où, dans un bâtiment ou en plein air : le peuple s’assemble autour du seigneur ou de son représentant, dans cet espace parfois matérialisé symboliquement par le tracé d’un cercle.

A Bourg-en-Bresse, la justice du comte de Savoie est rendue dans la cour du château ou sur la place devant la halle et, s’il pleut, sous la halle. En 1401, le châtelain fait construire dans la halle une « loge » pour y tenir le tribunal les jours de mauvais temps. A Gex, la cour de justice comtale se réunit dans une salle haute des halles.

Le château du comte ou du seigneur comprend toujours un ou plusieurs cachots, où les séjours ne durent que quelques jours ou semaines, dans l’attente du jugement ou de l’exécution de la peine : à cette époque, on ne condamne jamais à une peine de prison.

S’il n’existe pas de bâtiment propre à la justice, le pouvoir judiciaire se rend visible dans l’espace public, à travers l’exécution des peines. Dans l’enceinte de la ville ou du village, les condamnés peuvent être fouettés, mutilés ou exécutés ou encore exposés un certain temps au pilori, avec un écriteau indiquant la nature de leur crime. A l’extérieur des agglomérations se dressent les fourches patibulaires, ornées des armoiries du seigneur : elles sont implantées généralement le long d’une voie de communication, si possible sur une butte ou une colline. Elles servent de gibet, pour les pendaisons, mais aussi à prolonger l’image du supplice : les corps des condamnés y restent accrochés, en un ou plusieurs morceaux, jusqu’à décomposition, afin de frapper les esprits.

Le jugement de Dieu ?

A la fin du 14e siècle, Othon, puissant seigneur vaudois (en Suisse) et célèbre poète, est accusé d’avoir favorisé la mort par empoisonnement du comte Amédée VII de Savoie. Ce duel illustre un mode particulier de décision judiciaire : en l’absence de preuves irréfutables et sous l’autorité d’un juge, le duel sert à déterminer qui est dans son bon droit. Othon de Grandson, vaincu, perd la vie et ses biens sont confisqués. Le duel a lieu à Bourg car c’est là que résidait habituellement le jeune comte Amédée VIII, encore mineur à l’époque.

Plan de Bourg-en-Bresse, 1607

Source : AM Bourg-en-Bresse, 3 Fi 16, original conservé à la British Library

Les lieux de justice à Bourg-en-Bresse

Aucun plan de Bourg-en-Bresse n’est conservé pour la période antérieure au 17e siècle. Sur ce plan, bien que peu précis, on peut visualiser l’emplacement du château, désigné par le terme « Palaiz », la place des Lices au nord de ce bâtiment, la halle, ainsi que la place à l’est de la halle, où l’on dressait le pilori pour exposer les condamnés. On y voit aussi la Reyssouze, également un lieu associé à la justice, puisque certains justiciables étaient condamnés à y être noyés dans un sac, comme Claude, bâtard de Chambut, en 1441 « pour ses immenses démérites ».

Un homme d’église entre un juge ecclésiastique et un juge laïc. Décret de Gratien, 13e siècle

Source : Bibl. municipale de Tours, Ms. 558, fol. 164v.

La justice ecclésiastique : un sujet de conflits au Moyen Age

La ville de Belley vers la fin du 16e siècle

Source : AD Ain, 2 Fi 173

Le pouvoir judiciaire des évêques

Ville épiscopale, Belley est le siège du tribunal de l’évêque, qui défend le privilège des clercs d’être jugés par la justice religieuse. Cette prétention est l’occasion de nombreuses querelles avec le comte de Savoie. Le ressort de l’évêché de Belley ne couvre qu’une petite partie du Bugey ; la partie occidentale du territoire actuel de l’Ain dépendait du diocèse de Lyon et la partie orientale du diocèse de Genève.

Pendaison d’Enguerrand de Marigny, ancien conseiller du roi de France Philippe le Bel, en 1315

Source : Bibliothèque nationale de France, ms. Français 2606, fol. 361v

Les fourches : la mort en spectacle

Cette scène illustre l’usage des fourches patibulaires au Moyen Age, utilisées pour l’exécution mais également pour exhiber le crime vaincu, grâce à l’exposition des corps. Grandes Chroniques de France, fin 14e siècle.

