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Crimes et Justices au Moyen Âge

Répertoire des crimes

Allégorie de la Justice

Source : Martial d’Auvergne, Vigiles de Charles VII, fin XVe s. France, Paris, BnF, ms Français 5054, f° 250 v°

« Je suis Justice… et rien ne peut durer sans moi »
Christine de Pizan, La Cité des Dames, § 6

La justice est « la fille élue de Dieu » et l’une des vertus cardinales. Elle siège parée d’hermine et habillée de rouge car la justice ne meurt jamais. Elle transmet son pouvoir aux rois pour leur permettre de rendre à chacun son droit selon ses mérites.
Quand, à partir du XIIIe siècle, la justice s’impose, les règlements privés reculent. Commettre un crime revient à léser la chose publique avant de léser la partie adverse.
Néanmoins la vengeance subsiste. Il n’y a pas une justice mais des justices concurrentes, celle du roi, des princes, des seigneurs, des villes et de l’église. Il n’y a pas de jugements constants selon le type de crime, même si en principe les sanctions sont codées : le voleur doit être pendu, le meurtrier traîné sur une claie puis pendu, le faux-monnayeur bouilli, le sorcier et l’hérétique brûlés, de même que le sodomite.
Au tribunal, les juges tiennent compte davantage de la réputation des personnes que de la gravité du cas. Cet avocat le dit clairement : « il est de raison que nul ne doit poursuivre un tel chevalier si noble et si bien renommé comme il est ».
Pourtant, le crime perturbe profondément la société. Rien n’est pire qu’un crime dont l’auteur reste inconnu.
La justice a pour mission de purifier en même temps que de juger. La société tout entière est concernée par le crime car, contrairement à ce qu’on a longtemps pensé, les criminels sont en majorité des gens ordinaires et non des professionnels ou des marginaux.

Le meurtre est fréquent mais sa représentation rare. Dans cette scène biblique – la parabole des vignerons – l’héritier de la vigne est mis à mort par les vignerons qui souhaitent s’emparer de ses biens

Source : Vie de Jésus-Christ, Bourges, XVe s. Paris, BnF, ms Français 178, f° 122

Répertoire des crimes
Les infractions les plus nombreuses sont les simples délits qui, tels les petits larcins, sont sanctionnés par des amendes fixes.
Le crime, lui, porte sur des atteintes graves à la personne, aux biens et à l’ordre moral. Il se définit comme un « excès », un « maléfice », voire un péché. Le coupable a « meurtri », « emblé », « eu compagnie charnelle »… Il est alors dit « larron » et parfois « très fort larron ». Cette transformation est cependant limitée aux « crimes énormes », ceux de la grande criminalité (vol aggravé, meurtre prémédité, rapt, trahison ou incendie de maison). Du blasphème au meurtre, de la trahison à la sorcellerie, leur liste s’allonge au fur et à mesure qu’ils sont censés léser le roi et la chose publique. De nombreux crimes échappent néanmoins à la justice, et le chiffre noir de la criminalité est impossible à évaluer.

Un infanticide

Source : Miracles de Notre Dame, Flandre, vers 1460, Paris, BnF, ms 9199, f° 65

Crimes de sang
« Beau fait »

