Carte des bailliages de Bresse, Bugey et Gex

L’année 1601 marque, par le traité de Lyon, le rattachement de la Bresse, du Bugey, du Valromey et du Pays de Gex à la France. Les circonscriptions judiciaires sont composées de trois bailliages, Bresse, Bugey et Gex, qui dépendent en appel du parlement de Dijon. La Souveraineté de Dombes est restée indépendante : la justice y est rendue au parlement, qui siège à Trévoux.

Aux 17e et 18e siècles, la justice est encore multiple. Les pouvoirs administratifs et judiciaires, royaux et seigneuriaux, se juxtaposent, mais la justice royale s’affirme de plus en plus.

Les ressorts judiciaires de 1601 à la fin du 18e siècle

Cette carte met bien en évidence la justice souveraine de Dombes, enclave indépendante du royaume de France. Son existence complique l’exercice de la justice car les limites entre la Souveraineté de Dombes et la France traversent parfois les villages, voire des maisons ! Si un justiciable du roi de France se réfugie en Dombes, il ne peut plus être appréhendé : les contrebandiers, notamment, utilisent couramment cette facilité pour se mettre à l’abri de la justice royale.

Hôtel du bailliage de Belley

Source : AD Ain, 5 Fi 33/140

« Toute justice émane du roi »

La justice royale est marquée par une organisation hiérarchique avec les bailliages, les présidiaux et, au sommet, les parlements. Les bailliages jugent en première instance, et en appel des justices inférieures (châtellenies royales, justices seigneuriales). Le présidial juge les affaires des bailliages en appel et, pour certaines causes peu importantes, en dernier ressort.

Après la victoire contre la Savoie et la conquête de la Bresse et du Bugey, Henri IV réorganise l’administration judiciaire en 1601. Il crée trois bailliages, en Bresse, Bugey et Pays de Gex, siégeant à Bourg, Belley et Gex. Il érige aussi un présidial au siège du bailliage de Bourg : pour les procès civils portant sur des sommes inférieures à 250 livres, le bailliage-présidial juge en dernier ressort et évite ainsi aux justiciables le coûteux voyage à Dijon, siège du parlement. 

L’autorité royale vise l’unification judiciaire mais les tribunaux se sont accumulés et les juridictions s’enchevêtrent encore entre justices royale et seigneuriale. Les juges seigneuriaux tendent de plus en plus à siéger à l’hôtel du bailliage car ils exercent souvent dans plusieurs justices.

Les hôtels de bailliage

Situé dans la grande rue, l'hôtel du bailliage de Belley servit de palais de justice et de prison jusqu’en 1840. Il a été transformé pour devenir la Caisse d’Epargne au début du 20e siècle. Il appartient aujourd’hui à la communauté de communes et abrite l’office de tourisme Bugey Sud – Grand Colombier. Carte postale, début 20e siècle.

Plan de l’hôtel de bailliage de Belley

Source : Paul Cattin, La justice dans l’Ain sous l’Ancien Régime. Répertoire numérique de la série B des Archives départementales de l’Ain, tome 2, p. 12

Les nouveaux hôtels de bailliage

Les juges se professionnalisent et le personnel judiciaire devient plus nombreux (président, lieutenant civil et lieutenant criminel, conseillers, procureur général, greffiers, huissiers, sergents…) : on ne peut plus tenir la justice royale sur la place publique ou sous la halle. Ce sont les hôtels de bailliage qui deviennent les lieux officiels du pouvoir royal judiciaire et administratif. A Bourg-en-Bresse, le bailliage-présidial demeure sur l’emplacement de l’ancien château, situé au cœur de la ville ; les bailliages de  Belley et de Gex sont, eux, installés dans des bâtiments au centre des agglomérations. L’architecture apparaît sobre et classique, ne se distinguant guère des hôtels particuliers et des maisons de l’aristocratie ou de la bourgeoisie.

A Gex, la maison située place des Trois Ormeaux, jouxtant la rue, est achetée par acte du 27 mars 1615 à Pierre de Brosses au nom du roi Louis XIII, pour la somme de 3600 livres. Elle devient le lieu de l’auditoire (tribunal) et des prisons, mais aussi le lieu de réunion des Etats provinciaux du Pays de Gex, qui délibèrent sur les affaires de la province.

L’hôtel du bailliage de Belley s’installe dans l’ancien hôtel de Savoie, place de la Grenette. Le bâtiment comprend les chambres des officiers et des affaires criminelles, les greffes du bailliage et de l’élection et trois cachots. Dans la cour intérieure, est encore visible la tour de l’escalier, vestige de l’ancien palais ducal. Le bâtiment a également accueilli les réunions du conseil de la ville de Belley, jusqu’en 1764.

On n’a que très peu de renseignements sur les décors de ces édifices, assez modestes. A Belley, dans toutes les salles, les murs sont peints en bleu semé de fleurs de lys jaunes.

