2. Les débats à l'Assemblée constituante (1791)

Plan du chapitre

Le Peletier de Saint-Fargeau : la peine de mort est immorale

Le rapport Le Peletier de Saint-Fargeau (séance du 23 mai 1791) : la peine de mort est immorale

Michel Le Peletier de Saint-Fargeau (1760-1793), issu d’une riche famille de parlementaires de la capitale, président à mortier au Parlement de Paris, est président de l’Assemblée constituante en juin 1790. Modéré au début de la Révolution, il se rangera rapidement à gauche de l’Assemblée, au côté de la Montagne, et élu député de l’Yonne à la Convention, il votera la mort du roi, vote qui est à l’origine de son assassinat le 20 janvier 1793. Membre du comité de législation criminelle de la Constituante, il est le rapporteur du projet de Code pénal qui sera adopté le 6 octobre 1791.

Extrait du Rapport sur le projet de Code pénal

par Le Peletier de Saint-Fargeau, séance du 23 mai 1791

« …Tout le monde est d’accord que la peine de mort, si elle est conservée, doit être réduite à la simple privation de la vie, et que l’usage des tortures doit être aboli. Un second point sur lequel toutes les opinions se réunissent également, c’est que cette peine, si elle subsiste, doit être réservée pour les crimes d’assassinat, d’empoisonnement, d’incendie et de lèse-nation au premier chef. Ce pas est déjà dans l’opinion ; et votre humanité, vos lumières, le vœu public dont vous êtes les organes, ne vous permettraient pas sans doute une marche rétrograde. Voilà donc les deux propositions défendues par plusieurs bons esprits, qui par d’excellentes vues, et animés par des motifs respectables de sagesse et de raison, veulent la conservation de la peine de mort, mais ne la veulent qu’avec les restrictions que nous venons de développer.

Or évidemment la peine de mort dans cette hypothèse opère un grand mal pour les mœurs publiques, et n’a aucune efficacité pour arrêter le crime. C’est un remède violent, qui, sans guérir la maladie, altère et énerve les organes du corps politique.

… Mais si la peine de mort, ainsi tempérée, perd toute l’efficacité que l’ancien code pénal trouvait dans son atrocité même, cette peine, tout insuffisante qu’elle soit pour l’exemple, n’en perd rien de son immoralité ni de son influence néfaste sur les mœurs publiques. Dans un pays libre, toutes institutions doivent porter dans le cœur du citoyen l’énergie et le mépris de la mort. Vos lois au contraire auront pour effet de lui en inspirer l’épouvante, en présentant la mort comme le plus grand des maux qu’on ait pu opposer aux plus grands des crimes.

Considérez cette foule immense que l’espoir d’une exécution appelle sur la place publique ; quel est le sentiment qui l’y conduit ? Est-ce le désir de contempler la vengeance de la loi, et en voyant tomber sa victime, de se pénétrer d’une religieuse horreur pour le crime ? Le bon citoyen est-il meilleur ce jour-là en regagnant sa demeure ? L’homme pervers abjure-t-il le complot qu’il méditait ?… Non, Messieurs, ce n’est pas à un exemple, c’est à un spectacle que tout ce peuple accourt. Une curiosité cruelle l’y invite. Cette vue flatte et entretient dans son âme une disposition immorale et farouche. Souvent le même crime, pour lequel l’échafaud est dressé, trouve des imitateurs au moment où le condamné subit sa peine ; et plus d’une fois on volait dans la place publique, au milieu de la foule entassée pour voir pendre un voleur.

Malheur à la société si, dans cette multitude qui contemple avidement une exécution, il se trouve un de ces êtres disposés au crime par la perversité de ses penchants ! Son instinct, semblable à celui des animaux féroces, n’attend peut-être que la vue du sang pour s’éveiller ; et déjà son âme est endurcie au meurtre à l’instant où il quitte l’enceinte trempée par le sang que le glaive des lois versé.

Quel saint et religieux respect vous inspiriez pour la vie des hommes, lorsque la loi elle-même abdiquera le droit d’en disposer ? Tant que le fer sacré n’est pas suspendu au fond du sanctuaire, le peuple qui l’aperçoit pourra céder à l’illégitime pensée de s’en attribuer l’usage ; il offensera la loi en voulant la défendre ; il sera peut-être coupable et cruel par patriotisme et par vertu ; dans les secousses d’une révolution, dans les premiers élans de la liberté, n’avons-nous pas vu… mais détournons-nous de funestes souvenirs, et sans déplorer des erreurs passées qui nous affligent, tarissons-en la source, en adoucissant, en tempérant, en sanctifiant les mœurs publiques par la grande et touchante leçon d’humanité que nos lois peuvent donner aux peuples.

