Landmarks / Textes relatifs aux peines et aux prisons en France / De la Monarchie de Juillet à 1914 /

Loi du 14 août 1885

Loi sur les moyens de prévenir la récidive (libération conditionnelle, patronage, réhabilitation)


Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

TITRE 1er - Régime disciplinaire des établissements pénitentiaires et libération conditionnelle.

Article 1er.
Un régime disciplinaire, basé sur la constatation journalière de la conduite et du travail, sera institué dans les divers établissements pénitentiaires de France et d’Algérie, en vue de favoriser l’amendement des condamnés, et de les préparer à la libération conditionnelle.

Art. 2.
Tous condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines emportant privation de la liberté peuvent, après avoir accompli trois mois d’emprisonnement, si les peines sont inférieures à six mois, ou dans le cas contraire, la moitié de leurs peines, être mis conditionnellement en liberté, s’ils ont satisfait aux dispositions règlementaires fixées en vertu de l’article premier.
Toutefois, s’il y a récidive légale, soit aux termes des articles 56 à 58 du code pénal, soit en vertu de la loi du 27 mai 1885 (lire le texte), la durée de l’emprisonnement est portée à six mois, si les peines sont inférieures à neuf mois, et aux deux tiers de la peine dans le cas contraire.
La mise en liberté peut être révoquée en cas d’inconduite habituelle et publique dûment constatée ou d’infraction aux conditions spéciales exprimées dans le permis de libération.
Si la révocation n’est pas intervenue avant l’expiration de la durée de la peine, la révocation est définitive.
Au cas où la peine qui aurait fait l’objet d’une décision de libération conditionnelle devrait être suivie de la relégation, il pourra être sursis à l’exécution de cette dernière mesure, et le condamné sera, en conséquence, laissé en France, sauf le droit de révocation, ainsi qu’il est dit au présent article.
Le droit de révocation prendra fin, en ce cas, s’il n’en a été fait usage pendant les dix années qui auront suivi la date de l’expiration de la peine principale.

Art. 3.
Les arrêtés de mise en liberté sous conditions et de révocation sont pris par le Ministre de l’intérieur :
S’il s’agit de la mise en liberté, après avis du préfet, du directeur de l'établissement ou de la circonscription pénitentiaire, de la commission de surveillance de la prison et du parquet près le tribunal ou la cour qui a prononcé la condamnation.
Et, s’il s’agit de la révocation, après avis du préfet et du procureur de la République de la résidence du libéré.

Art. 4.
L’arrestation du libéré conditionnel peut toutefois être provisoirement ordonnée par l’autorité administrative ou judiciaire du lieu où il se trouve, à la charge d’en donner immédiatement avis au ministre de l’intérieur.
Le ministre prononce la révocation s’il y a lieu.
L’effet de la révocation remonte au jour de l’arrestation.

Art. 5.
La réintégration a lieu pour toute la durée de la peine non subie au moment de la libération.
Si l’arrestation provisoire est maintenue, le temps de sa durée compte pour l’exécution de la peine.

Art. 6.
Un règlement d’administration publique déterminera la forme des permis de libération, les conditions auxquelles ils peuvent être soumis et le mode de surveillance spéciale des libérés conditionnels.
L’administration peut charger les sociétés ou institutions de patronage de veiller sur la conduite des libérés qu’elle désigne spécialement et dans les conditions qu’elle détermine.

TITRE II - Patronage

Art. 7.
Les sociétés ou institutions agréées par l’administration, pour le patronage des libérés, reçoivent une subvention annuelle en rapport avec le nombre des libérés réellement patronnés par elles, dans les limites du crédit spécial inscrit dans la loi de finances.

Art. 8.
Dans le cas du paragraphe 2 de l’article 6, l’administration alloue à la société ou institution de patronage une somme de cinquante centimes par jour, pour chaque libéré, pendant un temps égal à celui de la durée de la peine restant à courir, sans que cette allocation puisse dépasser cent francs.

Disposition transitoire

Art. 9.
Avant qu’il ait pu être pourvu à l’exécution des articles 1, 2 et 6, en ce qui touche la mise en pratique du régime d’amendement et le règlement d’administration publique à intervenir, la libération conditionnelle pourra être prononcée à l'égard des condamnés qui en auront été reconnus dignes, dans les cas prévus par la présente loi, trois mois au plus tôt après sa promulgation.