Les hôtels de bailliage

On notera dans le plan de l’hôtel de bailliage de Belley l’exiguïté des prisons : les prisonniers y sont peu nombreux car ils y séjournent seulement avant leur jugement ou en attendant l’exécution de leur peine (amende, flétrissure, bannissement, départ pour les galères, ou, plus rarement, mort). La prison n’est toujours pas une peine : elle ne le deviendra qu’après la Révolution française.

Ancien hôtel du bailliage de Gex, transformé en gendarmerie en 1892

Source : Carte postale, début 20e siècle. Collection particulière

Les hôtels de bailliage

Les prisons se trouvaient au sous-sol et une partie des locaux était dévolue à l’administration municipale de la ville, ainsi qu’aux juges seigneuriaux.

Acte notarié d’achat, en 1615, de la maison de Pierre de Brosses pour servir d'hôtel de bailliage de Gex

Source : AD Ain, 3 E 30560

Les hôtels de bailliage

La famille de Brosses occupera la charge de bailli du pays de Gex de 1633 à 1770.

Dossier du procès contre Philippe Ancian, curé de la paroisse de Moëns, 1760-1761

Source : AD Ain, 39 B 78

Une affaire jugée au bailliage de Gex

Le prêtre est accusé de tentative d’assassinat, suite à une rixe chez la veuve Burdet, qui réside au hameau de Magny, proche de Ferney. Voltaire témoigne en faveur de  la victime, Joseph Decroze. Après un appel au parlement de Dijon, l’affaire se terminera finalement à l’amiable.

Dossier du procès contre Philippe Ancian, curé de la paroisse de Moëns, 1760-1761

Source : AD Ain, 39 B 78

Dossier du procès contre Philippe Ancian, curé de la paroisse de Moëns, 1760-1761

Source : AD Ain, 39 B 78

Carte du ressort de la justice du comté de Châteauvieux au 18e siècle

Source : Paul Cattin, La justice dans l’Ain sous l’Ancien Régime. Répertoire numérique de la série B des Archives départementales de l’Ain, tome 1, p. 258

Les justices de village

Les justices seigneuriales sont très diverses : les petites justices ne traitent que quelques affaires par an, tandis que les grandes justices seigneuriales, comme celles du comté de Montréal ou du duché de Pont-de-Vaux, comprennent une dizaine d’officiers et relèvent directement en appel du parlement de Dijon.

Peu à peu, la royauté réduit leur champ d’action, par exemple en instituant les « cas royaux », que peut juger seule la justice royale (fausse monnaie, rébellion, révoltes populaires…).

Dès le 17e siècle, des voix s’élèvent pour réclamer la suppression des justices seigneuriales, qui subsisteront toutefois jusqu’à la Révolution.

Une justice seigneuriale

On remarque sur la carte du ressort de la justice du comté de Châteauvieux au 18e siècle l’enchevêtrement des différentes justices seigneuriales. Les limites de justices ne coïncident pas avec les limites des paroisses : ainsi, les habitants du hameau de Soblay, à Saint-Martin-du-Mont, relèvent de la communauté d’habitants de Saint-Martin pour les affaires religieuses et les impôts mais du seigneur de Châteauvieux pour la justice. 

Une affaire jugée en appel au parlement de Dijon

Source : AD Ain, E 309

Le parlement de Dijon

Depuis 1601, le pouvoir souverain est passé du duc de Savoie au roi de France. La Bresse, le Bugey et le Pays de Gex dépendent désormais du parlement de Bourgogne, à Dijon. Lorsqu’un justiciable fait appel, son affaire est jugée en dernier ressort au palais de justice de Dijon. L’architecture de ce bâtiment, agrandi et embelli sans cesse du 16e au 18e siècle, manifeste le pouvoir et le prestige du parlement. Les différentes pièces, salle des pas perdus, grand’chambre, chambre de la tournelle, chambre des requêtes, richement décorées, rappellent l’architecture du parlement de Paris, modèle de tous les parlements du royaume.

Les Bressans, Bugistes ou Gessiens ont fréquenté le palais de justice de Dijon, voire ses prisons, pour toutes sortes d’affaires, civiles ou criminelles. En cas de condamnation à mort, ils sont transportés devant l’église Saint-Jean pour faire amende honorable devant l’effigie d’un saint, exposés à la foule dans la rue puis exécutés place du Morimont. C’est le triste parcours de Marie Bulin, de Montrevel, condamnée pour parricide, crime pour lequel elle eut aussi le poing coupé.

Une affaire jugée en appel au parlement de Dijon

Marie Bulin, de la paroisse de Viriat, et son époux Denis Bret, sont accusés, avec divers complices, d’avoir assassiné Jean Bulin, le père de Marie. Ils sont condamnés à mort par la justice du comté de Montrevel le 2 janvier 1665 et font appel. Cet extrait des registres du parlement de Dijon confirme la condamnation  à mort. Denis Bret, en fuite, sera exécuté « en figure », c’est-à-dire par une représentation imagée. Marie Bulin eut le poing droit coupé selon la peine due au crime de parricide. L’amputation de la main des parricides sera abolie en 1832.