L’effet que produit la peine de mort est immoral sous ses rapports. Tantôt il alimente le sentiment de la cruauté, nous venons de développer cette vérité ; tantôt aussi par la pitié cette peine va directement contre son objet. C’est un grand malheur lorsque la vue du supplice fait céder le souvenir du crime à l’intérêt qu’inspire le condamné ! Or cet effet est toujours auprès de la peine de mort. Il ne faut que quelques circonstances extérieures, l’expression du repentir, un grand calme, un courage ferme dans les derniers instants pour que l’indignation publique se taise ; et tel sur l’échafaud a été plaint par le peuple, dont le peuple avant le jugement demandait la tête à grand cris. »

C’est beaucoup sur la grande question que nous agitons d’avoir montré les inconvénients de la peine de mort ; mais ce n’est pas tout : il faut mettre une autre peine à sa place ; et l’homme sage ne saurait prendre le parti de détruire le moyen de répression usité jusqu’à présent, sans s’être convaincu de l’efficacité d’une autre mesure pour défendre la société contre le crime.

Voici, Messieurs, ce que nous vous proposons de substituer à la peine capitale.

Nous pensons qu’il est convenable d’établir une maison de peine dans chaque ville où siège un tribunal criminel, afin que l’exemple soit toujours rapproché du lieu du délit. C’est une maison par département.

Avant d’y être conduit, le condamné sera exposé pendant trois jours sur un échafaud dressé dans la place publique, il y sera attaché à un poteau ; il paraîtra chargé des mêmes fers qu’il doit porter pendant la durée de sa peine. Son nom, son crime, son jugement, seront tracés sur un écriteau placé au-dessus de sa tête. Cet écriteau présentera également les détails de la punition qu’il doit subir.

Cette peine ne consiste pas en coups ni en tortures ; il sera fait, au contraire, les plus sévères défenses aux gardiens des condamnés d’exercer envers eux aucun acte de violence.

C’est dans les privations multipliées des jouissances, dont la nature a placé le désir dans le cœur de l’homme, que nous croyons convenable de chercher les moyens d’établir une peine efficace.

Un des plus ardents désirs de l’homme, c’est d’être libre : la perte de sa liberté sera le premier caractère de la peine.

La vue du ciel et de la lumière est une de ses plus douces jouissances : le condamné sera détenu dans un cachot obscur.

La société et le commerce de semblables sont nécessaires à son bonheur ; le condamné sera voué à une entière solitude.

Son corps et ses membres porteront des fers. Du pain, de l'eau, de la paille, lui fourniront pour sa nourriture et pour son pénible repos l'absolu nécessaire...

Messieurs, on prétend que la peine de mort est seule capable d'effrayer le crime ; l'état que nous venons de décrire serait pire que la mort la plus cruelle, si rien n'en adoucissait la rigueur ; la pitié même dont vous êtes émus prouve que nous avons assez et trop fait pour l'exemple : nous avons donc une peine répressive.

Mais n'oublions pas que toute peine doit être humaine, et portons quelques consolations dans ce cachot de douleur.

Le premier et le principal adoucissement de cette peine, c'est de la rendre temporaire.

Le plus cruel état est supportable lorsqu'on aperçoit le terme de sa durée. Le mot à jamais est accablant ; il est inséparable du sentiment du désespoir. Nous avons pensé que, pour l'efficacité de l'exemple, la durée de cette peine devait être longue, mais que, pour qu'elle ne fût pas barbare, il fallait qu'elle eût un terme. Nous vous proposons qu'elle ne puisse pas être moindre de douze années, ni s'étendre au-delà de vingt-quatre.

Il ne suffit pas encore de faire luire de loin dans ce cachot obscur le rayon de l'espérance ; nous avons jugé qu'il était humain d'en rendre l'effet plus apparent et plus sensible par une progression d'adoucissements successifs. Le nombre d'années fixé pour sa durée se partagera en diverses époques ; chacune de ces époques apportera quelques consolations avec elle ; chacune effacera quelques-unes des rigueurs de la punition, pour conduire le condamné à la fin de sa pénible carrière par la gradation des moindres peines.

Jusqu'ici les adoucissements n'existent encore que dans l'avenir. Lorsque la peine commence, il faut songer au moment présent, et porter même sur cette première époque des tempéraments qui défendent et la raison et la santé du condamné contre la rigueur actuelle de l'état où le réduit son crime.

Vos comités ont pensé, Messieurs, que c'était une vue assez morale, d'attacher pour le condamné, à l'idée du travail, un sentiment de consolation ; ils vous proposent de fixer à deux par semaine le nombre des jours où il sera permis au condamné de travailler pendant la première époque de la durée du cachot ; et à trois jours par semaine pendant la deuxième époque.

