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Bagnes

Le bagne des Îles du Salut (Royale, Saint-Joseph, Diable)

Lucile Quézédé (association AGAMIS)

Les Îles du Salut ont accueilli le premier camp du bagne de Guyane, que Napoléon III créée par le décret du 27 mars 1852 d’abord, puis par la loi du 30 mai 1854. Celle-ci institue la transportation hors de métropole de tous les condamnés aux travaux forcés. Par le biais de ces derniers, les bagnards vont devenir une main-d’œuvre gratuite, qui remplace en partie les populations esclaves de Guyane, tout en sortant les criminels du territoire métropolitain. Une des caractéristiques de la loi du 30 mai 1854 est ce qu’on appelle le doublage : pour les peines de moins de 8 ans, le condamné est astreint à résidence en Guyane le même nombre d’années que sa peine, au-delà de huit ans, c’est l’astreinte à résidence à vie. Cette particularité a pour but le peuplement de la Guyane.

Fin 1852, ce premier camp sur les îles accueille déjà plus de 1000 bagnards. Le nombre de prisonniers croissant associé à des épidémies de fièvres vont rendre indispensable la création de nouveaux camps : rapidement, le bagne des Îles du Salut fait partie de toute une géographie pénitentiaire qui comprend des chantiers de défrichements forestiers ou de construction de routes (dont la fameuse route coloniale n°1 qui n’avança que de 24 km en 20 ans) et les villes du bagne (Saint-Laurent du Maroni pour les transportés, Saint-Jean du Maroni pour les relégués). Saint-Laurent du Maroni devient la “capitale” de ce système carcéral : le directeur de l’Administration Pénitentiaire s’y installe. Chaque camp du bagne va alors dépendre administrativement de Saint-Laurent, et les directeurs de chaque site sont sous cette autorité.

Les Îles du Salut doivent leur nom à l’expédition de Kourou, entreprise entre 1763 et 1765 pour réaffirmer la puissance coloniale française. Cette opération est un désastre et va voir 60% des colons envoyés décimés par la faim et les fièvres. Les survivants se réfugient sur le petit archipel appelé alors “îlets au Diable”, à 13km des côtes, qui gagne sa réputation de salubrité et sa nouvelle appellation.

Les Îles du Salut sont un terrain propice pour l’accueil des condamnés : leur climat est certes plus favorable que sur le continent, mais leur isolement insulaire, les forts courants qui les entourent ainsi que la présence de nombreux requins en font un fort naturel, peu propice aux évasions. C’est pourquoi y seront installés les criminels les plus dangereux, les plus célèbres, les détenus politiques et les forçats les moins contrôlables, les fameux « incorrigibles ».

Elles présentent également l’avantage de permettre le mouillage des bateaux, contrairement à la côte dont les fonds peu profonds ne permettent pas aux navires d’approcher pendant les premières années (jusqu’à l’utilisation de bateau à plus faible tirant d’eau).

Dans les premières décennies, sous le Second Empire, l’objectif du bagne est double : vider les bagnes portuaires de métropole des malfrats et utiliser cette main-d’œuvre pour développer les colonies. Napoléon III a alors une réelle volonté de régénération des condamnés et de colonisation du territoire.

D’un point de vue architectural, cette volonté va se traduire sur les Îles du Salut par des bâtiments en bois, qui seront progressivement remplacés par des bâtiments en dur.

Ce sont les bagnards qui vont réaliser les différentes constructions, après un aménagement du site permettant de les accueillir. Les premières cases, destinées au personnel, sont construites avec le bois des arbres abattus et l’on fera également importer de Bordeaux des barraquements en bois en pièces détachées. Une caserne provisoire va accueillir les premiers malades et rapidement être transformée en hôpital. On note également un quartier militaire, coupé du reste de l’île pour protéger le personnel libre des bagnards, une seule prison sur l'île Saint-Joseph sinon des dortoirs collectifs, et la construction d’ateliers et de petits établissements industriels participant à la mise en valeur économique des îles.

On croit alors réellement à la colonisation par l’élément pénal. Mais cet élan s’interrompt entre 1867 et 1887 : les Îles du Salut sont en partie délaissées car les convois de bagnards d’origine européenne sont dirigés vers la Nouvelle Calédonie (bagne ouvert de 1863 à 1898). Une partie des bâtiments est laissée à l’abandon et se dégrade.