Vue de la ville de Chambéry, capitale de la Savoie, en 1618. A gauche, le château, siège du Conseil résident, qui est la justice d’appel pour les habitants de l’Ain

Source : Dessin de Martellange, Bibliothèque nationale de France, fonds Gaston d’Orléans

La justice du comte de Savoie

Le territoire de l’Ain est divisé en châtellenies, administrées par des châtelains, qui représentent le comte et exercent des missions administratives et judiciaires. Assistés par un personnel en nombre limité (greffier, chacipol…), ils jugent les affaires courantes, qui n’encourent pas d’amendes supérieures à 60 sous. Les châtellenies sont regroupées en trois circonscriptions, de Bresse, du Bugey et de Gex, où un juge supérieur, le juge-mage, tranche les affaires plus importantes, lors d’assises tenues annuellement.

La juridiction suprême est celle du comte lui-même. Elle est exercée par son Conseil résident, qui siège à Chambéry : il juge en première instance certaines causes importantes et, en appel, toutes les causes jugées par des justices comtales inférieures ou des justices seigneuriales. Nombre d’habitants de la Bresse, du Bugey ou du Pays de Gex ont fait, jusqu’en 1601, le coûteux voyage vers Chambéry, pour faire avancer leur cause dans une affaire de succession, dans un contentieux financier, dans un procès criminel, ou pour un séjour dans les cachots du château !

Vue nocturne de la façade Nord du château de Chambéry. Plus qu’à vocation défensive, cette puissante résidence est un symbole du pouvoir comtal, notamment aux yeux des justiciables

Source : © Conseil départemental de la Savoie

Le Conseil résident, qui siège à Chambéry, juge en première instance certaines causes importantes et, en appel, toutes les causes jugées par des justices comtales inférieures ou des justices seigneuriales. Nombre d’habitants de la Bresse, du Bugey ou du Pays de Gex ont fait, jusqu’en 1601, le coûteux voyage vers Chambéry, pour faire avancer leur cause dans une affaire de succession, dans un contentieux financier, dans un procès criminel, ou pour un séjour dans les cachots du château.

Enfin, le comte de Savoie peut, à tout moment et où qu’il se trouve, enlever une affaire à la compétence d’une justice seigneuriale ou locale, pour l’appeler devant lui et la faire juger par son conseil, puisqu’il est la source de toute justice.

Procès criminel contre Philibert Comte. Mémoire des faits reprochés, 1584

Source : Archives départementales de Savoie, 2 B 12000

Philibert Comte, originaire de Vonnas, habitant Chaveyriat est accusé de mener une vie scandaleuse, de blasphémer, d’être bigame, d’avoir commis des violences et pillé ses concitoyens… Emprisonné à Bourg, puis transféré à Chambéry, il est interrogé, confronté aux témoins, torturé sans avouer, pour être finalement condamné à mort en juin 1586. Son procès est instruit au bailliage de Bourg-en-Bresse et au Sénat de Savoie.

Procès criminel contre Philibert Comte, lettre du juge-mage de Bresse, 1585

Source : Archives départementales de Savoie, 2 B 12000

Une lettre du dossier est écrite et signée par Antoine Favre, surnommé le « législateur de la Bresse ». Né à Bourg en 1557, il étudie chez les Jésuites de Turin et est reçu docteur en droit à 23 ans. En 1584, il est juge-mage de Bresse. Il quitte la Bresse en 1587 et sera premier président du Sénat de Savoie en 1610 et gouverneur de Savoie en 1617. Il a fondé l’Académie florimontane avec François de Sales. Il est le père de Claude Favre de Vaugelas, baron de Pérouges, un des premiers membres de l’Académie française.

« L’affaire est dans le sac ! » Sacs à procès du Sénat de Savoie

Source : Création artistique, Archives départementales de Savoie

« L’affaire est dans le sac ! » Sacs à procès du Sénat de Savoie

Source : Création artistique, Archives départementales de Savoie

Parmi ces sacs se trouve celui du procès instruit en 1552  contre le concierge des prisons de Bourg-en-Bresse, accusé d’avoir maltraité les prisonniers, surfacturé leur nourriture et accepté de l’argent pour laisser entrer une femme dans la prison.