Les crimes de sang sont les plus nombreux mais la violence n’est pas débridée.
L’homicide commis pour réparer un honneur blessé, le plus fréquent et commun à toutes les couches sociales, est très peu représenté parce que banal. Il est considéré comme un « beau fait », loué par la société et le pouvoir.
Certains juristes ne le considèrent d’ailleurs pas comme un crime avant la fin du XIIIe s. Il est souvent réglé en privé.
Il obéit à des règles tacites. Agressé publiquement par des injures, paroles ou gestes, le coupable doit riposter sous peine d’être déshonoré. Renverser le verre tendu, ignorer un salut, faire tomber un chaperon sont des insultes qui appellent la vengeance. La scène oppose en général des hommes de même condition sociale. Insérés dans de forts réseaux de solidarité, ils peuvent compter sur leurs « amis charnels » mus « d’amour naturel », parents par le sang ou l’alliance, voire de simples compagnons.
« Vilains cas »
Le crime d’honneur se distingue nettement du meurtre commis « d’aguet appensé », c’est à dire avec préméditation.
C’est un « vilain cas » que l’emploi de tueurs à gages range dans les crimes énormes. Le meurtre de Thomas Becket par les hommes de main du roi Henri II Plantagenêt est exemplaire car, commis dans la cathédrale de Canterbury la veille de Noël 1170, il se double d’un sacrilège.
Le procureur du roi, au milieu du XVe s., condamne fermement ces « cas qui pullulent fort ». Il dénonce les « bateurs a loyer », engagés pour « meurtrir » moyennant argent. Ce sont, dit-il, les « ennemis de la chose publique ».
L’infanticide
Parmi les crimes de sang, il est le plus difficile à évaluer. Souvent dénoncé par les voisins, il concerne surtout les pauvres femmes qui ont accouché seules et qui plaident l’accident, comme celle-ci qui, de faiblesse « cheut dessus et froissa et blessa ledit enfant ». C’est un crime grave car l’enfant est sacré.
Son auteur peut être puni de mort, à plus forte raison lorsque il s’agit d’un animal, en général un cochon, qui est alors mené au gibet.
L’avortement est aussi considéré comme un homicide. Provoquer une fausse-couche lors d’une rixe peut être puni de mort.
La trahison
Les événements liés à la guerre de Cent Ans et la croissance de l’État multiplient les cas de trahison : le meurtre politique commis sur les officiers du roi, ou dans les lieux qui sont en la sauvegarde royale, est un crime de lèse-majesté. La simple injure au roi, comme « Il ne donnerait du roi ni de la reine un estront », risque d’être sévèrement punie.
Dans cette société violente, et même si le roi a du mal à limiter le port d’armes, l’anarchie ne règne pas.

Homme détroussé

Source : Boccace, Décaméron, Flandre, milieu du XVe s. Paris, Arsenal, ms 5070, f° 43 v°

« Haro ! »
Vol excusé
Difficile à situer dans la hiérarchie des crimes, le vol n’est pas le plus fréquemment dénoncé : c’est qu’il peut être excusé en cas d’extrême nécessité, comme le prévoit le droit canonique. Cet homme acculé à la misère pense d’abord à se faire aider par son voisin. En son absence, il le vole. L’autre songe à le faire excommunier et finalement il lui pardonne : le vol se transforme en aumône. « L’affamé contraint de voler est innocent ».

Coupables d’un crime de lèse-majesté, ces faussaires, ou faux-scelleurs, ont la main droite tranchée avant d’être pendus

Source : Bernard Gui, Fleurs des chroniques, fin du XIVe s. BM de Besançon, ms 677, f° 88 v° (IRHT-CNRS)

Vol aggravé
Le vol peut, à l’inverse, être aggravé quand il est commis de nuit ou dans des lieux protégés, comme les églises – c’est alors un sacrilège – ou dans l’hôtel du roi et de la reine : c’est alors un crime de lèse-majesté.
En 1406, Jacques Binot, avec l’aide de complices, vole des pièces d’orfèvrerie dans l’hôtel d’Isabeau de Bavière dont il était le serviteur. Il est déclaré « larron public » et immédiatement pendu. Il a de plus trahi sa maîtresse. Mais sa femme, complice, est libérée pour les fêtes de Noël ; un autre larron est en fuite, le troisième est banni et le quatrième est gracié…
La récidive constitue une autre circonstance aggravante. Celui qui est pris avec une oreille coupée, parce que déjà puni pour vol, est sévèrement interrogé par les juges, même s’il plaide en affirmant qu’il ne se souvient plus d’avoir senti le couteau !
Enfin, les juges tiennent compte de la valeur des objets volés, sans que la punition soit forcément identique d’un endroit à l’autre. En général, le voleur est plutôt banni que pendu.

