« La Justice et la Vengeance divine poursuivant le crime », 19e siècle, par Joannon-Navier d’après Prud’hon

Source : © Philophoto, Philippe Milliroux (Gex)

Quatre personnages sont représentés sous forme d’allégories : le crime, la victime, Thémis la Justice et Némésis la Vengeance divine. L’éclairage lunaire souligne la figure à l’antique de la Justice portant le glaive et la balance du jugement, repliée car celui-ci est déjà rendu. Pierre-Paul Prud’hon a peint ce tableau, aujourd’hui intégré aux collections du Musée du Louvre, en 1808, pour la cour criminelle du palais de justice de Paris. Il a fait l’objet de nombreuses copies au 19e siècle. Cet exemplaire, actuellement exposé dans l’hôtel de ville de Gex, était un élément du décor du palais de justice de Gex, jusqu’à sa fermeture en 1946.

Lithographie éditée à l’occasion de la pose de la première pierre du palais de justice de Nantua, 1840

Source : AD Ain, 4 N 143

Avec la Révolution, les justices seigneuriales sont définitivement supprimées : la justice est rendue exclusivement par l’Etat. Et un nouveau cadre territorial apparaît. En 1790, la France est divisée en départements, eux-mêmes découpés en  arrondissements, cantons et communes. Pour la première fois, c’est dans un même cadre territorial que va s’exercer le pouvoir dans toutes ses composantes : administrative, fiscale, religieuse, judiciaire...

Le palais de justice de Lyon, vu depuis la passerelle sur la Saône

Source : © Jean-François Bogue

Le nouveau palais de justice de Lyon, qui abrite la cour d’appel et le tribunal de l’arrondissement de Lyon, est construit entre 1835 et 1848 par l’architecte Louis-Pierre Baltard. Appelé « palais des vingt-quatre colonnes », c’est un des plus majestueux édifices néo-classiques français. Le décor des salles ornées de boiseries demeure intact. Une restauration de l’édifice, classé Monument Historique, a eu lieu de 2008 à 2012.

Un nouveau cadre territorial pour la justice

De nouvelles juridictions sont mises en place sous la Révolution. A chaque ressort  territorial correspond un niveau de juridiction : une cour d’assises par département, un tribunal par arrondissement et une justice de paix par canton.

Les tribunaux civils et correctionnels sont créés aux chefs-lieux de chaque arrondissement par la loi du 18 mars 1800. Dans l’Ain, ils sont installés à Belley, Bourg-en-Bresse, Nantua et Trévoux, puis à Gex en 1814 avec le rattachement du Pays de Gex au département de l’Ain. En matière civile, les tribunaux statuent en première instance sur toutes les affaires de droit commun comme les divorces, les contentieux entre un client et un entrepreneur, ainsi que les affaires commerciales quand il n’y a pas de tribunal de commerce. Ils jugent en dernier ressort sur les appels des décisions des juges de paix. En matière pénale, ces tribunaux jugent tous les délits condamnables à des peines inférieures à cinq ans de prison.

A partir de la fin du 19e siècle, de nombreux projets de réforme se sont succédés. Après la Grande Guerre, un seul projet est appliqué, en 1926.  Les tribunaux d’arrondissement sont supprimés et remplacés par un tribunal départemental, scindé en sections. Dans l’Ain, on eut deux sections : l’une à Bourg (comprenant les arrondissements de Bourg et Trévoux) et l’autre à Nantua (pour les arrondissements de Belley, Gex et Nantua). Il n’y a donc plus de tribunaux à Belley, Gex et Trévoux. La réforme, imposée dans l’urgence, au nom d’impératifs financiers, ne résiste pas à la mobilisation des élus locaux et de l’opinion et, en 1930, tous les tribunaux d’arrondissement de l’Ain sont rétablis.

Cependant, un premier mouvement de concentration des juridictions a lieu en 1946, avec la suppression du tribunal de première instance de Gex. Le Pays de Gex est alors rattaché au tribunal de Nantua.

A partir de la Révolution, le département de l’Ain est rattaché à la cour d’appel de Lyon : c’est cette juridiction qui rend des arrêts, quand il y a appel des jugements rendus dans les tribunaux d’arrondissement.