Le travail n'aura rien de rebutant par sa nature ou par sa rigueur. Il sera au choix du condamné, si le condamné est doué de quelque talent ou de quelque industrie ; sinon, les commissaires de la maison lui en fourniront un analogue à la situation et à ses forces ; aucune violence, aucune contrainte ne l'obligeront de s'y livrer ; mais, pendant la semaine, du pain aura été sa seule nourriture ; et il lui sera permis, le jour du travail, de se procurer sur son produit une subsistance plus douce et plus abondante. Ainsi, le jour du travail, il pourra être mieux nourri ; ses chaînes lui seront ôtées ; il sortira de son cachot ; il verra la lumière du jour ; il respirera l'air, sans toutefois sortir de l'enceinte de la maison ; et un exercice salutaire préviendra l'altération ou l'épuisement de ses forces.

Vos comités ont pensé que les condamnés à la peine du cachot devaient toujours travailler seuls, parce qu'ils ont attaché à la solitude absolue un des caractères les plus pénibles et les plus efficaces de cette punition.

Une seule fois par mois, les peines du condamné ne seront pas solitaires. Les portes du cachot seront ouvertes, mais ce sera pour offrir au peuple une imposante leçon. Le peuple pourra voir le condamné chargé de fers au fond de son douloureux réduit ; et il lira tracé en gros caractères, au-dessus de la porte du cachot, le nom du coupable, le crime et le jugement.

Voilà, Messieurs, quelle est la punition que nous vous proposons de substituer à la peine de mort. Veuillez ne pas perdre de vue qu’elle sera uniquement réservée pour les assassins, les incendiaires, les empoisonneurs, les criminels de lèse-nation au premier chef. La considération de l’atrocité de ces crimes, la crainte que beaucoup de bons esprits ont témoignée de ne pouvoir mettre, à la place de la peine de mort, une peine efficace et répressive, nous a portés à rassembler toutes les privations qui donneront à cette punition les caractères les plus effrayants. Nous vous avons présenté le dernier degré de rigueur possible de la rigueur : puisse votre humanité, d’accord avec votre sagesse, éclaircir quelques-unes des ombres qui chargent ce triste tableau ! Puissiez-vous, en épargnant au condamné quelques douleurs que vous ne jugerez pas indispensables pour l’exemple, faire mieux que nous n’avons fait, et réaliser le vœu de nos cœurs !

Robespierre : Effacer du Code des Français les lois de sang

Maximilien Robespierre (1758-1794) est une des principales figures de la Révolution française, incarnant le courant démocratique qui triomphe en l’an II. Au cours du débat sur le projet de Code pénal de 1791, il est le premier à intervenir pour exiger l’abolition de la peine capitale qu’il qualifie de « meurtre juridique », symbole des « lois de sang » de l’Ancien Régime, de la tyrannie et du despotisme. Le rappel des exemples de l’Antiquité – général à cette époque – sert d’argument pour montrer l’inefficacité d’une répression cruelle. L’excès de rigueur en matière de pénalité « affaiblit les ressorts du gouvernement ». Robespierre plaide en faveur de peines modérées, permettant au coupable de revenir à la vertu. Comme tous les révolutionnaires, il met tout son espoir dans une société libre qui diminuera, de fait, le nombre des crimes. Lire le texte complet du discours, sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1791.

Extrait du discours de Robespierre

Séance, du 30 mai 1791

« La nouvelle ayant été portée à Athènes que des citoyens avaient été condamnés à mort dans la ville d’Argos, on courut dans les temples et on conjura les deux de détourner des Athéniens des pensées si cruelles et si funestes. Je viens prier non les dieux, mais les législateurs qui doivent être les organes et les interprètes des lois éternelles que la divinité a dictées aux hommes, d’effacer du Code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques, et que repoussent leurs mœurs et leur Constitution nouvelle. Je veux leur prouver : 1° que la peine de mort est essentiellement injuste ; 2° qu’elle n’est pas la plus réprimante des peines, et qu’elle multiplie les crimes beaucoup plus qu’elle ne l’est préviens.

Hors de la société civile qu’un ennemi acharné vienne attaquer mes jours, ou que, repoussé vingt fois, il revienne encore ravager le champ que mes mains ont cultivé ; puisque je ne puis opposer que mes forces individuelles aux siennes, il faut que je périsse ou que je le tue ; et la loi de la défense naturelle me justifie et m’approuve. Mais dans la société, quand la force de tous est armée contre un seul, quel principe de justice peut l’autoriser à lui donner la mort ? Quelle nécessité peut l’en absoudre ? Un vainqueur qui fait mourir des ennemis captifs est appelé barbare ! (Murmures.) Un homme fait qui égorge un enfant qu’il peut désarmer et punir paraît un monstre ! (Murmures.) Un accusé que la société condamne n’est tout au plus pour elle qu’un ennemi vaincu et impuissant, il est devant elle plus faible qu’un enfant devant un homme fait.