Faux-monnayeur condamné à être « bouilli » dans un chaudron d’eau chaude. Fabriquer de la fausse monnaie en contrefaisant les monnaies royales est devenu un crime de lèse-majesté

Source : Coutumes de Toulouse, Toulouse, XIIIe s. Paris, BnF, ms Latin 9187, f° 34 v°

Voleurs professionnels
Ils circulent en petites bandes de quatre ou cinq compagnons dans le but de « gagner » et ils n’hésitent pas à pratiquer meurtres et viols. Ils peuvent se reconnaître à un langage commun qu’ils partagent avec les recéleurs « en mettant leur doigt à leur nez en signe qu’ils avaient quelque chose à vendre ». Ils peuvent aussi avaler une potion magique pour se donner la force d’agir ou encore prêter serment de s’aider.
Contrairement à la légende, ils agissent peu dans les bois. Le mauvais garçon fréquente surtout la ville : il « n’a point de métier, maintient une fillette, va de jour et de nuit, rompt l’huis des bonnes gens et entre dedans leurs maisons, boit es tavernes et ne paie rien… », et termine au gibet.
Voleurs occasionnels
Le plus souvent, le vol a lieu de jour, entre gens de connaissance qui ont repéré la jument, le cochon, ou le lard salé dans le pot à proximité. Pour s’excuser, ces voleurs invoquent la « tentation de l’ennemi », ce diable qui incite à la convoitise !
Cette promiscuité entre voleur et volé explique que les voisins n’ont souvent aucune difficulté à repérer le coupable. Ils peuvent même – et doivent –, crier « Haro ! » pour le désigner et le livrer aux autorités.

Violée, Lucrèce se suicide pour mettre un terme à son déshonneur

Source : Boccace, Des cleres et nobles femmes, France, fin du XVe s. Paris, BnF, Ms Français 599, f° 42 v°

Affaires de mœurs
Le suicide
Placée entre les mains de Dieu, la vie est sacrée et le suicide constitue l’un des crimes les plus sévèrement punis. Le corps du suicidé ne peut être enterré en terre chrétienne : il est enseveli « aux champs ». Ses biens sont confisqués par le justicier. Le suicide ne peut être excusable que s’il y a eu viol, comme dans le cas de Lucrèce dont l’histoire est répétée par les chroniqueurs comme un exemple de courage et de vertu.

Scène de viol

Source : Bible moralisée, France, début du XVe s. Paris, BnF, ms Français 166, f° 10 v°

Le viol
Il est mal connu car il n’est pas dénoncé aux autorités tant il est déshonorant. Il arrive même que les juges critiquent les femmes qui ont dénoncé leur violeur car « ce n’est pas à leur honneur » !
Le viol, comme le rapt, peut se clore par un arrangement financier ou un mariage. Jeannette, envoyée comme chambrière à onze ans, est violée par l’entremise d’une autre chambrière et de Pucemol, son souteneur. Les parents réclament et obtiennent de l’argent pour assurer le mariage de Jeannette.
Les femmes violées sont plutôt situées en bas de la hiérarchie sociale ; ce sont en général des servantes. Elles sont aussi réprouvées moralement comme « fillettes faisant pour les compagnons », autrement dit prostituées. Le viol alimente d’ailleurs la prostitution.

Une femme envoie son mari prier sur la terrasse pendant qu’elle le trompe avec un clerc, reconnaissable à sa tonsure

Source : Boccace, Décaméron, Flandre, milieu du XVe s. Paris, Ars. ms 5070, f° 108 v°

« Preude femme »
Violer une femme mariée et de bonne réputation est un crime grave quand on sait qu’à la danse, on ne la tient que lorsqu’elle « a gants blancs sur ses mains ». La femme mariée doit avoir une conduite sexuelle irréprochable pour rester une « preude femme », une « femme d’honneur ». C’est la raison pour laquelle l’adultère féminin a été longtemps châtié par le mari ou les parents, allant jusqu’à tuer la femme et castrer l’amant : « Moult courroucé, ému et échauffé, il férit sa dite femme ».
À la fin du Moyen Âge, la justice tente de s’emparer du cas et peut envoyer la femme adultère au couvent. En revanche, l’adultère masculin reste peu poursuivi…

Scène de sabbat : l’adoration du bouc par les sorciers, hommes et femmes, appelée aussi « vauderie »

Source : Traité du crime de vauderie, Bruges, fin du XVe s. Paris, BnF, ms Français 961, f° 1

