Le procès de Louis XVI est parfois considéré comme le premier procès politique moderne, l’assemblée législative et la Convention se transformant en « cour de justice » pour juger l’ennemi de la Révolution. Si presque tous les députés sont convaincus de la trahison et de la culpabilité du roi, ils s’interrogent sur plusieurs questions, objets d’oppositions tranchées : peut-il être jugé ? Faut-il faire appel au peuple, quelle sera la sentence ? Et la mort votée, faut-il accorder le sursis à exécution ? Le 19 janvier 1793, le sursis étant écarté, Louis XVI est exécuté le 21 janvier. Sur l’usage de la peine capitale en matière politique, la très grande majorité des révolutionnaires, à l’égal de Saint-Just qui prononce en ce domaine l’un des discours les plus rigoureux, sont convaincus de sa nécessité, comme l’étaient d’ailleurs Beccaria et tous les philosophes désireux de réduire l’application de la peine de mort ou de l’abolir. La voix de Condorcet est donc bien isolée, et est d’ailleurs interprétée, sur le moment, comme une manœuvre destinée à retarder le dénouement, plutôt que comme une conviction profonde.
8. Peine de mort et répression politique
Plan du chapitre
Exécution de Louis XVI (21 janvier 1793)
« Juger un roi comme un citoyen ! ce mot étonnera la postérité froide. Juger, c’est appliquer la loi...
... Une loi est un rapport de justice. Quel rapport de justice y a-t-il donc entre l’humanité et les rois ? Qu’y a-t-il de commun entre Louis et le peuple français, pour le ménager après sa trahison ? Il est telle âme généreuse qui dirait dans un autre temps que le procès doit être fait à un roi, non point pour les crimes de son administration, mais pour celui d’avoir été roi : car rien au monde ne peut légitimer cette usurpation ; et de quelques illusions, de quelques conventions que la royauté s’enveloppe, elle est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s’élever et de s’armer ; elle est un de ces attentats que l’aveuglement même de tout un peuple ne saurait justifier. Ce peuple est criminel envers la nature par l’exemple qu’il a donné. Tous les hommes tiennent d’elle la mission secrète d’exterminer la domination en tout pays. On ne peut point régner innocemment, la folie en est trop évidente.
Tout roi est un rebelle et un usurpateur. Les rois même traitaient-ils autrement les prétendus usurpateurs de leur autorité ?… On nous dit que le roi doit être jugé par un tribunal comme les autres citoyens ; mais les tribunaux ne sont établis que pour les membres de la cité. Comment un tribunal aurait-il la faculté de rendre un maître à sa patrie et l’absoudre ? Comment la volonté générale serait-elle citée devant lui ? Citoyens, le tribunal qui doit juger Louis XVI n’est point un tribunal judiciaire, c’est un conseil ; et les lois que nous avons à suivre sont celles du droit des gens… »
Source : Explication du vote de Condorcet sur la question « Quelle peine Louis, ci-devant roi des Français, a-t-il encourue ? » Extrait des Archives parlementaires, tome LVII, séance des 16-17 janvier 1793, p. 384
« Toute différence de peine pour les mêmes crimes est un attentat contre l’égalité. La peine contre les conspirateurs, est la mort. Mais cette peine est contre mes principes, je ne la voterai jamais. Je ne puis voter la réclusion, car nulle loi ne m’autorise à la porter. Je vote pour la peine la plus grave dans le Code pénal, et qui ne soit pas la mort. »
Source : Extrait du discours de Saint-Just, 13 novembre 1792 (cité par Albert Soboul, Le procès de Louis XVI, Paris, Julliard, coll. Archives, 1966, p. 71-76)
Exécution de Marie-Antoinette (16 octobre 1793)
Marie-Antoinette est traduite devant le Tribunal révolutionnaire les 14, 15 et 16 octobre qui la juge coupable d’intelligence avec l’ennemi et de complot contre la République.
La Révolution : l’appel des condamnés
Les personnes condamnées par le Tribunal révolutionnaire n’ont que peu de temps à vivre avant l’appel de leur nom pour aller subir le supplice. C’est le moment d’écrire une dernière lettre à ses proches, puis, à l’arrivée du geôlier, de faire ses adieux.