La salle d'audience du palais de justice de Belley avec les magistrats (juge et procureur à gauche, président et assesseur au centre) en 1943

Source : AD Ain, fonds Bernard, 68 Fi 21399

Des palais pour la justice

Au début du 19e siècle, les palais de justice demeurent dans les anciens hôtels de bailliage. La construction de palais dans chaque arrondissement va s’opérer progressivement. Le décret impérial du 9 avril 1811 concède aux Départements la propriété des bâtiments abritant les services publics, notamment les tribunaux et les prisons.

A Bourg, le palais de justice est aménagé avec la prison en 1816, à l’emplacement de l’ancien château et de l’ancien bailliage. Réaménagé en 1860 et en 1885, il présente une architecture classique avec une façade sobre donnant sur la rue du palais.

A Belley, le palais de justice est maintenu dans l’ancien hôtel de bailliage jusqu’au milieu du 19e siècle. La reconstruction du tribunal et des prisons s’étend de 1838 à 1840. 3.2 

De 1790 à 1896, le palais de justice de Gex occupe les locaux de l’ancien hôtel du bailliage et les partage avec les bureaux de l’hôtel de ville. Les prisons occupent les sous-sols et l’aile du bâtiment jusqu’en 1849. Entre 1870, date de la construction du nouvel hôtel de ville, et 1886, le palais de justice occupe l’ensemble du bâtiment. Le département de l’Ain décide la construction d’un nouveau palais de justice, en 1883, sur un terrain contigu à la maison d'arrêt. Le tableau La Justice et la Vengeance divine poursuivant le crime décorait la salle d’audience, il se trouve aujourd’hui dans l’hôtel de ville de Gex.

A Nantua, le premier bâtiment affecté au palais de justice et aux prisons est une aile de l’ancienne abbaye Saint-Pierre. Des travaux de réparations urgentes réalisés en 1829 ne suffisent pas et incitent à lancer un projet de reconstruction à partir de 1832. Le terrain de l’ancien cimetière est acquis pour servir d’emplacement au nouveau tribunal dont la construction est confiée à l’architecte Adrien Waroquet. La première pierre est posée le 4 juillet 1840 en présence des personnalités officielles et la construction se termine en 1854. 3.4

Le palais de justice de Trévoux est le seul à demeurer dans les locaux antérieurs à la Révolution : l’ancien bâtiment du Parlement de Dombes, où la justice s’exerce encore aujourd’hui. Des travaux de réaménagement sont exécutés par les architectes départementaux mais la somptueuse salle d’audience, avec son décor peint du 17e siècle, est conservée.

Les nouveaux palais de justice sont tous proches dans leur conception, avec un style néo-classique, inspiré de l’Antiquité, une façade à fronton et un escalier. Leur architecture sobre, soulignant l’autorité est conçue pour impressionner et inspirer le respect.

« Le cabinet d’instruction au palais de justice de Belley », fin du 19e siècle

Source : Bibliothèque municipale de Lyon, Ms 7056, f. 4v. © Bibliothèque municipale de Lyon

Le juge Fourquet dans son bureau du palais de justice de Belley, face à Joseph Vacher. Joseph Vacher a été arrêté, jugé et condamné dans l’Ain pour un crime effectué dans le Bugey. Mais il en avoua beaucoup d’autres commis dans toute la France. Le juge Fourquet, en précurseur du profilage, parvint à établir le lien entre toutes les affaires. Ce procès, célèbre dans le monde entier, est étudié à l’Ecole Nationale de la Magistrature comme exemple du travail du juge d’instruction. Le film de Bertrand Tavernier Le Juge et l’assassin est inspiré de cette affaire.

Salle des appels correctionnels du palais de justice de Lyon

Source : © Jean-François Bogue

La salle des appels correctionnels du palais de justice de Lyon est appelée salle d’ Aguesseau du nom du juriste, avocat et Garde des Sceaux du début du 17e siècle. Le décor est très riche avec les boiseries alternant différentes essences et couleurs, le plafond à caissons de bois sculpté, les colonnes à chapiteaux corinthiens et les panneaux de soieries.