Blasphème et sorcellerie
D’autres crimes portent atteinte à l’ordre moral, comme le blasphème, pourtant très courant, tel : « Par le sang Dieu ». On croit que les malheurs du temps, pestes et guerres, sont dus à ce péché de la langue. Il faut purifier le royaume. Ainsi, au cours du XIIIe s., plusieurs ordonnances royales condamnent le blasphème comme crime de lèse-majesté divine… sans l’éradiquer.
Il en est de même de la sorcellerie, associée à l’hérésie. D’abord cantonnée aux milieux savants, la répression s’étend aux milieux populaires à la fin du XIVe s., sans viser seulement les femmes et sans que les bûchers flambent en nombre. Toutes les couches de la société ont recours à la sorcellerie, en particulier pour guérir des maladies sexuelles comme la terrible « nouerie d’aiguillette », maléfice qui rendrait les hommes impuissants.

Meurtre de Louis d’Orléans par les hommes de Jean sans Peur, en 1407

Source : Enguerrand de Monstrelet, Chronique, Bruges, fin du XVe s. Paris, BnF, ms Français 2680, f° 52

Le meurtre du duc d’Orléans, vengeance et crime politique
« A mort ! A mort ! Tuez tout ! »
C’est le cri de « guerre mortelle » que poussent les tueurs que le duc de Bourgogne Jean sans Peur a engagés pour tuer son cousin le duc Louis d’Orléans, le 23 novembre 1407.
À la nuit tombée, le cadavre gît sur le sol de la rue Barbette, la tête éclatée, la main gauche coupée pour punir le traître. L’acharnement des assaillants signe une vengeance recuite.
Depuis le début du XVe s., les deux hommes sont rivaux. Louis exerce le pouvoir à la place de son frère, le roi Charles VI, qui a sombré dans la folie. Il a évincé le duc de Bourgogne du Conseil royal, où sont distribués les dons, les offices et même les bénéfices ecclésiastiques. Jean est aux abois ; ses caisses sont vides ; il fomente sa vengeance et passe à l’acte.

Massacres d’Armagnacs par des Bourguignons à Paris en 1418

Source : Martial d’Auvergne, Vigiles de Charles VII, France, XVe s. Paris, BnF, ms Français 5054, f° 16 v°

Une enquête exemplaire
Ce meurtre politique est d’autant plus dramatique qu’il a lieu entre parents, ce qui est rare et particulièrement condamnable : les parents sont là pour « conforter » celui qui est agressé, non pour le détruire.
Jean sans Peur est démasqué très rapidement par le prévôt de Paris Guillaume de Tignonville qui se rend sur les lieux et interroge les témoins : le meurtre a été préparé à l’hôtel de Bourgogne. Certes, Louis d’Orléans n’est pas très populaire dans Paris. Il impose de lourds impôts et il est réputé pour aimer le luxe et les fêtes, tel ce « bal des Ardents » qui faillit coûter la vie au roi en 1393.
Mais l’affaire fait grand bruit.
Jean sans Peur choisit de fuir comme un banal meurtrier. Il était temps car la rumeur se répand et on dit même que le sang du duc d’Orléans s’est mis à bouillir en sa présence, signant ainsi son acte aux yeux de tous.

Meurtre de Jean sans Peur, en 1419, sur le pont de Montereau

Source : Enguerrand de Monstrelet, Chronique, Bruges, fin du XVe s. Paris, BnF, ms Français 2680, f° 288

Vengeances et guerre civile
Mais Jean sans Peur n’a pas dit son dernier mot. L’année suivante, le théologien Jean Petit justifie publiquement le meurtre : Louis était un tyran ; il avait voulu empoisonner le roi et enlever le dauphin : il était donc coupable de lèse-majesté !
La mort de Louis d’Orléans – on ne dit pas encore assassinat avant le XVIe s. – n’est que le début d’un cycle de vengeances entre les familles d’Orléans et de Bourgogne, dégénérant en guerre civile : la querelle des Armagnacs et des Bourguignons.
En 1418, c’est au tour de Bernard d’Armagnac, beau-père de Charles d’Orléans, de tomber sous les coups des révoltés parisiens, échauffés par la propagande bourguignonne.
La vengeance de ces deux meurtres a lieu le 10 septembre 1419 sur le pont de Montereau, au milieu duquel est assassiné Jean sans Peur, sous les yeux du dauphin : c’est un meurtre prémédité.