M. L’abbé Maury. Il faut prier M. Robespierre d’aller débiter son opinion dans la forêt de Bondy.

M. Robespierre. Les principes que je développe sont ceux de tous les hommes célèbres qui certainement, ne m’eussent pas dit comme M. Maury : Allez débiter ces maximes dans la forêt de Bondy.

Ainsi, aux yeux de la vérité et de la justice, ces scènes de mort, qu’elle ordonne avec tant d’appareil, ne sont autre chose que des lâches assassinats, que des crimes solennels, commis, non par des individus, mais par des nations entières, avec des formes légales. Quelque cruelles, quelque extravagantes que soient ces lois, ne vous en étonnez plus. Elles sont l’ouvrage de quelques tyrans ; elles sont les chaînes dont ils accablent l’espèce humaine ; elles sont les armes avec lesquelles ils la subjuguent ; elles furent écrites avec du sang : « il n’est point permis de mettre à mort un citoyen romain », telle était la loi que le peuple avait portée ; mais Sylla vainquit, et dit : Tous ceux qui ont porté les armes contre moi sont dignes de mort, Octave et les compagnons de ses forfaits confirmèrent cette loi.

Sous Tibère, avoir loué Brutus dut un crime digne de mort. Caligula condamna à mort ceux qui étaient assez sacrilèges pour se déshabiller devant l’image de l’empereur. Quand la tyrannie eut inventé les crimes de lèse-majesté, qui étaient ou des actions indifférentes ou des actions héroïques, qui eût osé penser qu’elles pouvaient mériter une peine plus douce que la mort, à moins de se rendre coupable lui-même de lèse-majesté ?

Quand le fanatisme, né de l’union monstrueuse de l’ignorance et du despotisme, inventa à son tour les crimes de lèse-majesté divine ; quand il conçut dans son délire le projet de venger Dieu lui-même, ne fallut-il pas qu’il lui offrît aussi du sang, et qu’il le mît au moins au niveau des monstres qui se disaient ses images ? […]

Le législateur qui préfère la mort et les peines atroces aux moyens plus doux qui sont en son pouvoir, outrage la délicatesse publique, émousse le sentiment moral chez le peuple qu’il gouverne, semblable à un précepteur mal habile qui, par le fréquent usage des châtiments cruels, abrutit et dégrade l’âme de son élève ; enfin, il use et affaiblit les ressorts du gouvernement, en voulant les tendre avec trop de force…

[…] Ravir à l’homme la possibilité d’expier son forfait par son repentir ou par des actes de vertu ; lui fermer impitoyablement tout retour à la vertu, à l’estime de soi-même, se hâter de le faire descendre, pour ainsi dire, dans le tombeau encore tout couvert de la tache récente de son crime, c’est à mes yeux le plus horrible raffinement de la cruauté.

Le premier devoir du législateur est de former et de conserver les mœurs publiques, source de toute liberté, source de tout bonheur social ; lorsque, pour courir à un but particulier, il s'écarte de ce but général et essentiel, il commet la plus grossière et la plus funeste des erreurs ; il faut donc que la loi présente toujours aux peuples le modèle le plus pur de la justice et de la raison. Si, à la place de cette sévérité puissante, calme, modérée qui doit les caractériser, elles mettent la colère et la vengeance ; si elles font couler le sang humain qu’elles peuvent épargner, et qu’elles n’ont pas le droit de répandre ; si elles étaient aux yeux du peuple des scènes cruelles et des cadavres meurtris par des tortures, alors elles altèrent dans le cœur des citoyens les idées du juste et de l’injustice ; elles font germer, au sein de la société, des préjugés féroces qui en produisent d’autres à leur tour. L’homme n’est plus pour l’homme un objet si sacré ; on a une idée moins grande de sa dignité quand l’autorité publique se joue de sa vie. L’idée du meurtre inspire bien moins d’effroi, lorsque la loi même en donne l’exemple et le spectacle ; l’horreur du crime diminue dès qu’elle ne le punit plus que par un autre crime. Gardez-vous bien de confondre l’efficacité des peines avec l’excès de la sévérité : l’un est absolument opposé à l’autre. Tout seconde les lois modérées ; tout conspire contre les lois cruelles.