La façade du palais de justice de Dijon au 18e siècle

Source : AD Côte d’Or, 5 NUM 1848

Le bâtiment a conservé sa fonction judiciaire puisqu’il accueille aujourd’hui la cour d’appel de Dijon.

Palais de justice de Dijon : la chambre dorée

Source : Bibliothèque municipale de Dijon, Pho 1-1383

Cette salle, achevée en 1522, est décorée d’un plafond divisé en trente-cinq caissons ornés de motifs illustrant le pouvoir royal. Elle était utilisée pour les séances d’apparat du parlement et est aujourd’hui la salle d'audience de la cour d’appel.

Place du Morimont, ancien lieu d'exécution à Dijon, aujourd'hui place Emile Zola

Source : Photo vers 1900, Bibliothèque municipale de Dijon, Pho 1-1323

Les fourches patibulaires. Plan des limites de la seigneurie de Bohan, avec une rare représentation des fourches patibulaires, 18e siècle

Source : AD Ain, 100 Fi 781

Justices, fourches et piliers 

Les justices royales et seigneuriales, se matérialisent encore, comme au Moyen Age, par les lieux d’exécution et d’exposition concrétisés : les fourches ou piliers de justice. Les fourches patibulaires, formées par plusieurs piliers en pierreet des traverses en bois horizontales, sont placées au bord des routes, souvent en hauteur, afin de matérialiser les limites des seigneuries et des territoires de justice. Le nombre de piliers varie selon l’importance de la seigneurie. Le seigneur de Pont-de-Vaux, reçoit dès 1521 le droit d’ériger des fourches à 4 piliers et tous les instruments de l’exercice de la juridiction. Le marquisat de Bâgé-le-Châtel, a, quant à lui, des fourches à trois piliers, comme celui de Saint-Rambert-en-Bugey. Les fourches sont aussi un symbole du rôle politique du seigneur justicier.

A partir du 16e siècle, l’exécution a lieu de plus en plus souvent en ville et le corps n’est qu’ensuite exposé sur les fourches, afin de montrer le crime puni par la justice et de servir d’exemple pour la communauté. Mais leur rôle d’exécution des peines est de moins en moins fréquent, car la condamnation à mort reste rare en proportion des affaires criminelles jugées. Tombées peu à peu en désuétude, elles cessent d’être utilisées à la Révolution.

Ces constructions ont laissé des traces, de nos jours, dans les paysages et dans la toponymie : les pierres de Courmangoux (Revermont), le pilier de justice de Genay (dans le Rhône, anciennement dans l’Ain) ou de nombreux noms de lieudits « Les Fourches », comme à Gex, Saint-Trivier-sur-Moignans ou Songieu.

Extrait du plan de la seigneurie et juridiction de la baronnie de Belvey, avec des piliers de justice, 18e siècle

Source : Collection particulière

Aujourd'hui, le château se situe sur la commune de Dompierre-sur-Veyle. La légende indique : « pilier de justice qui sépare celle de Montugon planté sur les terres du seigneur de Belvey ». Les terres du baron de Belvey étaient limitrophes de celles de la seigneurie de Monthugon, appartenant aux religieux de l’abbaye cistercienne de Chassagne (commune de Crans).

Carte du département de l’Ain signalant les communes où on retrouve des traces de fourches patibulaires et de piliers de justice dans les noms de lieux, le sol ou des vestiges archéologiques

Source : SEV Communication, Corinne Lamborot

Elévation de terre qui supportait les fourches patibulaires de Chézery (Pays de Gex)

Source : Extrait du plan de Durieu, 1753. Copyright Ghislain Lancel, Patrimoine et Histoire de Champfromier

Ce monticule est dessiné et nommé « patibule » sur un plan de 1753. Il est situé à la limite des terres du seigneur de Chézery et de celles du prieuré de Nantua. Les fourches patibulaires, placées au sommet, étaient bien visibles des passants.

Elévation de terre qui supportait les fourches patibulaires de Chézery (Pays de Gex)

Source : © Ghislain Lancel

Pierres des piliers des fourches patibulaires au lieu-dit Plain Champ, à Courmangoux (Revermont)

Source : © Sébastien Calland

Pierres des piliers des fourches patibulaires au lieu-dit Plain Champ, à Courmangoux (Revermont)

Source : © Sébastien Calland

Lieu-dit « Les Fourches » à Saint-Trivier-sur-Moignans, situé sur l’ancienne limite de la seigneurie de Saint-Trivier, en Dombes

Source : © Département de l’Ain/Archives départementales/C. Renoux

Le site est en hauteur par rapport à la route départementale. 

Lieu-dit « Le Mollard des Fourches » à Cormaranche-en-Bugey, où étaient situées les fourches patibulaires

Source : © Association Le Dreffia, Bernadette Lavaure