Joseph Lebon et la répression dans le Pas-de-Calais
Gravure antiterroriste de 1795, par Poirier et Montgey, stigmatisant la répression conduite par le représentant en mission Joseph Lebon dans le Pas-de-Calais du 23 octobre 1793 au 28 juillet 1794. Le Tribunal révolutionnaire créé dans ce département a prononcé plus de 550 condamnations capitales en un peu moins de six mois. La gravure allégorique représente un monstre sous la forme humaine posté entre les deux guillotines d’Arras et de Cambray, tenant deux calices dans lesquels il s’abreuve du sang de ses nombreuses victimes immolées. Il est monté sur des groupes de cadavres entassés les uns sur les autres, avec à ses côtés deux furies qui animent des animaux dévorant les restes des malheureuses victimes qu’elles ne peuvent plus tourmenter… (d'après la légende de la gravure)
Guizot contre la peine de mort en matière politique (1822)
François Guizot (1887-1874), historien, a été haut fonctionnaire aux ministères de la Justice et de l’Intérieur au début de la Restauration ; mais partisan d’une politique de « juste-milieu » entre ultras du royalisme et héritiers de la tradition révolutionnaire, il est révoqué après l’assassinat du duc de Berry (1820) et devient l’un des chefs de l’opposition libérale au gouvernement de Charles X. Dans le contexte de l'exécution de Louvel auteur d’un attentat contre le duc de Berry (1820) et de la répression des « complots » de sociétés secrètes liées à la Charbonnerie – exécution des 4 Sergents de la Rochelle le 22 septembre 1822 sur la place de la Grève à Paris –, Guizot prend conscience de l’inutilité et même des dangers de la peine de mort en matière politique pour les pouvoirs en place. Il argumente en ce sens en publiant en 1822 De la peine de mort en matière politique. L’extrait cité de ses Mémoires résume bien sa démonstration : si la peur du châtiment suprême impressionne quelques opposants, elle suscite chez d’autres, quand il est appliqué, un désir de vengeance et confère l’auréole de martyr aux victimes de la répression. Au final, cet excès répressif se retourne contre le régime en place qui en sort affaibli. C’est donc essentiellement pour des raisons de « bonne politique » que Guizot préconise l’abandon de la peine de mort en matière politique, proposant de la remplacer par l’exil et la déportation, mesure adoptée sous la Seconde République.
Source : Extrait de François Guizot, Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps, Tome premier, Paris, M. Lévy frères, 1858, p. 304-308
« Les deux écrits que je publiai en 1821 et 1822, intitulés l’un, Des Conspirations et de la Justice politique, l’autre, De la Peine de mort en matière politique, ne furent point, de ma part, des actes d’opposition ; je m’appliquai à leur retirer ce caractère. Pour en marquer avec précision le sens et le but, il me suffisait d’en rappeler les deux épigraphes ; je plaçai en tête du premier ces paroles du prophète Isaïe : « Ne dites point conjuration toutes les fois que ce peuple dit conjuration » et en tête du second celles de Saint-Paul : O sépulcre, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? » J’avais à cœur de convaincre le pouvoir lui-même que la bonne politique comme la vraie justice lui conseillaient de rendre les procès politiques et les exécutions capitales très rares, et qu’en déployant, contre tous les faits qui pouvaient la provoquer, toute la rigueur des lois, il se créait bien plus de périls qu’il n’en écartait. Le sentiment public était d’accord avec le mien : les hommes sensés et indépendants, étrangers aux passions des partis engagés dans la lutte, trouvaient, comme moi, qu’il y avait excès dans l’action de la police au milieu des complots, excès dans le nombre et l’âpreté des poursuites, excès dans l’application des peines légales…
J’ai vécu dans un temps de complot et d’attentats politiques, dirigés tantôt contre des pouvoirs auxquels j’étais étranger et même opposant, tantôt contre des pouvoirs que je soutenais avec ardeur. J’ai vu les conspirateurs tantôt impunis, tantôt frappés avec toute la rigueur des lois. Je demeure convaincu que, dans l’état actuel des esprits, des cœurs et des mœurs, la peine de mort est contre de tels actes une mauvaise arme, qui blesse grièvement les pouvoirs empressés à s’en servir pour se sauver. Non que la vertu comminatoire et préventive manque à cette peine ; elle effraye et détourne des complots bien des gens qui seraient tentés d’y entrer. Mais à côté de ce salutaire effet, elle en produit d’autres qui sont funestes. Ne tenant aucun compte des motifs et des dispositions qui ont poussé les hommes aux actes qu’elle punit, elle frappe du même coup le pervers et le rêveur, l’ambitieux déréglé et le fanatique dévoué ; et par cette grossière confusion elle offense plus de sentiments moraux qu’elle n’en satisfait ; elle irrite encore plus qu’elle n’effraye ; elle émeut de pitié les spectateurs indifférents, et apparaît aux intéressés comme un acte de guerre qui revêt faussement les formes d’un arrêt de justice. L’intimidation qu’elle inspire d’abord s’affaiblit de jour en jour, tandis que la haine et la soif de vengeance qu’elle sème dans les cœurs s’enveniment et se répandent. Et un jour arrive où le pouvoir qui s’est cru sauvé se voit assailli par des ennemis bien plus nombreux et plus acharnés que n’étaient ceux dont il s’est défait.