On a observé que, dans les pays libres, les crimes étaient plus rares et les lois pénales plus douces. Toutes les idées se tiennent. Les pays libres sont ceux où les droits de l’homme sont respectés, et où, par conséquent, les lois sont justes. Partout où elles offensent l’humanité par un excès de rigueur, c’est une preuve que la dignité de l’homme n’y est pas connue, que celle du citoyen n’existe pas ; c’est une preuve que le législateur n’est qu’un maître qui commande à des esclaves, et qui les châtie impitoyablement suivant sa fantaisie. »

Pétion de Villeneuve : L’expérience de tous les siècles et de tous les peuples

Jérôme Pétion de Villeneuve (1756-1794), avocat de Chartres, est considéré, à l’Assemblée constituante, comme un patriote avancé aux côtés de Robespierre, avant de devenir ensuite un des leaders de la Gironde. Lors du débat sur le Code pénal, il s’affirme contre la peine de mort.

Extrait du discours de Pétion de Villeneuve

« Or, la raison, l’expérience de tous les siècles et de tous les peuples prouvent que la cruauté des peines n’a jamais rendu les délits plus rares...

... Ce n’est pas l’effroi de supplice qui arrête la main sacrilège de l’assassin. L’espoir de l’impunité le rassure sur le danger qu’il court. Le scélérat se flatte toujours d’échapper à la surveillance de la loi, et d’ensevelir ses crimes dans l’oubli. La certitude d’une peine légère épargnerait à l’humanité plus de forfaits que les potences, les roues et les bourreaux. Ainsi, qu’on ne croie pas que l’homme assez barbare pour tremper la main dans le sang de son semblable soit retenu par l’appareil éloigné d’une fin cruelle.

Et qu’est-ce que la mort pour ceux à qui la vie est à charge, pour ceux qui ne tiennent à rien sur la terre, qui ne possèdent rien ? Un moment de douleur que le courage fait supporter, que l’audace brave, que le fanatisme quelquefois embellit. Et combien de criminels marchent de sang-froid à l’échafaud ? Il en est même qui vont jusqu’à répandre des lueurs de gaieté sur cette terrible catastrophe. Rappelez-vous ce mot effrayant de Cartouche, ce mot qui est dans le cœur de presque tous les scélérats : Un mauvais quart d’heure est bientôt passé.

Par quelle inconséquence un peuple qui enseigne à ses guerriers le mépris de la vie, qui flétrit du sceau de l’ignominie ceux qui n’affrontent pas le trépas, met-il la mort au rang des peines, et la représente comme la plus affreuse de toutes ? Je ne prétends pas affaiblir par là la juste indignation que cet acte sanguinaire excite, mais faire voir de plus en plus combien il est absurde et horrible.

Les contrées où les supplices sont les plus cruels, sont celles où les crimes sont les plus fréquents. Jamais le nombre des malfaiteurs ne fut plus considérable dans l’Attique, que lorsque les lois atroces de Dracon furent en vigueur. Il n’existe pas de lieu sur la terre où les tourments soient plus multipliés qu’au Japon, et ce pays pullule de voleurs et de meurtriers. L’Europe, où l’on compte tant de crimes qui se lavent dans le sang du coupable, fourmille de brigands.

Jamais l’Égypte n’a joui d’une plus grande félicité et d’une meilleure police que sous le règne de ce roi trop peu connu, Tabacos, qui bannit la peine de mort de ses États.

Rome eût peu de crimes à punir tant qu’elle respecta les lois Valeria et Porcia, qui défendaient de mettre un citoyen à mort.

Dans la Corée où les châtiments ont peu de rigueur, où le seul crime capital est de maltraiter son père, il est très rare que la société et de l’ordre public soient troublés... »

Source : Extrait du discours de Pétion de Villeneuve, séance du 31 mai 1791

Duport : la peine de mort n’est pas intimidante

Adrien Duport (1759-1798), conseiller au Parlement de Paris, député de la noblesse aux États généraux, se rallie à la Révolution. Formant avec Barnave et Lameth un Triumvirat qui domine le Club des Jacobins, il inspire largement la politique révolutionnaire jusqu’en juillet 1791. Il participe activement aux travaux de l’Assemblée constituante, en particulier au sein de son Comité de législation. Il a joué un rôle décisif dans la réforme judiciaire, son nom étant associé à l’introduction du jury. Dans les débats sur le projet de Code pénal, il fait une très longue intervention – fréquemment interrompue par les députés – qui constitue un des plaidoyers les plus argumentés contre la peine de mort. Il insiste notamment sur le fait que la mort, que chaque homme est appelé à connaître – elle est « la condition de l’existence » –, ne peut, sur le principe, être une peine car ce serait mettre sur le même plan le soldat qui sacrifie sa vie pour la patrie et le criminel. Commune à tous les hommes, ne durant qu’un instant –Duport reprend la formule de Cartouche sur le mauvais quart d’heure à passer –, la mort ne peut constituer une peine.