L’ingénieur Fontaneilles est chargé d’évaluer les travaux à faire pour appliquer les nouvelles mesures visant à renforcer la surveillance et l’enfermement des forçats. De nouveaux bâtiments sont alors construits pour répondre à ces nouveaux besoins.

Le camp des Îles du Salut va être en activité jusqu’à la fin du bagne de Guyane. Le 17 juin 1938, après une intense campagne de presse, le décret-loi mettant fin au régime de la transportation est promulgué. Malgré la signature du décret, un dernier convoi, composé de 666 condamnés, quitte la France à destination de la Guyane le 22 novembre 1938.

La Seconde Guerre mondiale interrompt les départs et a des répercussions importantes : ravitaillement difficile, conditions sanitaires aggravées, tensions politiques. Il faut attendre 1945 pour que l’envoi des relégués en Guyane soit arrêté. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’opinion internationale se fait pressante et aboutit en 1946 à la fermeture du bagne. Les forçats restant sont rassemblés sur les Îles du Salut et leur retour s’échelonne jusqu’en 1953.

Sur les Îles du Salut, après la fermeture du bagne, les infrastructures abandonnées sont victimes de la végétation et du climat, des pillages et du temps.

On note quand même quelques occupations périodiques, notamment des colonies de vacances sur l'île Royale (1948-1961), une huilerie (sans succès), de la pêche au requin sur l'île Saint-Joseph (1949-1952), un poste de gendarmerie entre 1962 et 1964 pour surveiller le trafic maritime, notamment les chalutiers étrangers qui venaient faire de la contrebande au large des côtes de la Guyane.

De 1964 à 1968, le seul habitant des Îles du Salut fut le gardien du phare sur l’île Royale.

Dans les années 1960, le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) s’installe à Kourou. Les Îles du Salut étant situées sous la trajectoire des lanceurs et le CNES devant assurer la sécurité des personnes et des biens, les îles sont reconnues d’utilité publique en 1965 et deviennent en partie propriété du centre spatial en 1971.

Sur l’Île Royale, un cinéthéodolite est construit en 1968, remplacé depuis 1995 par un cinétélescope. Il sert à visualiser et filmer tous les évènements pouvant survenir pendant la phase de vol des fusées. Un héliport a également été aménagé.

Dès 1968, une exploitation touristique des Îles du Salut est mise en place. Au départ seul le bâtiment principal de l’ancien mess des officiers, devenu auberge, était exploité. Progressivement, d’autres bâtiments ont été restaurés et aménagés pour accueillir les visiteurs, notamment dans les années 1980.

Les travaux de préservation et de nettoyage, commencés dans les années 1980, se sont poursuivis dans le cadre d'opérations et de partenariat ponctuels, pour rénover des bâtiments et des vestiges. Depuis 2011, des travaux de réhabilitation s'effectuent dans le cadre de conventions passées avec la Direction des Affaires Culturelles de Guyane.

Cette exposition a été réalisée par Lucile Quézédé, chargée de valorisation du patrimoine des Îles du Salut de l'association AGAMIS (Association pour Gérer l'Architecture et le Musée des Îles du Salut). Créée en 1999, cette association regroupe le CNES et le Conservatoire du Littoral. Ses objectifs sont de mettre en commun des moyens afin de valoriser les Îles du Salut, de conserver, de protéger, de faire connaître le site et de structurer un tourisme de loisirs pour le plus grand nombre.

Le site des Îles du Salut est accessible depuis Kourou et se visite.

Edition en ligne : Jean-Lucien Sanchez

Bibliographie succincte :

 Clair Sylvie et Mallé Marie-Pascale, Les îles du Salut - Guyane, Itinéraire du Patrimoine, Ibis Rouge éditions, 2001

Donnet-Vincent Danielle, De soleil et de silence – Histoire des bagnes de Guyane, La Boutique de l’Histoire, Paris, 2003

Fougère Eric, Le grand livre du bagne, éditions Orphie, 2002

Godfroy Marion F., Bagnards, éditions Tallandier, 2008

Michelot Jean-Pierre, La guillotine sèche – Histoire du bagne de Cayenne, Fayard, Saint-Amand-Montrond, 1981

Pierre Michel, Le dernier exil, histoire des bagnes et des forçats, Découvertes Gallimard Histoire, 2007