Un jour viendra aussi, j’en ai la confiance, où, pour les délits purement politiques, les peines du bannissement et de la déportation, bien graduées et sérieusement appliquées, seront, en droit comme en fait, substituées à la peine de mort. En attendant, je compte parmi les meilleurs souvenirs de ma vie d’avoir vivement réclamé, à ce sujet, la vraie justice et la bonne politique dans un temps où elles étaient compromises par les passions des partis et les périls du pouvoir. »
1848 : abolition de la peine de mort en matière politique
Louis-Antoine Garnier-Pagès (1803-1878) est une des figures de la Révolution de 1848. Député depuis 1842, il participe à la campagne des banquets qui ébranlent le régime de la Restauration et sera après février 1848 maire de Paris et membre du Gouvernement provisoire. Ses souvenirs éclairent bien le contexte de l’abolition de la peine de mort en matière politique, dans la fièvre des journées révolutionnaires de février. Le décret du 26 février, présenté sur le balcon de l’Hôtel de ville par Lamartine, avec une emphase lyrique bien dans le style de ces journées, vise en fait à écarter le spectre de la Terreur, associée à l’idée de République dans une partie de l’opinion. Il a également pour objectif de prévenir une éventuelle protestation populaire qui soupçonnerait les nouveaux dirigeants de vouloir épargner les anciens dirigeants si des poursuites étaient dirigées contre eux. Le souvenir du procès des ministres de Charles X en 1830 est toujours présent et Lamartine lui-même avait alors imploré le peuple – par son Ode contre la peine de mort – de ne pas exercer sa vengeance. L’abolition de la peine de mort, limitée aux délits politiques, entre donc dans une politique de pacification, visant à ne pas inquiéter l’ancien personnel politique.
[Sur le perron de l’Hôtel de ville] « … Lamartine, le décret à la main, s’exprima ainsi :
« …Enfin, messieurs, le Gouvernement provisoire a voulu vous apporter lui-même le dernier des décrets qu’il vient de délibérer et de signer dans cette mémorable séance : l’abolition de la peine de mort en matière politique. (Bravos unanimes)
C’est le plus beau décret, messieurs, qui soit jamais sorti de la bouche d’un peuple le lendemain de sa victoire. (Oui ! oui !)
C’est le caractère de la nation française qui échappe en un cri spontané de l’âme de son gouvernement (Oui ! oui ! bravo !) Nous vous l’apportons ; je vais vous le lire. Il n’y a pas de plus digne hommage au peuple que le spectacle de sa propre magnanimité. »
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ
« Le Gouvernement provisoire, convaincu que la grandeur d’âme est la suprême politique, et que chaque révolution opérée par le peuple français doit au monde la consécration d’une vérité philosophique de plus ;
Considérant qu’il n’y a pas de plus sublime principe que l’inviolabilité de la vie humaine ;
Considérant que, dans les mémorables journées où nous sommes, le Gouvernement provisoire a constaté avec orgueil que pas un cri de vengeance ou de mort n’est sorti de la bouche du peuple ;
Déclare :
Que dans sa pensée la peine de mort est abolie en matière politique, et qu’il présentera ce vœu à la ratification définitive de l’Assemblée nationale.