Pour en savoir plus : Lire le texte complet du discours, sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1791

Extrait du discours d’Adrien Duport, séance du 31 mai 1791

« Qu’est-ce que la mort ? La condition de l’existence ; une obligation que la nature nous impose à tous en naissant, et à laquelle nul ne peut se soustraire. Que fait-on donc en immolant un coupable ? Que hâter le moment d’un événement certain ; qu’assigner une époque au hasard de son dernier instant...

...N’est-t-on pas déjà surpris qu’une règle immuable de la nature soit devenue, entre les mains des hommes, une loi pénale ; qu’ils aient fait un supplice, d’un événement commun à tous les hommes ? Comment ose-t-on leur apprendre qu’il n’y a de différence matérielle entre une maladie et un crime, si ce n’est que celui-ci fait passer, avec moins de douleur, de la vie au trépas ? Comment n’a-t-on pas craint de détruire la moralité dans les hommes et d’y substituer les principes d’une aveugle fatalité lorsqu’on les accoutume à voir deux effets semblables résulter de causes si différentes ?

Les scélérats qui, comme presque tous les hommes, ne sont guère affectés que par les effets, ne sont malheureusement que trop frappés par cette analogie ; ils la consacrent dans leurs maximes ; on la retrouve dans leurs propos habituels : ils disent tous que la mort n’est qu’un mauvais quart d’heure, qu’elle est un accident de plus dans leur état ; ils se comparent au couvreur, au matelot, à ces hommes dont la profession honorable et utile offre à la mort, plus de prise et des chances plus multipliées. Leur esprit s’habitue à ces calculs, leur âme se fait à ces idées, et, dès lors, vos supplices perdent tout leur effet sur leur imagination.

Législateurs, quoi que vous fassiez, vos lois n’empêcheront pas que la mort ne soit nécessaire pour l’honnête homme comme pour l’assassin. Que faites-vous de plus contre ce dernier ? Vous rendez son époque un peu moins incertaine ; et c’est de cette légère différence que vous attendez tout votre système de répression ! Vous oubliez qu’il n’y a que la mort actuelle qui puisse être vraiment répressible ; voilà la source de l’erreur. On dit qu’il n’est pas d’homme sur lequel elle n’ait une grande influence ; je l’avoue, lorsqu’elle est devant ses yeux, inévitable et instante ; mais, sitôt que son image ne se présente que dans un avenir éloigné, elle s’enveloppe de nuages, on ne l’aperçoit plus qu’à travers les illusions de l’espérance ; alors elle cesse d’agir sur l’imagination, elle cesse de devenir un motif ou un obstacle à nos actions.

Je vais plus loin : l’assassin est-il le seul qui courre le risque de hâter la fin de sa vie ? L’officier civil, le militaire, le simple citoyen ne doivent-ils pas être prêts à s’offrir à la mort plutôt que de trahir leur devoir ? C’est vous-mêmes qui le leur prescrivez. Mais comment espérez-vous assouplir ainsi l’esprit des hommes et en modifier leurs pensées au point de les diriger à votre gré vers des idées contradictoires ? Quelle est votre position ? Vous n’avez que la mort à offrir au crime et à la vertu. Vous la montrez également au héros et à l’assassin : à l’un, à la vérité, comme un devoir qui l’associe à une gloire immortelle ; à l’autre, comme un supplice ignominieux. Mais c’est donc encore sur une distinction subtile et métaphysique que s’appuie uniquement le ressort que vous employez ; c’est dans l’amour de l’estime, dans la crainte du blâme que vous cherchez à trouver le seul mobile qui doit animer les hommes ou les contenir. Vous réussissez sans doute pour l’homme vertueux, que l’on peut aisément diriger par ce genre d’influence ; mais aussi vous échouez nécessairement contre le scélérat ; celui-ci ne voit que l’effet matériel dans votre supplice ; sa moralité ne saurait l’atteindre. L’infamie ne le touche point ; la peine, pour lui, n’est que la mort : la mort n’est qu’un mauvais quart d’heure. »

Source : Archives parlementaires, tome XXVI, p. 656-661

Le curé Jallet : Vous écarterez ces horreurs

Jacques Jallet (1732-1791), fils d’un jardinier des Deux-Sèvres, curé de Chérigné, embrasse avec ardeur la cause révolutionnaire. Député du clergé aux États Généraux, il est un des premiers membres du clergé à rejoindre les députés du Tiers et à prêter le serment du Jeu de Paume. Il vote la Constitution civile du clergé, mais refuse le poste d’évêque constitutionnel des Deux-Sèvres pour se consacrer à la politique militante. Il meurt peu de temps après son intervention dans le débat sur la peine de mort, le 14 août 1791.

