« …Tout le monde est d’accord que la peine de mort, si elle est conservée, doit être réduite à la simple privation de la vie, et que l’usage des tortures doit être aboli. Un second point sur lequel toutes les opinions se réunissent également, c’est que cette peine, si elle subsiste, doit être réservée pour les crimes d’assassinat, d’empoisonnement, d’incendie et de lèse-nation au premier chef. Ce pas est déjà dans l’opinion ; et votre humanité, vos lumières, le vœu public dont vous êtes les organes, ne vous permettraient pas sans doute une marche rétrograde. Voilà donc les deux propositions défendues par plusieurs bons esprits, qui par d’excellentes vues, et animés par des motifs respectables de sagesse et de raison, veulent la conservation de la peine de mort, mais ne la veulent qu’avec les restrictions que nous venons de développer.
Or évidemment la peine de mort dans cette hypothèse opère un grand mal pour les mœurs publiques, et n’a aucune efficacité pour arrêter le crime. C’est un remède violent, qui, sans guérir la maladie, altère et énerve les organes du corps politique.
… Mais si la peine de mort, ainsi tempérée, perd toute l’efficacité que l’ancien code pénal trouvait dans son atrocité même, cette peine, tout insuffisante qu’elle soit pour l’exemple, n’en perd rien de son immoralité ni de son influence néfaste sur les mœurs publiques. Dans un pays libre, toutes institutions doivent porter dans le cœur du citoyen l’énergie et le mépris de la mort. Vos lois au contraire auront pour effet de lui en inspirer l’épouvante, en présentant la mort comme le plus grand des maux qu’on ait pu opposer aux plus grands des crimes.
Considérez cette foule immense que l’espoir d’une exécution appelle sur la place publique ; quel est le sentiment qui l’y conduit ? Est-ce le désir de contempler la vengeance de la loi, et en voyant tomber sa victime, de se pénétrer d’une religieuse horreur pour le crime ? Le bon citoyen est-il meilleur ce jour-là en regagnant sa demeure ? L’homme pervers abjure-t-il le complot qu’il méditait ?… Non, Messieurs, ce n’est pas à un exemple, c’est à un spectacle que tout ce peuple accourt. Une curiosité cruelle l’y invite. Cette vue flatte et entretient dans son âme une disposition immorale et farouche. Souvent le même crime, pour lequel l’échafaud est dressé, trouve des imitateurs au moment où le condamné subit sa peine ; et plus d’une fois on volait dans la place publique, au milieu de la foule entassée pour voir pendre un voleur.
Malheur à la société si, dans cette multitude qui contemple avidement une exécution, il se trouve un de ces êtres disposés au crime par la perversité de ses penchants ! Son instinct, semblable à celui des animaux féroces, n’attend peut-être que la vue du sang pour s’éveiller ; et déjà son âme est endurcie au meurtre à l’instant où il quitte l’enceinte trempée par le sang que le glaive des lois versé.
Quel saint et religieux respect vous inspiriez pour la vie des hommes, lorsque la loi elle-même abdiquera le droit d’en disposer ? Tant que le fer sacré n’est pas suspendu au fond du sanctuaire, le peuple qui l’aperçoit pourra céder à l’illégitime pensée de s’en attribuer l’usage ; il offensera la loi en voulant la défendre ; il sera peut-être coupable et cruel par patriotisme et par vertu ; dans les secousses d’une révolution, dans les premiers élans de la liberté, n’avons-nous pas vu… mais détournons-nous de funestes souvenirs, et sans déplorer des erreurs passées qui nous affligent, tarissons-en la source, en adoucissant, en tempérant, en sanctifiant les mœurs publiques par la grande et touchante leçon d’humanité que nos lois peuvent donner aux peuples.
L’effet que produit la peine de mort est immoral sous ses rapports. Tantôt il alimente le sentiment de la cruauté, nous venons de développer cette vérité ; tantôt aussi par la pitié cette peine va directement contre son objet. C’est un grand malheur lorsque la vue du supplice fait céder le souvenir du crime à l’intérêt qu’inspire le condamné ! Or cet effet est toujours auprès de la peine de mort. Il ne faut que quelques circonstances extérieures, l’expression du repentir, un grand calme, un courage ferme dans les derniers instants pour que l’indignation publique se taise ; et tel sur l’échafaud a été plaint par le peuple, dont le peuple avant le jugement demandait la tête à grand cris. »
C’est beaucoup sur la grande question que nous agitons d’avoir montré les inconvénients de la peine de mort ; mais ce n’est pas tout : il faut mettre une autre peine à sa place ; et l’homme sage ne saurait prendre le parti de détruire le moyen de répression usité jusqu’à présent, sans s’être convaincu de l’efficacité d’une autre mesure pour défendre la société contre le crime.
Voici, Messieurs, ce que nous vous proposons de substituer à la peine capitale.
Nous pensons qu’il est convenable d’établir une maison de peine dans chaque ville où siège un tribunal criminel, afin que l’exemple soit toujours rapproché du lieu du délit. C’est une maison par département.
Avant d’y être conduit, le condamné sera exposé pendant trois jours sur un échafaud dressé dans la place publique, il y sera attaché à un poteau ; il paraîtra chargé des mêmes fers qu’il doit porter pendant la durée de sa peine. Son nom, son crime, son jugement, seront tracés sur un écriteau placé au-dessus de sa tête. Cet écriteau présentera également les détails de la punition qu’il doit subir.