TITRE II - Réhabilitation 

Art. 10.
Les articles 630, 631 et 632 du code d’instruction criminelle sont supprimés. 
Les articles 621, 624, 628, 629, 633 et 634 du même code sont modifiés ainsi qu’il suit :

« Art. 621 - Le condamné a une peine afflictive ou infamante ne peut être admis à demander sa réhabilitation, s’il n’a résidé dans le même arrondissement depuis cinq années, et pendant les deux dernières dans la même commune.
Le condamné à une peine correctionnelle ne peut être admis à demander sa réhabilitation, s’il n’a résidé dans le même arrondissement depuis trois années, et pendant les deux dernières années dans la même commune.
Les condamnés qui ont passé tout ou partie de ce temps sous les drapeaux, ceux que leur profession oblige à des déplacements inconciliables avec une résidence fixe, pourront être affranchis de cette condition, s’ils justifient, les premiers, d’attestations satisfaisantes de leurs chefs militaires, les seconds, de certificats de leurs patrons ou chefs d’administration constatant leur bonne conduite.
Ces attestations et certificats sont délivrés dans les conditions de l’article 624.

Art. 623. - Il doit, sauf le cas de prescription, justifier du paiement des frais de justice, de l’amende et des dommages-intérêts, ou de la remise qui lui en a été faite.
A défaut de cette justification, il doit établir qu’il a subi le temps de contrainte par corps déterminé par la loi, ou que la partie lésée a renoncé à ce moyen d’exécution.
S’il est condamné pour banqueroute frauduleuse, il doit justifier du paiement du passif de la faillite en capital, intérêts et frais, ou de la remise qui lui en a été faite.
Néanmoins, si le demandeur justifie qu’il est hors d'état de se libérer des frais de justice, la cour peut accorder la réhabilitation même dans le cas où ces frais n’auraient pas été payés ou ne l’auraient été qu’en partie.
En cas de condamnation solidaire, la cour fixe la part des frais de justice, des dommages-intérêts ou du passif qui doit être payé par le demandeur.
Si la partie lésée ne peut être retrouvée, ou si elle refuse de recevoir, il est fait dépôt de la somme due à la Caisse des dépôts et consignation, dans la forme des articles 812 et suivant du code de procédure civile ; si la partie ne se présente pas dans un délai de cinq ans, pour se faire attribuer la somme consignée, cette somme est restituée au déposant sur sa simple demande.

Art 624. - Le Procureur de la République provoque des attestations des maires des communes où le condamné a résidé, faisant connaître :
1° La durée de sa résidence dans chaque commune, avec indication du jour où elle a commencé et de celui où elle a fini ;
2° Sa conduite pendant la durée de son séjour ;
3° Ses moyens d’existence pendant le même temps.
Ces attestations doivent contenir la mention expresse qu’elles ont été rédigées pour servir à l’appréciation de la demande en réhabilitation. 
Le procureur de la République prend, en outre, l’avis des juges de paix des cantons et celui des sous-préfets des arrondissements où le condamné a résidé.

Art. 628. - La cour, le procureur général et la partie ou son conseil entendus, statue sur la demande.
Art. 629. - En cas de rejet, une nouvelle demande ne peut être formée avant l’expiration d’un délai de deux années.

Art. 633. - Si la réhabilitation est prononcée, un extrait de l’arrêt est adressé par le procureur général à la cour ou au tribunal qui a prononcé la condamnation, pour être transcrit en marge de la minute de l’arrêt ou du jugement. Mention en est faite au casier judiciaire. Les extraits délivrés aux parties ne doivent pas relever la condamnation.
Le réhabilité peut se faire délivrer une expédition de la réhabilitation et un extrait de casier judiciaire sans frais.

Art. 634. - La réhabilitation efface la condamnation et fait cesser pour l’avenir toutes les incapacités qui en résultaient.
Les interdictions prononcées par l’article 612 du code de commerce sont maintenues, nonobstant la réhabilitation obtenue en vertu des dispositions qui précèdent.
Les individus qui sont en état de récidive légale, ceux qui, après avoir obtenu la réhabilitation, auront encouru une nouvelle condamnation, ne seront admis au bénéfice des dispositions qui précèdent qu’après un délai de dix années écoulées depuis leur libération.
Néanmoins, les récidivistes qui n’auront subi aucun peine afflictive ou infamante, et les réhabilités qui n’auront encouru qu’une condamnation à une peine correctionnelle, seront admis au bénéfice des dispositions qui précèdent, après un délai de six années écoulées depuis leur libération ».

Art. 11.
La présente loi est applicable aux colonies, sous réserve des dispositions des lois ou règlements spéciaux relatifs à l’exécution de la peine des travaux forcés.

Art. 12.
Un rapport sur l’exécution de la présente loi, en ce qui touche la libération conditionnelle, sera présenté chaque année par le ministre de l’intérieur à M. le Président de la République.

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’Etat.

Fait à Mont-sous-Vaudrey, le 14 août 1885.

JULES GRÉVY

par le Président de la République :
Le Ministre de l’intérieur,
H. ALLAIN-TARGÉ