Extraits de l’Opinion de J. Jallet, curé, député du Poitou, Assemblée constituante, séance du 31 mai 1791

« Vous avez senti, Messieurs, la nécessité de réformer vos lois criminelles, qui ressemblaient plus au code d'une nation barbare, qu’à la jurisprudence d'un peuple policé. Vous avez établi des conseils pour les accusés, quelque publicité dans la procédure, et surtout les jurés. Ces établissements sont sages ; mais qu’espérez-vous de ces précautions ? qu'il ne périra plus d'innocents ? Ne vous en flattez pas, Messieurs ; mais seulement que peut-être il en périra moins...

... Un homme est soupçonné d’un assassinat. L'instrument meurtrier trouvé auprès du cadavre, présenté à la plaie et s'y rapportant parfaitement, est marqué des lettres de son nom et reconnu par lui. Ses voisins l'ont vu sortir de chez lui, peu d’instants avant le meurtre; ils l’ont vu rentrer avec ses habits ensanglantés, avec la précipitation et l'effroi d'un coupable. Ces mêmes habits ont été trouvés soigneusement cachés dans sa maison. Le jury, car la scène est en Angleterre, le jury s’assemble. De 12 membres dont il est composé, 11 jugent l’accusé coupable. Le douzième refuse d'accéder à leur opinion, et, à défaut d’unanimité, le prévenu est déclaré innocent. Il l’était en effet, Messieurs, et ce douzième juré était lui-même l'auteur involontaire de l’homicide. Il réussit, par de louables efforts, à se faire nommer juré. Qu’un autre eût occupé sa place, l’innocent eût péri, la sentence eût été régulière et la vérité ensevelie pour jamais. Ce jury n’était donc autre chose, Messieurs, qu'un tribunal d'aveugles agitant, dans de profondes ténèbres, le glaive de la loi, et qui, sans une circonstance unique, eussent égorgé l’innocence avec la plus parfaite sécurité.

Ces jurés, ces témoins, ces juges ne seront-ils donc pas toujours des hommes ? seront-ils donc toujours exempts de l’erreur involontaire, triste apanage de l’humanité ? auront-ils plus de sagacité, disons vrai, auront-ils plus de bonheur, car c’en est un, pour écarter les nuages qui, quelquefois, dérobent aux faibles yeux des hommes la vérité, que n’en ont eu tant de magistrats éclairés, attentifs, que la droiture de leurs intentions la pureté de leur cœur n'ont pu consoler, quand une triste découverte leur a fait apercevoir qu'ils étaient tombés dans une erreur funeste ? Une lumière tardive est venue les éclairer : le sang innocent avait déjà coulé par leurs mains : ce souvenir cruel a répandu l'amertume sur le reste de leurs jours.

O vous ! représentants d’une grande nation chargés de la mission sublime de lui donner des lois, ne doutez pas qu'en signant la loi qui établit la peine capitale, vous ne signiez, pour les siècles qui suivront, l’arrêt de mort d'une infinité d'innocents. Sachez qu'il ne vous est pas permis de donner à vos juges le droit de condamner à mort, si vous ne leur donnez, en même temps, une vue perçante à laquelle rien n’échappe, une infaillibilité que rien ne puisse égarer ; car si vos lois, malgré vos précautions, font périr un seul innocent, c’est un véritable assassinat. Alors ce n’est pas le juge qui est l’assassin ; c’est le législateur. »

Source : Archives parlementaires, tome XXVI, p. 656-661

Prugnon : Effrayer par de grands exemples

Louis Pierre Joseph Prugnon (1789-1828), avocat à Nancy, député du Tiers État aux États généraux, d’opinion modérée, il joue un rôle important dans la discussion de la réforme judiciaire, notamment dans l’établissement des jurés et la création des justices de paix.
Il défend la position majoritaire à l’Assemblée constituante, celle qui est favorable au maintien de la peine de mort, estimée nécessaire pour « effrayer par de grands exemples » les criminels, car ces derniers – qui ne sont pas des hommes comme les autres, ils sont « une exception aux lois de la nature » … – ne sont sensibles qu’à l’appareil du supplice : il faut donc maintenir le « ressort » de la peine capitale. Critiquant les illusions de la philosophie généreuse des Lumières qui est celle des abolitionnistes propres à considérer l’homme comme naturellement vertueux, il veut se placer sur le terrain des réalités, car « le crime habite la terre ». Sa critique de la peine de remplacement sera reprise lors du débat de 1908 : avec le temps, l’horreur du crime s’estompant, on prendra pitié d’un « supplice de tous les jours » et l’on sera conduit à réduire la durée de la peine, sans compter que des détenus pourront toujours s’évader.