Le Gouvernement provisoire a une si ferme conviction que la vérité qu’il proclame au nom du peuple français, que si les hommes coupables qui viennent de faire couler le sang étaient dans les mains du peuple, il y aurait à ses yeux un châtiment plus exemplaire à les dégrader qu’à les frapper. » …
Le dernier paragraphe du décret faisait pressentir l’intention du Gouvernement de ne pas sévir contre les ministres déchus : il y préparait les esprits. Le Conseil s’était rappelé le procès des ministres de Charles X. Eux aussi, les citoyens de 1830, avaient eu l’idée d’abolir la peine de mort en matière politique. Mais ils n’avaient pu la réaliser ; ils avaient reculé devant l’opinion publique, qui leur prêtait, pour seul mobile, le désir de sauver les coupables du coup d’État de Juillet.
L’abolition de la peine de mort en matière politique eut désormais sa date dans l’histoire. La France entière applaudit avec transport à des sentiments si bien en harmonie avec sa volonté. Elle s’enorgueillit d’être la première à témoigner son respect pour la vie humaine, que Dieu seul a donnée, que Dieu seul peut reprendre. »
Source : Extrait de Histoire de la Révolution de 1848 par Garnier-Pagès, Paris, Pagnerre, 1866, Tome III, 1. Gouvernement provisoire, chap. 3., p. 102-104
L’exécution des meurtriers du général Bréa (1849)
Le général Bréa, commandant une partie des troupes chargées de réprimer l’insurrection ouvrière de juin 1848, ayant accepté de parlementer avec les insurgés, sous les auspices du maire de Gentilly, pour obtenir une reddition sans combat, est exécuté par des éléments incontrôlés, le 25. À l’issue des combats, 18 000 arrestations sont opérées, les deux tiers étant maintenues, et moins de 500 insurgés seront déportés, principalement en Algérie. Mais plusieurs insurgés, considérés comme auteurs de l’assassinat du général Bréa passent en Conseil de guerre et cinq d’entre eux sont condamnés à mort, alors que leurs motivations étaient nettement politiques.
Les otages fusillés par la Commune
Prosper-Olivier Lissagaray (1838-1901), journaliste, opposant au régime de Napoléon III, ne participe pas à la Commune, sauf lors de la Semaine sanglante où il fait le coup de feu sur les barricades. Réfugié en Belgique, puis en Angleterre, il rentre en France après l’amnistie. Il publie à Bruxelles, en 1876 son Histoire de la Commune de 1871, un des meilleurs témoignages sur l’histoire de la Commune et particulièrement ses dernières journées, ajoutant à ses souvenirs des extraits de la presse française et étrangère de l’époque. Son récit montre bien que les chefs de la Commune, sous la pression de leurs troupes excédées par les exactions commises par les Versaillais lors du début de la Semaine sanglante, sont conduits à prendre la décision de fusiller les otages qu’ils avaient incarcérés suite au décret du 5 avril 1871. La première exécution, évoquée dans le texte de Lissagaray, a lieu le 24 février et aboutit à la mort de Mgr Darboy, archevêque de Paris, du président Bonjean et quatre ecclésiastiques. La seconde exécution, qui tourne au massacre, eut lieu le 26 mai, rue Haxo. Au total, 85 otages seront fusillés, en majorité gendarmes et policiers.
Histoire de la Commune de 1871
« … À sept heures, un grand bruit se fait devant la prison de la Roquette où l’on a transféré la veille les trois cents prisonniers détenus à Mazas. Quelques-uns, les gendarmes et sergents de ville pris le 18 mars, avaient comparu la semaine précédente devant le jury d’accusation institué par le décret du 5 avril...
... Leur seule défense avait été de dire qu’ils obéissaient à leurs chefs. Les autres prisonniers étaient des prêtres, des personnes suspectes, d’anciens mouchards. Dans une foule de gardes nationaux exaspérés des massacres, un délégué de la sûreté générale survient, Genton. Révolutionnire de vieille date, en Juin 48, on va le fusiller à la préfecture de police quand un hasard le sauve. Blanquiste militant il a marqué dans les luttes contre l’Empire. Il s’est bien battu pendant la guerre, pendant la Commune ; il dit : « Puisque les Versaillais fusillent les nôtres, six otages vont être exécutés. Qui veut former le peloton ? »
« Moi ! moi ! » crie-t-on de plusieurs côtés. L’un s’avance et dit : « Je venge mon père. » - Un autre : « Je venge mon frère. » - « Moi, dit un garde, ils ont fusillé ma femme. » Chacun met en avant ses droits à la vengeance. Genton accepte trente hommes et entre dans la prison.