Plan du bâtiment de la justice de paix de Seyssel, 1859. Il abritait une grenette, au rez-de-chaussée, la justice de paix et la mairie au 1er étage

Source : Archives municipales de Seyssel, 1 M 1

Plan du bâtiment de la justice de paix de Seyssel, 1859. Il abritait une grenette, au rez-de-chaussée, la justice de paix et la mairie au 1er étage

Source : Archives municipales de Seyssel, 1 M 1

Vue actuelle de l’ancien bâtiment de la justice de paix de Seyssel

Source : © Département de l’Ain/Archives départementales/C. Skrzat

Portrait de Joseph Joachim Pitre. Né le 10 novembre 1828 à Foissiat, ancien notaire à Saint-Didier-d’Aussiat, il est nommé juge de paix à Pont-de-Vaux en 1870

Source : Collection particulière

Une justice de proximité : les justices de paix

En 1790, on met en place un juge de paix dans chaque canton. Dans l’Ain, il y eut 49 justices de paix dans chaque chef-lieu de canton, plus six justices de paix de ville pour Bourg, Belley, Montluel, Nantua, Pont-de-Vaux et Trévoux. En 1808, il ne restait plus que 32 cantons dans l’Ain (sans compter toutefois les 3 justices de paix du Pays de Gex, qui était à cette époque rattaché au département du Léman). Des modifications ont eu lieu jusqu’en 1958, date de la suppression des justices de paix.

Les compétences des juges de paix sont civiles, conciliatrices, gracieuses et pénales. Le rôle de conciliation vise à privilégier l’arrangement à l’amiable, afin d’éviter les procès. Ils jugent au civil de nombreuses petits litiges comme les droits de passage, bornages, rixes ou encore conflits entre patrons et salariés. Ils règlent des affaires de famille comme les tutelles et les curatelles, à un moment où la mortalité importante laisse de nombreux enfants orphelins. Nommés par le préfet, ils ont joué un rôle social et politique extrêmement important pendant un siècle et demi, par leur proximité avec la population.

Les bâtiments des justices de paix sont aménagés dans les hôtels de ville ou, parfois, dans un bâtiment spécifique. Les communes se chargent de concevoir le bâtiment avec la validation et l’appui financier de la préfecture.

Les lieux d’exécution des peines

Les condamnés à des peines de moins de cinq ans de prison doivent exécuter leurs peines dans les prisons d’arrondissement, installées à proximité des palais de justice. Au-delà de cinq ans de prison, les condamnés partent pour des prisons centrales comme Clairvaux (Aube) ou Riom (Puy-de-Dôme) ou encore au bagne.

Les exécutions sont publiques et la foule se presse pour y assister. A partir de 1792, le seul mode de mise à mort est la guillotine. A Bourg-en-Bresse, les exécutions ont lieu place du champ de Mars, parfois sur le champ de foire. Le dernier condamné à mort exécuté en public, est, semble-t-il, Joseph Vacher, tueur en série condamné à mort par la cour d’assises de l’Ain et guillotiné le 31 décembre 1898.

Procès-verbal de gendarmerie et jugement par le juge de paix de Bâgé-le-Châtel

Source : AD Ain, 4 U 158 et 4 U 175

En 1890, à Saint-Laurent-sur-Saône, Claudine Gallion, une marchande de volailles, a jeté à la figure du cordonnier Favier le contenu de son pot de chambre. Cette affaire, résultant d’un conflit de voisinage, accompagné d’insultes répétées, est représentative du type d’affaires gérées par les juges de paix. Claudine Gallion est condamnée à une amende.

Règlement de l'usine de filature de la Lorze, à Bellegarde-sur-Valserine

Source : AD Ain, 4 U 973

Le juge de paix a des compétences en matière de droit du travail : il reçoit en dépôt les conventions collectives et les règlements d’usines, quand il n’existe pas de conseil des prud’hommes. Il est également compétent pour les litiges sur les contrats de travail et reçoit les déclarations d’accidents du travail.