« ... Une des premières attentions du législateur doit être de prévenir les crimes, et il est garant envers la société de tous ceux qu'il n'a pas empêchés lorsqu'il le pouvait. II doit avoir deux buts : l'un d'exprimer toute l'horreur qu'inspirent de grands crimes, l'autre, d'effrayer par de grands exemples. Oui, c'est l'exemple, et non l'homme puni, qu'il faut voir dans le supplice...

... L'âme est agréablement émue, elle est, si je puis le dire, rafraîchie à la vue d'une association d'hommes qui ne connaît ni supplices, ni échafauds. Je conçois que c'est bien la plus délicieuse de toutes les méditations : mais où se cache la société de laquelle on bannirait impunément les bourreaux ? Le crime habite la terre, et la grande erreur des écrivains modernes est de prêter leurs calculs et leur logique aux assassins ; ils n'ont pas vu que ces hommes étaient une exception aux lois de la nature, que tout leur être moral était éteint ; tel est le sophisme générateur des livres. Oui, l'appareil du supplice, même vu dans le lointain, effraye les criminels et les arrête ; l'échafaud est plus près d'eux que l'éternité. Ils sont hors des proportions ordinaires ; sans cela assassineraient-ils ?

Il faut donc s'armer contre le premier jugement du cœur, et se défier des préjugés de la vertu.

1° II est une classe du peuple chez qui l'horreur pour le crime se mesure en grande partie sur l'effroi qu'inspire le supplice ; son imagination a besoin d'être ébranlée ; il faut quelque chose qui retentisse autour de son âme, qui la remue profondément, pour que l'idée du supplice soit inséparable de celle d'un crime ; singulièrement dans ces grandes cités, où la misère soumet tant d'individus à une destinée malheureuse.

Cette quantité n’est point à négliger dans le calcul du législateur. Avant de briser un ressort tel que celui de la terreur des peines, il faut bien savoir que mettre à sa place, et se souvenir du précepte, hâtez-vous lentement, dès là surtout que la mesure du danger est inconnue [...]

[...] C'est à peu près discuter l'évidence, que d'ériger en problème si la perspective de la mort, si le spectacle de ceux qui la subissent, laissent le scélérat tranquille. Il lui faut un ébranlement et des impressions physiques ; son âme est fermée à toute autre émotion.

Le méchant ne craint pas Dieu, mais il en a peur ; tel est le sentiment qu'éprouve le scélérat à la vue de l'échafaud. Gardez-vous donc de désespérer de l'énergie de ce ressort, très malheureusement nécessaire. Que prétend-on, au reste, lui substituer ? Un supplice lent, un supplice de tous les jours ? L'idée n'est pas très neuve. Mais quelques années sont à peine écoulées, que le sentiment d'horreur qu'inspira le crime s'affaiblit ; on ne voit plus que la peine et son éternelle action ; le criminel finit par intéresser, et alors on est bien près d'accuser la loi. Tout cela ne varie que par des plus ou des moins plus difficiles à exprimer qu'à saisir ; or, est-ce une bonne législation que celle qui fait infailliblement passer la pitié de l'assassiné à l'assassin ? »

Source : Prugnon, Assemblée constituante, séance du 30 mai 1791, Archives parlementaires, tome XXVI, p. 617-622 : « Effrayer par de grands exemples »

Pour en savoir plus : Lire le texte complet du discours, sur le site Criminocorpus : Peine de mort. Débat parlementaire de 1791.

Brillat-Savarin : critique la peine de substitution proposée

Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826) est célèbre comme gastronome et sa Physiologie du goût (1825). Député à la Constituante, partisan de la Gironde, il s’exile en Suisse. Rentré en France en 1797, il est nommé conseiller au Tribunal de cassation. Brillat-Savarin fait part de son expérience de magistrat : seule la peine de mort est vraiment intimidante pour les « scélérats » dont il n’est pas loin de penser qu’ils sont irrécupérables par la société, car criminels de naissance.

Barère : Laissons à nos successeurs l’honneur d’abolir la peine de mort

Bertrand Barère (1755-1841), avocat au Parlement de Toulouse, député du Tiers État aux États généraux, puis à l’Assemblée constituante, il joue un rôle encore modeste dans cette Assemblée, avant de devenir un des membres importants du Comité de salut public pendant la Terreur. Barère se dit favorable à l’abolition – par « la raison, la philosophie et la justice » – mais considère qu’elle est prématurée en 1791.