Il se fait apporter le registre d’écrou, marque l’archevêque Darboy, le président Bonjean, Jecker, les jésuites Allard, Clerc, Ducoudray, Jecker est en dernier lieu remplacé par le curé Deguerry.
On les fait descendre de leurs cellules, l’archevêque le premier. Ce n’est plus le prêtre orgueilleux glorifiant le 2 Décembre ; il balbutie : « Je ne suis pas l’ennemi de la Commune, j’ai fait ce que j’ai pu ; j’ai écrit deux fois à Versailles. » Il se remet un peu quand la mort lui apparaît inévitable. Bonjean ne tient pas debout. Ce n’est plus le bouillant ennemi des insurgés de Juin. « Qui nous condamne ? » dit-il. – « La justice du peuple. » – « Oh ! celle-là n’est pas la bonne. » Parole de magistrat. On conduit les ôtages dans le chemin de ronde. Quelques hommes du peloton ne peuvent se contenir : Genton ordonne le silence. Un des prêtres se jette dans l’angle d’une guérite ; on le fait rejoindre. Au détour d’un angle les otages sont alignés au mur d’exécution. Sicard commande. « Ce n’est pas nous, dit-il, qu’il faut accuser de votre mort, mais Versailles qui fusille les nôtres. » Il fait le geste et les fusils partent. Cinq otages tombent sur une même ligne, à distance égale. Mgr Darboy reste debout frappé à la tête. Une seconde décharge le couche. Les corps furent ensevelis dans la nuit. »
Source : Extraits de P.-O. Lissagaray. Histoire de la Commune de 1871, Paris, Maspero, 1970, Chap. XXIX [Mercredi 24], p. 343-344
Les cours martiales et la répression de la Commune
La Semaine sanglante, en dehors des victimes directes des combats entre Fédérés et soldats de l’armée versaillaise, constitue sans aucun doute la plus grande répression politique jamais exercée dans l’histoire contemporaine française, à considérer le nombre des victimes d’exécutions en une période aussi courte. Alors que les Tribunaux révolutionnaires ont fait près de 17 000 victimes sur l’ensemble de la France, de mars 1793 à août 1794 – les deux tiers des sentences ayant été prononcées dans les régions insurgées –, en moins de deux semaines, les cours martiales établies par l’armée versaillaise vont fusiller, de manière encore bien plus expéditive que ne le faisaient les tribunaux de la Terreur, au moins une dizaine de milliers de Communards.
Le dimanche 28, la lutte terminée, plusieurs milliers de personnes ramassées aux environs du Père-Lachaise furent amenées dans la prison de la Roquette. Un chef de bataillon se tenait à l’entrée, toisait les prisonniers à sa fantaisie et disait : À droite ! ou : À gauche ! Ceux de gauche étaient pour être fusillés. Leurs poches vidées, on les alignait devant un mur et on les tuait. En face du mur, deux prêtres marmottaient les prières des agonisants...
... Du dimanche au lundi matin, dans la seule Roquette, on massacra dix-neuf cents personnes. Le sang coulait à force dans les ruisseaux de la prison. Mêmes égorgements à Mazas, à l’École militaire, au parc Monceau.