Cette peine ne consiste pas en coups ni en tortures ; il sera fait, au contraire, les plus sévères défenses aux gardiens des condamnés d’exercer envers eux aucun acte de violence.
C’est dans les privations multipliées des jouissances, dont la nature a placé le désir dans le cœur de l’homme, que nous croyons convenable de chercher les moyens d’établir une peine efficace.
Un des plus ardents désirs de l’homme, c’est d’être libre : la perte de sa liberté sera le premier caractère de la peine.
La vue du ciel et de la lumière est une de ses plus douces jouissances : le condamné sera détenu dans un cachot obscur.
La société et le commerce de semblables sont nécessaires à son bonheur ; le condamné sera voué à une entière solitude.
Son corps et ses membres porteront des fers. Du pain, de l'eau, de la paille, lui fourniront pour sa nourriture et pour son pénible repos l'absolu nécessaire...
Messieurs, on prétend que la peine de mort est seule capable d'effrayer le crime ; l'état que nous venons de décrire serait pire que la mort la plus cruelle, si rien n'en adoucissait la rigueur ; la pitié même dont vous êtes émus prouve que nous avons assez et trop fait pour l'exemple : nous avons donc une peine répressive.
Mais n'oublions pas que toute peine doit être humaine, et portons quelques consolations dans ce cachot de douleur.
Le premier et le principal adoucissement de cette peine, c'est de la rendre temporaire.
Le plus cruel état est supportable lorsqu'on aperçoit le terme de sa durée. Le mot à jamais est accablant ; il est inséparable du sentiment du désespoir. Nous avons pensé que, pour l'efficacité de l'exemple, la durée de cette peine devait être longue, mais que, pour qu'elle ne fût pas barbare, il fallait qu'elle eût un terme. Nous vous proposons qu'elle ne puisse pas être moindre de douze années, ni s'étendre au-delà de vingt-quatre.
Il ne suffit pas encore de faire luire de loin dans ce cachot obscur le rayon de l'espérance ; nous avons jugé qu'il était humain d'en rendre l'effet plus apparent et plus sensible par une progression d'adoucissements successifs. Le nombre d'années fixé pour sa durée se partagera en diverses époques ; chacune de ces époques apportera quelques consolations avec elle ; chacune effacera quelques-unes des rigueurs de la punition, pour conduire le condamné à la fin de sa pénible carrière par la gradation des moindres peines.
Jusqu'ici les adoucissements n'existent encore que dans l'avenir. Lorsque la peine commence, il faut songer au moment présent, et porter même sur cette première époque des tempéraments qui défendent et la raison et la santé du condamné contre la rigueur actuelle de l'état où le réduit son crime.
Vos comités ont pensé, Messieurs, que c'était une vue assez morale, d'attacher pour le condamné, à l'idée du travail, un sentiment de consolation ; ils vous proposent de fixer à deux par semaine le nombre des jours où il sera permis au condamné de travailler pendant la première époque de la durée du cachot ; et à trois jours par semaine pendant la deuxième époque.
Le travail n'aura rien de rebutant par sa nature ou par sa rigueur. Il sera au choix du condamné, si le condamné est doué de quelque talent ou de quelque industrie ; sinon, les commissaires de la maison lui en fourniront un analogue à la situation et à ses forces ; aucune violence, aucune contrainte ne l'obligeront de s'y livrer ; mais, pendant la semaine, du pain aura été sa seule nourriture ; et il lui sera permis, le jour du travail, de se procurer sur son produit une subsistance plus douce et plus abondante. Ainsi, le jour du travail, il pourra être mieux nourri ; ses chaînes lui seront ôtées ; il sortira de son cachot ; il verra la lumière du jour ; il respirera l'air, sans toutefois sortir de l'enceinte de la maison ; et un exercice salutaire préviendra l'altération ou l'épuisement de ses forces.
Vos comités ont pensé que les condamnés à la peine du cachot devaient toujours travailler seuls, parce qu'ils ont attaché à la solitude absolue un des caractères les plus pénibles et les plus efficaces de cette punition.
Une seule fois par mois, les peines du condamné ne seront pas solitaires. Les portes du cachot seront ouvertes, mais ce sera pour offrir au peuple une imposante leçon. Le peuple pourra voir le condamné chargé de fers au fond de son douloureux réduit ; et il lira tracé en gros caractères, au-dessus de la porte du cachot, le nom du coupable, le crime et le jugement.
Voilà, Messieurs, quelle est la punition que nous vous proposons de substituer à la peine de mort. Veuillez ne pas perdre de vue qu’elle sera uniquement réservée pour les assassins, les incendiaires, les empoisonneurs, les criminels de lèse-nation au premier chef. La considération de l’atrocité de ces crimes, la crainte que beaucoup de bons esprits ont témoignée de ne pouvoir mettre, à la place de la peine de mort, une peine efficace et répressive, nous a portés à rassembler toutes les privations qui donneront à cette punition les caractères les plus effrayants. Nous vous avons présenté le dernier degré de rigueur possible de la rigueur : puisse votre humanité, d’accord avec votre sagesse, éclaircir quelques-unes des ombres qui chargent ce triste tableau ! Puissiez-vous, en épargnant au condamné quelques douleurs que vous ne jugerez pas indispensables pour l’exemple, faire mieux que nous n’avons fait, et réaliser le vœu de nos cœurs !