Plus sinistres, peut-être, les cours prévôtales où l’on feignait de juger. Elles n’avaient pas surgi au hasard, suivant les fureurs de la lutte. Bien avant l’entrée dans Paris, Versailles en avait fixé le nombre, le siège, les limites, la juridiction. Une des plus célèbres siégeait au Châtelet, présidée par le colonel de la garde nationale, Louis Vabre, celui des 31 Octobre et 18 Mars, puissante brute, à taille de cent-gardes. L’histoire possède les procès-verbaux des massacres de l’Abbaye, où les prisonniers, d’ailleurs très connus, purent se défendre. Les Parisiens de 1871 n’eurent pas la justice de Maillard ; à peine est-il trace de quatre ou cinq dialogues. Les milliers de captifs emmenés au Châtelet étaient d’abord parqués dans la salle, sous le fusil des soldats ; puis, poussés de couloir en couloir, ils débouchaient comme des moutons sur le foyer, où Vabre trônait entouré d’officiers de l’armée et de la garde nationale de l’ordre, le sabre entre les jambes, quelques-uns le cigare aux dents. L’interrogatoire durait un quart de minute. « Avez-vous pris les armes ? Avez-vous servi la Commune ? Montrez vos mains ? ». Si l’attitude était résolue ou la figure ingrate, sans demander le nom, la profession, sans marquer aucun registre, on était classé. « Vous ? » disaient-ils au voisin, et ainsi de suite, jusqu’au bout de la file. Ceux qu’un caprice épargnait étaient dits ordinaires et réservés pour Versailles. Personne n’était libéré.
On livrait tout chaud les classés aux exécuteurs, qui les emmenaient à la caserne Lobau. Là, les portes refermées, les gendarmes tiraient sans grouper leurs victimes. Quelques-unes, mal touchées, couraient le long des murs. Les gendarmes leur faisaient la chasse, les canardaient jusqu’à extinction de vie…
Au Luxembourg, les victimes de la cour prévôtale étaient d’abord jetées dans une cave en forme de long boyau, où l’air ne pénétrait que par une étroite ouverture. Les officiers siégeaient dans une salle du rez-de-chaussée garnie de brassardiers, d’agents de police, de bourgeois privilégiés en quête d’émotions fortes. Comme au Châtelet, interrogatoire nul et défense inutile. Après le défilé, les prisonniers retournaient dans une cave ou bien étaient conduits dans le jardin ; là, contre la terrasse de droite, on les fusillait. Le mur ruisselait de cervelles et les soldats piétinaient dans le sang.
Les assassinats prévôtaux se passaient de la même sorte à l’École polytechnique, à la caserne Dupleix, aux gares du Nord, de l’Est, au Jardin des Plantes, dans plusieurs casernes, concurremment avec des abattoirs sans phrases… »
Source : P.-O. Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1970, p. 374-375
Les attentats anarchistes : la dynamite à Paris
L’anarchisme eut une influence importante dans la France de la fin du XIXe siècle, exprimant pour une part la protestation et de la révolte des couches populaires, et marquant de son empreinte le syndicalisme ouvrier (CGT). En partie sous l’influence des anarchistes russes – Kropotkine –, les intellectuels et militants se réclamant de cette idéologie en France en vinrent à préconiser la « propagande par le fait », c’est-à-dire l’utilisation de la terreur individuelle pour abattre une société bourgeoise honnie, en commençant par frapper ses représentants et ses symboles.
L'exécution de Vaillant (5 février 1894)
Auguste Vaillant (1861-1894), anarchiste, a lancé une bombe dans l’hémicycle de la Chambre des députés, le 9 décembre 1893, faisant une cinquantaine de blessés dont lui-même. Il sera condamné à mort par la cour d’assises de la Seine le 10 janvier 1894 et exécuté le 5 février.
Le testament de Vaillant
Sans illusion sur une éventuelle grâce, Vaillant rédige son testament une semaine avant de subir le supplice. Préoccupé du sort de sa fille, il exprime le souhait de la voir confiée à son plus fidèle ami, Sébastien Faure, un des meilleurs propagandistes de l’anarchisme, afin de l’écarter de l’influence estimée mauvaise de sa mère, par ailleurs émigrée en Amérique. Athée et scientiste, il désire confier son corps à la science pour que l’on puisse réaliser des expériences utiles à l’humanité. Il termine en justifiant l’attentat, considérant que parfois il peut être nécessaire « d’amputer un membre afin de sauver l’individu ». Une des clauses du testament de Vaillant, relative à son inhumation, ne sera pas respectée, la Faculté de médecine n'ayant délégué personne pour prendre le corps, comme l'indique un télégramme du commissaire de police en date du 6 février 1894 : « J’ai accompagné le corps au cimetière d’Ivry où j’ai assisté à l’inhumation … Aucun incident. Vaillant avait demandé que son corps fut livré à la faculté de médecine mais personne ne s’est présenté pour prendre livraison. L’abbé Valadier dont Vaillant a refusé le ministère n’est pas venu au cimetière. »